Revue de presse

"Et si la gauche radicale devenait réac ?" (L. Le Vaillant, Libération, 22 sept. 23)

(L. Le Vaillant, Libération, 22 sept. 23). Luc Le Vaillant, journaliste, chroniqueur à "Libération". 22 septembre 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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Lire "Et si la gauche radicale devenait réac ? par Luc Le Vaillant".

"Aujourd’hui, je vais jouer à « c’est celui qui le dit qui l’est ». Je vais essayer de démontrer que les plus prompts à traiter leurs contradicteurs de « fachos » s’ébattent parfois dans ce caniveau réactionnaire où ils envoient baigner en permanence le monde entier. Sans souci de la nuance joliment exaltée par la romancière Maria Pourchet l’autre soir à la Grande Librairie, je vais radicaliser mes critiques contre cette gauche radicale qui a ses mérites, si, si je vous assure, quand par exemple elle s’attaque aux excès policiers ou défend les migrants. Malgré tout, je vais me risquer à les qualifier de « droitards », tant j’adore ce néologisme ramenard qui rime avec soiffard et trancheur de lard.

Identitaire ? La gauche était censée chérir les mélanges et le métissage, vouloir que chacun s’émancipe de ses assignations. La gauche de la gauche fut longtemps ouvriériste. Désindustrialisation venue, cherchant toujours un peuple élu, la voilà qui se jette au cou d’indigénistes et de décoloniaux qui veulent leur revanche sur l’histoire plutôt que d’accepter l’impureté de la mixité et la corruption de l’intégration. Il s’agissait d’échapper au clan, à la tribu, au village. On y revient en excluant qui ne vous ressemble pas, entre ressentiment et régression.

Obscurantiste ? La gauche était censée être publiquement athée, sinon anticlericale. Aujourd’hui, tandis que Macron file des coups d’encensoir à monsieur Pape, histoire de cajoler l’électorat catho, la gauche radicale s’entiche des islamolâtres. Elle idéalise la population musulmane des cités populaires qui n’en demande pas tant et aimerait juste qu’on évite de confondre tradition, spiritualite et obscurantisme. Incapable de faire la part des choses, la gauche radicale gobe tout cru voile et abaya, burkini et fondamentalisme, sapant les bases de la laïcité, exception française majeure qui nous protège des dévots. A contrario cette reine du tintamarre se fait plus discrète quand il s’agit de soutenir les Iraniennes et les Afghanes.

Puritaine ? La gauche étalt censée oeuvrer à l’égalité entre Eve et Adam et permettre aux diverses sexualités de s’épanouir. La gauche radicale passe sous la coupe d’un néo-féminisme qui revient sur la libération des moeurs des années 70, esquisse une restauration victorienne et renvoie chaque genre à ses invariants traditionnels. Ce qui fait que le gauchisme actuel se prosterne devant deux totems caricaturaux : la femme forcément victime et l’homme forcément prédateur. La séparation des sexes est en marche qui mène au refus du désir de l’autre et à la fin du plaisir partagé.

Censeure ? La gauche était censée permettre aux talents culturels d’échapper à toute censure. Les créations provocantes étaient encouragées à braquer les convenances et à choquer le bourgeois. Nouveaux inquisiteurs, les radicaux de la bien-pensance font assaut de moralisme. Ils "affichent" et "annulent" les deviants, les délégitiment et les mettent au pilon. Voici venu le temps de la présomption de culpabilité. Quant au doute, il profite désormais à l’accusation. Dans l’édition, les "correcteurs de sensibilté" épurent les manuscrits de leurs gaillardes grossièretés. Dans les musées, des curateurs apeurés décrochent les tableaux peints par de mauvais coucheurs. Et sur les plateaux de cinéma, des "coordinateurs d’intimité" balisent les gestes autorisés dans des scènes de moins en moins osées.

Catastrophiste ? La gauche étalt censée encourager le développement durable et faire confiance à la science en l’état de ses connaissances pour soigner le climat. La gauche radicale vire décroissante et se méfie du "techno-solutionnisme" au risque de rester les bras ballants devant la catastrophe qu’elle annonce à coups de trompe. Les écolos les plus radicaux clouent au pilori la notion de progrès comme si l’optimisme de la volonté d’Icare et de Prométhée devait en rabattre devant le pessimisme prophétique claironné par Cassandre, celui de la chute et du renoncement.

Quelque chose de bon peut-il sortir de ce pugilat auquel je viens de prendre part ? Comment faire gauche commune après ces noms d’oiseaux échangés ? Se concentrer sur l’économie et le social ? Est-ce que cela suffira ? J’avoue que je ne sais pas. Vraiment pas..."


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