Revue de presse

"Comment la "redoutable" Sophia Chikirou fait trembler La France insoumise" (lexpress.fr , 2 oct. 23)

5 octobre 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Intime de Jean-Luc Mélenchon, la député LFI de Paris est une pièce maîtresse du mouvement, le sait et en joue jusqu’à brutaliser ses pairs. "Complément d’enquête" lui consacre une émission ce jeudi. Portrait

Par Olivier Pérou

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Sophia Chikirou ne baisse jamais les yeux. "Il faudrait me les crever d’abord", aime-t-elle répéter. Le verbe haut, les mots forts, en public comme en privé, devant les adversaires politiques et avec les partenaires de la Nupes… Elle est comme ça, la députée insoumise de Paris, peu connue du grand public mais ô combien crainte dans les couloirs de la gauche. "Franche" pour les uns, "guerrière" pour les autres, "redoutable" pour tous.

"J’évite tout contact avec elle, histoire de ne pas me prendre une baffe, sourit un cacique socialiste de la Nupes. Je m’en tiens aux contacts institutionnels de La France insoumise (LFI), avec Mathilde Panot [NDLR : cheffe du groupe] ou Manuel Bompard, avec qui cela se passe très bien." Qui sait que Sophia Chikirou est une des pièces maîtresses de LFI sinon ceux qui font les frais de ses méthodes, de ses mots, fleuris. De ses menaces, aussi. Même les membres de la famille insoumise subissent parfois ses foudres – "surtout la famille insoumise", renchérit une petite main du mouvement de Jean-Luc Mélenchon, une semaine après "l’épisode Doriot".

Un "épisode" qui laissera des traces, et qu’elle a provoqué d’un clic sur son compte Facebook. Ce 20 septembre, la Nupes se remet à peine d’une fête de l’Humanité des plus tendues, où la gauche a passé son temps à s’envoyer des banderilles. Sophia Chikirou n’en a pas fini avec Fabien Roussel, le leader du PCF, et le compare à Jacques Doriot, communiste des années 1920-1930 devenu collaborationniste zélé au point d’embrasser le nazisme à la fin de la guerre. "Il y a du Doriot chez Roussel", partage la députée, reprenant une publication du compte Facebook L’œil gauche, sombre fanzine militant en ligne, qui reproche au patron du PCF de faire le lit de l’extrême droite pour séduire "l’électorat de Le Pen-Zemmour". Le torchon brûlait déjà entre communistes et insoumis, le voilà consumé jusqu’à sa dernière cendre.

"Je préfère attendre sur le bord de la rivière voir passer leurs corps"

La comparaison lancée par Sophia Chikirou, et reprise par Jean-Luc Mélenchon, révulse la Nupes, y compris au sein de La France insoumise. "Ce n’est pas un incident dérisoire, explique la députée Raquel Garrido, en conflit avec la direction de LFI. Ça veut dire quoi, un peu de Doriot dans Roussel ? Un peu de nazisme ? Donc, le nazisme, c’est grave, mais pas si c’est en petites doses ? Absurde. C’est de la bouillie intellectuelle, et j’invite vraiment chacun à garder solides nos références politiques et historiques." Au sein du mouvement insoumis, déjà en crise depuis l’affaire Adrien Quatennens et la mise au ban de quelques esprits critiques – François Ruffin, Clémentine Autain, Alexis Corbière, Raquel Garrido ou Eric Coquerel –, les discussions sont musclées. Mardi 26 septembre, le ton monte lors de la réunion hebdomadaire des députés insoumis. Plusieurs réclament une discussion collective sur ce qu’ils qualifient de "faute morale", et de nouvelles voix, d’habitude si discrètes, se font entendre. Manon Meunier, jeune députée de la Haute-Vienne, s’émeut du risque porté sur l’équilibre de la Nupes dans sa circonscription face à de telles sorties. "C’est un message privé qui n’engage pas le mouvement", balaie d’un revers de la main Manuel Bompard, sherpa de Jean-Luc Mélenchon.

Circulez, il n’y a décidément rien à voir. "Quand l’un des nôtres est attaqué, on tient ensemble", résume Hadrien Clouet. C’est encore plus vrai quand il s’agit de Sophia Chikirou, rendue intouchable par sa proximité avec Jean-Luc Mélenchon. Une dizaine de jours auparavant la réunion de groupe, la bande des frondeurs subit une nouvelle fois le courroux de la députée parisienne. Invitée sur BFMTV le 15 septembre, Clémentine Autain, fatiguée par une énième passe d’armes entre Roussel et Mélenchon dit son "ras-le-bol" et appelle à un "halte au feu". Une félonie au royaume insoumis.

