Revue de presse

G. Chevrier : Derrière les prières musulmanes dans des écoles, la stratégie d’entrisme islamiste dans l’Education nationale (atlantico.fr , 17 juin 23)

Guylain Chevrier, docteur en histoire, formateur, enseignant à l’université, membre du Conseil d’administration du Comité Laïcité République. 20 juin 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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Lire "Derrière les prières musulmanes dans des écoles de Nice, la redoutable stratégie d’entrisme islamiste dans l’Education nationale ?".

"Atlantico : Le maire de Nice a alerté le gouvernement sur des prières musulmanes dans trois écoles primaires de la ville pendant la récréation, ainsi que des minutes de silence en l’honneur du prophète. Ces évènements sont-ils un cas isolé ?

Guylain Chevrier : Le ministre assure que le gouvernement prend "toutes les mesures nécessaires pour faire respecter la laïcité dans nos écoles", affirmation que confirment difficilement les faits. On réagit comme à un coup de tonnerre dans un ciel serein, alors que les entorses à la laïcité se multiplient dans l’école, entre autres, avec les abayas, reflétant une certaine impuissance de l’institution.

Une note « ultra-confidentielle » des services de renseignement d’octobre 2018, alertait déjà sur une multiplication de cas d’entrisme islamiste dans l’école : exemple d’élèves dans un établissement du Nord refusant d’avoir cours dans des classes avec du mobilier rouge car celui-ci serait catalogué "haram", autrement dit, interdit par le Coran ; d’autres refusent de dessiner des représentations humaines ou encore, se bouchent les oreilles lorsqu’ils entendent de la musique en classe ; certains petits garçons ne veulent pas tenir la main de leurs camarades parce que ce sont des filles ; des élèves de 6e à Troyes refusent d’aller à la piscine pendant le ramadan parce que craignant de boire la tasse et de rompre ainsi le jeûne ; dans les Bouches-du-Rhône, des élèves ne veulent pas déjeuner à côté de ceux qui mangent du porc ou insultent d’autres élèves de confession musulmane parce qu’ils mangent de la nourriture ordinaire ; en Haute-Savoie, certaines écoles n’organisent plus de séjours en classes de neige en raison des revendications alimentaires religieuses, parce que c’est devenu « ingérable »…

On peut aussi remonter aux nombreuses contestations de la minute de silence observée dans les établissements scolaires en hommage aux journalistes de Charlie Hebdo assassinés dans le contexte des attaques terroristes de janvier 2015, et les « ils l’ont bien cherché » de certains en raison de la publications dans ce journal de caricatures de Mahomet.

En réalité, nous sommes encore un cran plus loin avec des enfants de primaire qui organisent des prières. Il n’y a pas de hasard, cela s’inscrit dans la suite logique d’une montée d’affirmations identitaires que trop souvent on dénie.

Dans un courrier adressé jeudi soir à la Première ministre Élisabeth Borne, Christian Estrosi évoque des élèves de CM1 et de CM2. A quel point l’Éducation nationale est-elle sujette à des tentatives d’entrisme islamiste ? Quelles formes prennent-elles ? Existe-t-il des réseaux plus ou moins organisés ?

Deux notes des services de l’État en septembre 2022 ont alerté sur une « stratégie d’entrisme salafo-frériste » dans les salles de classe. Elles dénoncent les nombreux appels sur les réseaux sociaux, notamment sur Twitter et Tik Tok, en direction des jeunes, pour les encourager à porter des vêtements islamiques, abayas, qamis, ou même le voile, ou encore à prier malgré les horaires de classe, ceci ne pouvant que conduire à faire la prière dans l’école. L’entreprise vise au contournement de l’interdiction du port de signes religieux ostensibles par les élèves, imposée par la loi du 15 mars 2004. Une « influenceuse islamiste » pousse même les jeunes filles à ajouter une ceinture par-dessus leur abaya pour la banaliser.

Les islamistes ont très bien compris comment ce temps de l’adolescence où le jeune est en recherche d’identité, fragile, est propice à encourager l’affrontement avec l’autorité, ce qu’elle représente, par quoi aussi il se construit, mais que l’on détourne ici. On entend faire entrer les pratiques et rites religieux dans l’école, en réalité, on vise à l’islamiser.

