Revue de presse

G. Chevrier : "La maîtrise de la langue du pays où on vit est essentielle pour s’y intégrer" (atlantico.fr , 4 jan. 23)

Guylain Chevrier, docteur en histoire, enseignant, membre du Conseil d’administration du Comité Laïcité République, ancien membre du Haut conseil à l’intégration. 5 janvier 2023

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Lire "Un examen de danois pour justifier de son intégration, pour la CJUE, c’est non. Jusqu’où accepter cette vision des juges européens ?"

"La Cour de Justice de l’Union européenne vient de rendre une décision en matière d’immigration qui ne peut que faire réfléchir, alors que notre gouvernement prépare une loi majeure sur le sujet, qui entend rebattre les cartes. La législation danoise subordonne le regroupement familial entre un travailleur résidant légalement au Danemark et son conjoint à la réussite d’un examen attestant d’un certain niveau de connaissance du danois. X est entrée sur le territoire danois en 2015 et a introduit auprès de l’Office des migrations (Danemark), une demande de permis de séjour, au titre du regroupement familial avec son conjoint, Y, ressortissant turc détenteur d’un permis de séjour permanent au Danemark, où il réside depuis 1979. Il était également précisé que les quatre enfants adultes de Y, sa mère et tous ses frères et sœurs vivaient au Danemark. Y n’ayant pas réussi cet examen, la demande de X au regroupement familial a été rejetée. Il a été fait appel de cette décision auprès de la CJUE, qui a donné raison à X. Une décision qui s’applique non seulement au pays en cause, mais fait jurisprudence pour l’ensemble des pays de l’UE.

Une décision de la CJUE qui interroge le sens de l’intégration

La Cour a pris acte de l’objectif légitime poursuivi par la législation danoise qui vise à garantir une intégration réussie du membre de la famille sollicitant l’octroi d’un droit de séjour au Danemark au titre du regroupement familial. Néanmoins, elle y a opposé que « la législation danoise en cause ne prend pas en compte les capacités d’intégration propres au membre de la famille qui sollicite le bénéfice du regroupement familial mais repose exclusivement sur la prémisse selon laquelle l’intégration réussie de ce dernier n’est pas suffisamment garantie si le travailleur turc concerné par cette demande ne remplit pas la condition de réussite d’un examen de danois ».

D’autre part, la législation danoise ne permet pas non plus, aux yeux de la Cour, « aux autorités compétentes de tenir compte, aux fins de l’appréciation de la possibilité de déroger à l’obligation de réussite à l’examen linguistique qu’elle impose, de facteurs susceptibles de démontrer l’intégration effective du travailleur turc concerné par la demande de regroupement familial et, partant, du fait que, nonobstant son échec à cet examen, il peut, en cas de nécessité, contribuer à l’intégration du membre de sa famille dans cet État membre ».

Il était aussi tenu compte du fait que, dans cette demande, « il était indiqué que Y avait achevé une formation en langue danoise portant, notamment, sur le calcul technique, la signalisation des travaux routiers, la compréhension des plans, l’introduction à la branche de travail et les techniques de travail et que, en tout état de cause, en tant que travailleur turc exerçant une activité professionnelle au Danemark depuis l’année 1980, soit depuis plus de 36 ans, notamment en qualité de technicien en mécanique, d’agent de service, de responsable de magasin ou de responsable d’un entrepôt, il n’était pas tenu de satisfaire à la condition de réussite à un examen de langue danoise prévue par la législation danoise en cause. »

La Cour constate, dès lors, « que la législation danoise (…) va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi », d’intégration.

Si la présence sur le sol danois des membres de cette famille depuis plusieurs années peut donner à voir cette demande comme légitime, puisque ce pays a laissé cette situation s’établir, on notera plusieurs problèmes d’importance dans cette décision.

L’argument que le travailleur turc réside depuis 36 ans dans ce pays, pour attaquer la législation danoise, peut être renversé, en interrogeant comment, après y avoir passé autant de temps, il peut ne pas en maîtriser la langue. Ce qui est un indice peu convaincant d’intégration réussie. Mais aussi que, concernant l’intégration de sa famille, cette absence de maîtrise de la langue ne peut qu’y être peu favorable.

Il existe des situations où tel travailleur étranger mène une activité salariée dans un réseau communautaire, vivant essentiellement au sein d’une communauté qui reproduit les codes du pays d’origine, et donc est peu intégré, avec une mauvaise maîtrise de la langue du pays d’accueil. Selon une étude de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (2018), on note globalement que 6 % des personnes qui utilisaient exclusivement le français à la maison à 5 ans sont en situation d’illettrisme, contre 16 % de celles qui utilisaient uniquement une langue étrangère ou régionale au même âge. On voit donc que la maîtrise de la langue du pays où on vit est essentielle pour combattre l’illettrisme et, a fortiori, pour s’y intégrer.

L’enjeu de l’intégration comme exigence centrale de l’immigration

Cette décision remet au centre de la question de l’immigration celle de l’intégration. Car finalement, la loi sur l’immigration du gouvernement qui doit être discutée à la rentrée a, qu’on le veuille ou non, pour principal enjeu, que ce soit au regard du nombre de personnes immigrées accueillies, au titre du droit d’asile ou des métiers en tensions, du regroupement familial, d’être mineurs dits « non-accompagnés », etc., de savoir comment on peut et on doit les intégrer. C’est le seul critère vraiment commun à ces situations.