Dans la boucle Telegram des députés LFI, dont un échange est tombé entre les mains de L’Express, le clan Mélenchon l’accuse de prendre le parti de Fabien Roussel. "Pour éviter de se diviser, il faudra que les diviseurs en mal de reconnaissance cessent", écrit Chikirou, qui dénonce "le jeu mortifère d’une extrême minorité qui, à défaut de faire mieux, fait tout pour saccager." Un député, d’ordinaire discret, réplique : "Je connais trop les chasses aux ennemis de l’intérieur pour savoir qu’elles sont vaines." Et Sophia Chikirou de prononcer sa sentence : "Tu as raison. Je suis comme Aymeric [Caron], antichasse. Je préfère attendre sur le bord de la rivière et voir passer leurs corps." Andy Kerbrat, député de la Loire-Atlantique, renchérit avec un émoji rigolard : "Sélection naturelle."

Elle, c’est elle ; lui, c’est lui

Affronter Sophia Chikirou, c’est s’en prendre à Mélenchon, au chef, au candidat présidentiel fier de ses 22 % et, de fait, à la ligne politique. C’est au-delà de la déloyauté, en somme. Sophia Chikirou le sait-elle ? En joue-t-elle ? Elle, c’est elle ; lui, c’est lui ? Elle aussi a vécu les coups bas de la maison socialiste. Elle n’en claque pas la porte, mais en est expédiée. C’était en 2007, dans le marigot socialiste parisien. A l’époque, on prédisait à cette proche de Michel Charzat, maire du XXᵉ arrondissement et porte-parole de Laurent Fabius, un destin "à la Najat Vallaud-Belkacem", rien que ça. On lui promet la 21ᵉ circonscription, celle de l’Est parisien, autour du Père-Lachaise, aux élections législatives. Une des forteresses historiques de la gauche. Sa candidature n’est pas du goût de Bertrand Delanoë, l’éléphant parisien (et maire), qui réclame au PS de geler la circonscription pour "une minorité visible", George Pau-Langevin, une de ses proches. Chikirou et Charzat se lanceront dans la bataille en dissidence, en vain. Ils seront exclus du parti, et la jeune femme d’alors 27 ans en gardera une rancœur éternelle. Elle rejoint aussitôt le sénateur Jean-Marie Bockel, qui est de ces socialistes qui acceptent "l’ouverture" et en pincent pour le président Nicolas Sarkozy.

Un an plus tard, en 2008, celle qu’on catégorise comme "sarkozyste de gauche" rejoint pourtant Jean-Luc Mélenchon, puis le Parti de gauche, qu’il fonde après avoir quitté le PS avec pertes et fracas. Elle reste en coulisse, dans l’ombre du chef. "Sophia n’a pas un imaginaire de gauche, alors on s’en méfiait tous", se rappelle un ancien compagnon de route de Mélenchon. En quinze ans et trois présidentielles, elle ne l’aura pas lâché d’un pouce, ou presque, fondant sa boîte de communication Mediascop qu’elle met au service du candidat Mélenchon. Elle voyage également, en Espagne pour observer Podemos, aux Etats-Unis, pour Bernie Sanders, prétend même avoir conseillé des candidats de gauche en Amérique du Sud au titre de représentante de Jean-Luc Mélenchon. En 2017, elle fonde le Média, une webtélé qui porte la ligne du nouveau leader à gauche, auréolé de ses 19,6 % à la présidentielle. L’affaire tourne au vinaigre, la faute au management de Sophia Chikirou, et brise des amitiés, comme celle entre Gérard Miller et Jean-Luc Mélenchon. Les deux hommes ne se parlent plus depuis.

"Cette femme est toxique"

"Sophia, elle a toujours été comme ça, et c’est pour ça que ça fonctionne autant avec Jean-Luc. Il faut que ça défouraille, que ça avance. Il n’y a pas de place pour le sentimentalisme, résume un ancien de la bande. Et quand tu discutes avec elle, tu sais ce qui se trame vraiment dans sa tête à lui." La gardienne du temple, c’est elle.

Lorsque l’affaire Quatennens explose, en septembre 2022, elle se charge, de bout en bout, de la stratégie de défense médiatique du fils prodige de Mélenchon. L’évoquer ne se fait pas sans conséquence, chez les journalistes comme chez les politiques. "Cette femme est toxique, et la violence est son mode de fonctionnement", renchérit un député LFI qui craint l’émission Complément d’enquête, sur France 2, qui consacre une enquête à Sophia Chikirou, jeudi 5 octobre, et prédit : "Après la crise Quatennens, la crise de la coordination, on rentre dans une crise Chikirou."

On y apprendra ses méthodes, ses échanges de mots brutaux, comme lorsqu’elle qualifie de "tafioles de merde (sic)" les membres de la rédaction du Média, qu’elle dirigeait. Ironie de l’histoire, ce n’est pas tant les révélations de l’émission que le mouvement appréhende, à croire un insoumis : "Si on ne réagit pas, il n’y aura rien… Ce que je crains, c’est un tweet de Jean-Luc Mélenchon.""


Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Sophia Chikirou dans La France insoumise dans Gauche,
la rubrique Entreprise privée dans Travail (note de la rédaction CLR).


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