C’est exactement la même méthode que pour inciter à la radicalisation, lorsque sont diffusés des spots sur les réseaux sociaux qui victimisent les musulmans, en définissant la laïcité comme tournée contre eux parce qu’elle restreint certaines manifestations d’expression religieuse dans tel ou tel espace, quelles que soient pourtant les religions, et afin de faire prévaloir un égal traitement de tous. Une méthode bien connue qui entend renverser l’énoncé de la réalité, car c’est leur conception dogmatique de la religion refusant toute adaptation, compromis, qui rejette en bloc la laïcité et les libertés qui y sont attachées, qui est le problème.

Il y a des réseaux très bien organisés, de l’influence du « frérisme » sur certaines mosquées jusqu’à l’encadrement de quartiers, aux groupes de militants religieux qui de l’étranger alimentent la haine sur les réseaux sociaux en disposant de moyens considérables, sans négliger les parents de ces élèves eux-mêmes qui sont parfois peu ou prou, plus ou moins consciemment, leurs relais, malheureusement. On ne saurait oublier que de très nombreuses familles musulmanes sont dotées d’une parabole et qu’elles regardent essentiellement les chaînes de leur pays d’origine ou de filiation religieuse, ce que l’on ne peut écarter de cette atmosphère.

On parle par exemple actuellement de rebond du voile en Algérie, où un sondage de 2008, réalisé par le Centre d’information sur les droits de la femme et de l’enfant (CIDDEF), estimait déjà le taux des Algériennes portant le hijab à 80%. Un pays qui a toujours l’islam comme religion d’Etat et où on condamne à 10 ans de prison pour « incitation à l’athéisme ».

N’oublions pas le soutien que ces extrémistes religieux peuvent recevoir parfois de nos propres institutions à l’échelle de l’Europe par exemple, au nom de la promotion des minorités, de la lutte contre les discriminations ou de la « liberté religieuse », bien loin de notre laïcité républicaine.

Pourquoi l’école est-elle particulièrement ciblée par l’entrisme islamiste ?

C’est le lieu même de l’enjeu de la formation de la pensée commune, et on sait combien on agit comme on pense. C’est ainsi que l’école laïque est l’ennemi par excellence, elle qui entend transmettre des savoirs issus de la connaissance, de la raison, et donc de l’expérience, de la science, par opposition à des préceptes religieux issus de la croyance, indémontrables par essence. On enseigne la pensée spéculative, la pensée critique et la liberté d’expression, qui correspondent à l’apprentissage de l’autonomie de l’individu, socle de la formation du citoyen, capable de discerner l’intérêt général par-delà les attaches convictionnelles de chacun. La laïcité de l’école, c’est cette possibilité, en laissant à son entrée religions et traditions, de construire le chemin de sa propre liberté, ce qui est insupportable aux yeux des islamistes.

Il y a aujourd’hui clairement un télescopage entre l’école de la République, ce qu’elle entend transmettre, et une tendance religieuse de l’islam dont la vision sacralise le religieux en considérant que tout doit être sous son contrôle, que tout ce qui en éloigne est un sacrilège. Cette vision d’un islam intégral, fidèle aux textes qui remontent loin, interprétés dans leur sens le plus étroit, devrait ainsi s’imposer, comme si le monde était sans histoire, ou que l’histoire n’était pas passée par là. Ce qui doit nous interroger dans notre façon de concevoir l’enseignement lui-même de cette liberté, car la frange de nos concitoyens de confession musulmane qui s’identifie à cette vision ne cesse de croître selon toutes les enquêtes d’opinion depuis ces dernières années. Un sondage Ifop de septembre 2020 indique que 74% des Français musulmans de moins de 25 ans mettent l’islam avant la République. Un phénomène qui est donc loin d’être endigué.

Dans quelle mesure les agents et fonctionnaires de l’Education nationale sont-ils responsables et ou victimes de ces tentatives d’entrisme ? Comment l’expliquer ?

La tendance générale est clairement au respect de la laïcité de l’école, mais avec une évolution qui montre, par défaut ou volonté, une tendance contraire qui n’a rien de négligeable. Selon un sondage Ifop pour Écran de veille « les enseignants face à l’expression du fait religieux à l’école et aux atteintes à la laïcité », de décembre 2022, plus d’un enseignant sur deux affirme s’être déjà autocensuré pour éviter des contestations au nom de convictions religieuses ou philosophiques avec les élèves, rendant compte d’un recul de l’enseignement lui-même, de son contenu. Elément qui contribue à cette situation d’entrisme islamiste, par intimidation. A peine la moitié des enseignants ayant constaté qu’un élève portait une tenue religieuse dans l’enceinte de l’établissement l’a signalé. L’enquête confirme que les jeunes professeurs, les moins de trente ans, sont favorables à un « assouplissement » des règles de la laïcité, dont 61 % favorables aux repas à caractère confessionnels, 41% d’accord pour que les élèves puissent porter des vêtements traditionnels de type abayas et qamis. Plus les enseignants sont jeunes, plus ils ont tendance à s’autocensurer.

