Revue de presse

J. Julliard : « Paysage d’après tempête » (Le Figaro, 10 juil. 23)

Jacques Julliard, historien, essayiste, éditorialiste (Marianne, Le Figaro). 15 juillet 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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"Il va falloir s’y habituer : à propos de toute question qui se pose à l’échelle nationale, la montée aux extrêmes est en France devenue la norme : une taxe sur le carburant, une pandémie, un drame accidentel : tout est bon pour mettre en cause la société tout entière, ses fondements, son fonctionnement, les formes traditionnelles de la vie en commun. Nous sommes le seul pays au monde, je dis bien le seul, où tout incident devient un accident, tout accident un malaise, et tout malaise le révélateur impitoyable d’une malfaçon prétendue rédhibitoire. Dans chaque citoyen, il y a un Fouquier-Tinville qui sommeille, dans chaque journaliste un Bourdieu en puissance, dans chaque politique un Robespierre ou un Saint-Just. Nous sommes décidément trop intelligents pour mener en commun une vie normale. [...]

Commençons par la gauche. Qu’est-ce en effet que la gauche ? Dans son fondement le plus essentiel, dans sa formule la moins substituable, elle est l’alliance du progrès scientifique et de la justice sociale : le premier symbolisé par la République, la seconde par la classe ouvrière. En abandonnant cette grande alliance, qui longtemps a fait de la France le pays de référence de la démocratie moderne, la gauche s’est tout simplement privée de son identité. Ôtez le progrès, il ne reste au fond de l’alambic que le populisme ; ôtez l’exigence de justice, il ne subsiste que la technocratie.

Si la note du think-tank Terra Nova, en date du 20 mai 2011 : « Quelle majorité électorale pour 2012 ? », a acquis une telle notoriété, c’est qu’elle disait tout haut ce que les états-majors de gauche murmuraient tout bas : qu’il était temps de substituer à la gauche des classes sociales, centrée sur la classe ouvrière, une gauche des valeurs faisant une place particulière à des catégories sociales telles la jeunesse, les femmes, les immigrés. En vérité, ce n’est pas la classe ouvrière qui a quitté la gauche, c’est celle-ci qui a signifié son congé à celle-là. On n’a pas assez souligné que la substitution de catégories sociales hétéroclites à l’axe directeur constitué par le monde ouvrier était déjà présente chez les « néos » de l’avant-guerre, ces socialistes à la Marcel Déat, qui finiront si mal dans la collaboration. L’attachement traditionnel du socialisme à l’égard de la classe ouvrière n’était pas, ou pas seulement, une affaire sociologique, mais bel et bien un axe doctrinal. Un modéré comme Léon Blum, féru de culture française et ouvert au compromis social, l’avait bien compris : « Je redoutais, déclare-t-il en répondant à Déat, qu’on transforme ainsi le socialisme, parti de classe, en un parti de déclassés » [1]. Le mot va loin, il conserve, au vocabulaire près, toute sa vérité. [...]

Nous avons longtemps cru, à cause de la personnalité provocatrice d’un Jean-Marie Le Pen, que la vitalité de l’extrême droite était une particularité française. Nous voyons aujourd’hui qu’il n’en est rien : il y a désormais à l’occasion de chaque élection générale dans un pays européen, une « course à la droite », comme il y eut, en 1914, dans les débuts de la Grande Guerre, une « course à la mer », c’est une lame de fond qui s’explique moins par les qualités et les programmes des nouveaux arrivants que par la déliquescence de la gauche. [...]"

[1Le Populaire, 19 juillet 1933.


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