Ce qui renvoie à comment on peut faire société, avec des apports de populations venues des quatre coins du monde aux cultures étrangères les unes aux autres, et à la nôtre. Ceci, alors que la République paraît parfois si mal comprise par certains immigrés, et même, par leurs descendants, avec une tendance à reproduire un modèle culturel importé, ce qui débouche sur des mises à part, et bien des contentieux. Il suffit de voir les conflits que fait ressortir à l’école, l’incompréhension de la laïcité qui touche des élèves d’origine immigrée.

Il est vrai que cette République sous laquelle nous vivons est une exigence haute, plus difficile dans son ambition d’égalité entre tous, que le modèle qui dit, « que chacun fasse ce qu’il veut », tant qu’on respecte l’ordre public et les règles économiques.

Cette décision de la Cour de justice de l’UE n’est pas sans conséquence sur l’idée que pourront se faire du Contrat d’intégration républicaine les personnes étrangères arrivant en situation régulière en France, pour lesquelles il est obligatoire. Il est censé d’abord exiger une maîtrise minimum de la langue française, une connaissance des institutions républicaines et de la société française, de ses mœurs, abécédaire d’une intégration réussie. Un CIR qui est un engagement réciproque entre l’Etat, représenté par le préfet, qui offre les conditions d’accueil de la société française, et la personne étrangère, qui elle, s’engage à respecter les principes et valeurs de la République, donc de la France.

On sait combien le danger qui guette notre pays, est qu’il s’enfonce dans le multiculturalisme. Ce qui fait de la France un pays unique, c’est qu’il est l’héritier plusieurs fois centenaires, d’acquis conquis par des forces politiques, sociales, habitées par l’intérêt général, par-delà les singularités des uns et des autres. Ceci, à l’image du corps politique souverain des citoyens, où l’égalité est première, et favorise ce sens de l’histoire. C’est tout le contraire des divisions identitaires vantées par le modèle anglo-saxon communautariste et clientéliste, qui tire vers le bas l’intérêt général et balkanise l’appartenance à la nation, jusqu’à la pulvériser, et l’intérêt pour la politique avec.

Chacun sa communauté et le marché pour tous, est-ce vraiment souhaitable ?

La reprise de l’argument de cette demande, d’avoir achevé une formation en langue danoise portant sur un contenu technique en lien avec le marché du travail, en dit long sur la réduction de la conception de l’intégration à la seule inclusion économique. C’est « le séparatisme » puissance mille que l’on prépare avec cette idée de l’intégration qui vient de l’Union européenne. Elle ne voit, en fait, à travers les nations européennes, que des régions fédérées autour d’une économie mondialisée qui en impose au politique.

N’est-ce pas cela, avant tout qui prime, dans cette volonté affichée par notre gouvernement de régulariser massivement des travailleurs sans-papiers travaillant dans le domaine des métiers en tension, selon des règles qui restent à définir, à la demande convergente des employeurs qui en exploitent la situation, et des ONG pro-migrants favorables à la fin des frontières ? Si un certain nombre de ces situations mérite toute l’attention, faire de ce type de régularisation un principe général, est tout simplement réduire l’intégration à une simple question de règle du marché.

Mais ne l’oublions pas, si ces travailleurs sans-papiers sont autant présents sous ce statut précaire, c’est que cela ressort d’une mise en concurrence des peuples, via la mondialisation. Une situation qui permet un degré d’exploitation que bien des étrangers résidant en France régulièrement ou des Français refusent, car qui concerne souvent des travaux pénibles, peu qualifiés, et mal rémunérés. On rappellera ici que le quart des parents de ceux qui arrivent comme étrangers sur le sol français, n’ont jamais été scolarisés, ce qui n’est pas sans conséquence sur le faible niveau de diplôme de ces derniers.

Penser d’abord, « quelle société pour l’homme ? »

Le Haut Conseil à l’Intégration, avant qu’il ne soit mis fin à son activité, avait produit quelques publications essentielles à l’usage de nos représentants politiques, pour les aider à comprendre l’enjeu primordial que constituait l’objectif de l’intégration par les valeurs et par la langue. Mais cela dérangeait, il a donc fallu que sous la présidence de François Hollande, on le ferme pour le remplacer par un Observatoire national de la laïcité qui, lui, ne voyait ni de problème avec la laïcité en France ni avec l’intégration. On a fini, heureusement par le supprimer, mais sans se redonner d’outil pour penser l’intégration.

Aussi, de longue date, nous n’avons pas accueilli autant d’immigrés dans notre pays, qui se tient à la seconde place en Europe après l’Allemagne au titre de l’asile avec 103 790 demandes, alors que la primo-délivrance de titres de séjour atteint le chiffre record de 270 925, en hausse constante depuis une dizaine d’année, plus 21,4% en 2021 (193 120 en 2012), et que le nombre de sans-papiers, à en croire certains qui demandent leur régularisation parce qu’ils feraient vivre des pans entiers de l’économie, pourrait être plusieurs centaines de milliers.

La question posée, alors que la France est en proie à ce que le président de la République lui-même définit comme le séparatisme, est de savoir, ni plus ni moins, ce que nous voulons faire de la France : une province de la mondialisation, chacun sa communauté et le marché pour tous, ou une société de citoyens conscients de leurs responsabilités au regard des affaires de la cité, qui pensent d’abord à ce qu’ils rêvent comme société pour l’homme ? Toute décision ici ne peut dépendre que de la perspective visée. L’année 2023 nous dira quelle idée nous devons nous faire en France, de l’avenir commun."


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