On apprend plus récemment que selon une enquête du Syndicat national des directions de l’Education nationale (SNPDEN-Unsa), les principaux et proviseurs ne font pas systématiquement remonter les atteintes à la laïcité. Quelque 26% d’entre eux ont été confrontés à des contestations d’enseignement au nom d’une vérité religieuse, et 37% parmi eux ne les ont pas signalées à l’institution. Une situation qui est aussi à mettre au compte des atermoiements du ministère de l’Education nationale qui flotte.

Concernant l’abaya, une circulaire de septembre 2022 demande aux chefs d’établissement de déterminer "si la tenue est religieuse ou pas", sur la base de deux principaux critères : "la fréquence du port de la robe" et le "refus de l’élève de l’ôter ou non". La procédure commence par un dialogue avec l’élève puis, sa famille, pour trouver une sorte de terrain d’entente, autrement dit, cela demande des heures de négociation par élève et avec la multiplication de ces cas, on arrive à une situation ingérable, expliquent les personnels enseignants.

On voit bien combien la solution n’est pas dans la négociation mais l’application d’une règle stricte, par exemple le renvoi de l’élève chez lui s’il vient au bout de plusieurs jours dans l’établissement scolaire affublé d’un vêtement de ce type, la systématisation de son port indiquant le caractère religieux de la tenue.

On pourrait aussi définir les tenues selon quelques règles simples qui limitent ce genre de problème, voire imposer un uniforme. Pourquoi ne pas réunir une commission, avec un délai réduit pour faire une proposition, qui trancherait à la façon de la commission Stasi qui a abouti à l’adoption de la loi de 2004 d’interdiction des signes religieux dans l’école ? Le recteur de l’académie de Lyon a déclaré qu’il agirait dès la rentrée prochaine, en faisant signer aux élèves et parents un formulaire sur les règles en vigueur concernant les tenues vestimentaires.

Il faut en tout cas déjouer ce qui est en train de prendre forme et pousse à une certaine démission les enseignants tout en fragilisant gravement l’école. Il n’est pas surprenant que les trois quarts des enseignants interrogés dans le cadre de cette enquête Ifop estiment que le ministère de l’Education nationale n’a pas tiré les enseignements de l’assassinat de Samuel Paty, et 34% pas du tout.

Y-a-t-il une forme d’ignorance, de refus de voir le phénomène voire de le tolérer pour des motifs idéologiques dans les rangs de l’Education nationale ?

Selon la dernière livraison de Ifop Ecran de veille, 21 % des enseignants ont déjà été menacés ou agressés pour des motifs de nature identitaire ou religieuse. Mais c’est en REP [1], là où se concentrent plus les problèmes avec des quartiers marqués par une population en difficulté sociale, fréquemment immigrée, que le problème explose, puisque 39% des enseignants ont connu cette situation. Évidemment, le caractère social qui se mêle à cette réalité peut influer sur le non-signalement des difficultés rencontrées, culpabiliser, et induire un certain laisser-faire, voire le « pas de vagues ».

Le discours du ministre Pap Ndiaye sur la nécessité de promouvoir la mixité sociale à l’école, en utilisant l’argument d’une ségrégation sociale et territoriale, n’aide pas à faire aimer la République. Cette dernière n’a nullement cherché à faire des ghettos sociaux ou ethniques, lorsque c’est le niveau de ressources qui fait que des familles bénéficient du parc social, souvent venues en France parce que c’est une terre de droits et de droits sociaux, tout particulièrement, dont ces logements font partie. Pourquoi ainsi caricaturer les choses dans l’énonciation des problèmes ?

D’autant que les mots ont un sens, lorsqu’aux Etats-Unis la Cour suprême invalide une carte de circonscription électorale adoptée par les élus républicains en Alabama, État du Sud, accusée de discriminer les électeurs noirs, là, oui, on peut commencer à évoquer l’enjeu de la ségrégation. Conservons les mots à leur bon usage, sinon on encourage l’affrontement avec la République à travers son école en alimentant les discours contre elle, et en servant ses ennemis.

