Revue de presse

Gilles Clavreul : « Tenaille identitaire » ne signifie pas « les extrêmes se rejoignent » (lefigaro.fr , 29 av. 21)

Gilles Clavreul, Délégué général du club L’Aurore. 2 mai 2021

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Dans un entretien paru le 26 avril dans Le Figaro, Alain Finkielkraut critiquait sévèrement le terme de « tenaille identitaire ». Gilles Clavreul, qui a fait l’expression sienne, défend son usage et revient sur le débat qui sous-tend leur désaccord selon lui : la nation est-elle un fait de culture ou une construction politique ?"

"Lorsque j’ai commencé à employer l’expression « tenaille identitaire », courant 2016, mon idée n’était pas d’habiller de neuf le poncif usé jusqu’à la corde, ni vrai ni faux comme tous les poncifs, qui voudrait que « les extrêmes se rejoignent ». Pas davantage n’ai-je voulu dire qu’ils se ressemblent, qu’ils disent la même chose ou qu’ils représentent le même type de menace.

En revanche, m’est apparu quelque chose comme un mécanisme qui rend solidaires entre elles des formes de protestation politique, sociale, religieuse, thématique très diverses, caractéristiques de l’ « âge identitaire » dans lequel, comme le signale Laurent Bouvet*, nous sommes désormais entrés. Généralisation des affirmations individuelles et collectives au détriment du commun, effacement des repères normatifs traditionnels (politiques, syndicaux, de classe, etc.), valorisation publicitaire du « narcissisme des petites différences »…Autant de signes auxquels nous ne pouvons plus échapper. [...]

Pourquoi « tenaille » ? Parce que ces propositions que tout oppose politiquement, par exemple celle des suprémacistes américains et celles des « wokes », s’articulent néanmoins autour d’un même axe, en l’occurrence celui de la race. Elles prétendent rapporter ce que l’on dit et ce que l’on pense à ce que l’on est. Ce faisant, le tout-identitaire étouffe petit à petit la conversation démocratique : rabattant le citoyen sur l’individu et l’individu sur ses attaches, sa naissance, son genre ou encore la religion dans laquelle il a été élevé, il assigne à chacun des positions fixes et tue l’idée même d’une délibération collective. Second attribut de la tenaille : la pression de la pince gauche accentue celle de la pince droite, et réciproquement. Elles s’entre-alimentent dans une surenchère d’anathèmes et de procès en sorcellerie où chacun est sommé de prendre parti ou enrôlé de force dans l’un ou l’autre camp. [...]

D’abord je ne suis pas sûr que tous ceux qui défendent une identité menacée s’en font exactement la même idée qu’Alain Finkielkraut : Péguy, Kundera, la galanterie française dont « Finkie » faisait un magnifique éloge dans L’identité malheureuse, sont des figures assez imperceptibles, pour dire le moins, dans le programme du Rassemblement national. Nous voilà face à un premier écueil : quelle identité défend-on ? Qui s’accorde sur quoi ? Prend-on tout en bloc, ou bien s’autorise-t-on à faire le tri ? Etc. Deuxième problème : les contempteurs de notre identité menacée veulent-ils le nivellement généralisé des valeurs et l’écrasement des origines dans un grand tout relativiste - ce qui a plutôt été la thèse d’Alain Finkielkraut depuis La défaite de la pensée - ou bien avancent-ils masqués, derrière un multiculturalisme apparent, pour imposer une identité de remplacement, comme le disent Eric Zemmour ou Renaud Camus ? Dans cette dernière hypothèse, il y a certes bien confrontation des modèles, pour ne pas dire choc des civilisations ; reste que la France selon Zemmour et Camus n’est pas plus la France que l’islam selon Tariq Ramadan et Youssef Al-Qaradawi n’est l’islam - du moins, rien n’oblige à adhérer à la vision qu’ils en donnent. [...]

Ensuite, il pose, et se pose, la question culturelle : pour Alain Finkielkraut, l’identité, c’est la culture. Eh bien, si curieux que cela paraisse, c’est sur cette idée qui sonne comme une évidence, que mon chemin s’éloigne pourtant du sien : de l’identité culturelle, qu’on recueille en héritage et qu’on perpétue, je sépare l’identité politique, celle qu’on choisit en fonction d’un projet d’organisation collective et de principes de vie auxquels on adhère. Or mon identité politique, c’est celle d’un citoyen de la République française indivisible, laïque, démocratique et sociale. Bien sûr, cette identité n’est pas sans lien avec ma culture ; mais elle ne s’y résume pas. Je peux même dire qu’en sens inverse, Méditerranéen que je suis, une partie de ma culture échappe à mon être politique. Ainsi, culture et politique se recoupent, mais ne se superposent pas.

Alain Finkielkraut a le grand mérite de poser clairement les termes du débat : soit on fait de la nation un fait de culture, comme il l’avance. Soit, comme je le crois, la nation est d’abord une construction politique. Là est le fond de notre désaccord. [...]

Un dernier mot sur la laïcité. Là encore, quand bien même son histoire témoigne d’une modalité singulière de règlement de la question théologico-politique, elle est un principe philosophique et politique et non un trait culturel. Nous ne la défendons pas parce qu’elle est française, mais parce qu’elle rend possible un équilibre précieux entre les libertés individuelles et les règles de vie collective. En faire une spécialité française, c’est se résigner à ce qu’elle ne soit pas universalisable : ce n’est pas ce qu’attendent de nous les intellectuels et militants algériens, tunisiens, turcs ou iraniens qui envient notre laïcité. Ayons de l’ambition pour nos principes : ils sont plus grands que nous. Et le principe de laïcité nous intime - non pas de déchirer le palimpseste du récit français où le Texte catholique se laisse découvrir à chaque ligne ; mais de regarder avec un intérêt bienveillant et détaché toutes les écritures, pour écrire notre propre partition, librement."

Lire "« Tenaille identitaire » : la réponse de Gilles Clavreul à Alain Finkielkraut".



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