Il n’est pas mieux que le ministre en question encourage dans le cadre d’une « journée internationale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie », les adolescents à « être soi » et déclarer s’adresser « à tous ceux qui pourraient, pour quelque raison que ce soit, être empêchés de vivre pleinement leur identité », cette formule pouvant parfaitement être utilisée pour justifier d’arborer des signes religieux. Ne nous cachons pas non plus qu’il existe une idéologie woke qui fait son chemin, y compris dans le monde enseignant, où le droit à la différence et la reconnaissance des identités particulières, des minorités, prend le pas sur le cadre commun, et avec, la tolérance à tout.

Carole Zerbib [2], cheffe d’établissement à Paris et membre de l’Observatoire de la laïcité du SNPDEN-UNSA, dans une interview, explique, qu’outre l’importance du dialogue et de la pédagogie, il faut se poser la question de l’adhésion au projet républicain des élèves. La constat qui vient immédiatement, est qu’il ne suffit pas simplement d’enseigner les valeurs et principes républicains pour aboutir, mais de convaincre. Faut-il encore que les enseignants et l’institution scolaire partagent une vision engagée de ce côté, habitée par de fortes convictions, ce qui s’est largement effrité selon ce tableau. Il y a donc à redonner aux enseignants confiance dans le modèle républicain qu’ils portent, par un discours cohérent et des actes qui s’y tiennent, clairs et fermes, pour qu’en en étant convaincus, ils le défendent, telle leur véritable mission. On doit retrouver des lignes de force, qui font défaut aujourd’hui pour livrer la bataille face à ce danger de l’entrisme islamiste dans l’école, si on veut conquérir la plupart des esprits à la liberté qui fait notre pays."

[1Réseau d’éducation prioritaire (note du CLR).

[2"Écoles : l’abaya, une atteinte à la laïcité - 07/06",
"Les abayas et les qamis sont-ils des « signes religieux ostensibles » à l’école ? Les chefs d’établissement veulent des « consignes claires »" : "Si le voile ou la kippa « manifestent ostensiblement par leur nature même » une appartenance religieuse, un signe ou une tenue « qui ne sont pas par nature des signes d’appartenance religieuse » peuvent le devenir et être interdit « au regard du comportement » de l’élève. Abayas et qamis appartiennent à cette seconde catégorie. Parmi les éléments d’appréciation à prendre en compte pour caractériser ce signe ostentatoire ou non : le fait que la tenue soit portée de manière régulière, « la persistance du refus de l’ôter », de même que « le fait qu’il s’agisse de tenues traditionnelles portées lors de fêtes religieuses »." lemonde.fr 04/10/2022.


Voir aussi dans la Revue de presse le dossier "L’école face au défi de l’abaya" (Le Parisien, Aujourd’hui en France, 7 juin 23), "L’abaya n’est pas un signe religieux musulman, selon le CFCM" (AFP, leparisien.fr , 12 juin 23), B. Bobkiewicz (SNPDEN) : "Nous demandons qu’on nous dise clairement si ces tenues ’culturelles’ sont religieuses ou pas" (marianne.net , 8 mars 23), "Les abayas et les qamis sont-ils des « signes religieux ostensibles » à l’école ? Les chefs d’établissement veulent des « consignes claires »" (lemonde.fr , 4 oct. 22), dans Voile, signes religieux à l’école,
""Prières musulmanes" et "minute de silence en mémoire de Mahomet" dans des écoles de Nice, la Ville alerte le gouvernement" (Nice-matin, 16 juin 23), "Sanction systématique et graduée" : la nouvelle circulaire laïcité de Pap Ndiaye (marianne.net , 9 nov. 22),
dans la rubrique Atteintes à la laïcité à l’école publique dans Ecole,
dans les Documents Circulaire d’application de la loi sur le port de signes religieux à l’école (Ministère de l’Éducation nationale, 18 mai 2004), Circulaire relative au plan laïcité dans les écoles et les établissements scolaires (Ministère de l’Éducation nationale, 9 novembre 2022), dans Signes religieux à l’école, "Les enseignants face à l’expression du fait religieux (volet 2) : les atteintes à la laïcité et les tensions religieuses à l’école" (Ifop pour "Ecran de Veille", 6 mars 23), "Les enseignants face à l’expression du fait religieux à l’école et aux atteintes à la laïcité" (Ifop pour "Ecran de Veille", déc. 22),
le communiqué Licra-CLR L’école n’a pas à promouvoir l’assignation identitaire (CLR, LICRA, 5 juin 23) (note du CLR).


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