Revue de presse

Charles Enderlin : « Soutenir Netanyahou, c’était soutenir le financement du Hamas » (Charlie Hebdo, 25 oct. 23)

(Charlie Hebdo, 25 oct. 23). Charles Enderlin, journaliste, ancien correspondant de France 2 en Israël 31 octobre 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Charles Enderlin, Israël. L’agonie d’une démocratie, Seuil, 29 sept. 2023, 60 p., 4.90 €.

"Alors que la contre-offensive d’Israël fait rage dans la bande de Gaza, « Charlie » s’est entretenu avec Charles Enderlin, journaliste et ancien correspondant de France 2 à Jérusalem. Il a publié le mois dernier au Seuil « Israël. L’agonie d’une démocratie » dans lequel il dénonce l’alliance de la droite et de l’extrême droite religieuse sioniste qui affaiblissent l’État de droit.

Charles Enderlin analyse pour Charlie la situation dramatique que traversent Israéliens et Palestiniens, conséquence d’une politique nationaliste et radicale concernant le conflit israélo-palestinien.

Jean-Loup Adénor

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Lire "Entretien. Charles Enderlin : « Soutenir Netanyahou, c’était soutenir le financement du Hamas »".

Charlie Hebdo : Dans votre dernier ouvrage, vous décrivez la dérive religieuse de la société israélienne et vous présentez Netanyahou comme son principal artisan. Est-ce qu’après les événements récents la société israélienne est prête à se laisser entraîner encore plus loin dans cette direction ou, au contraire, pourrait-elle se retourner contre le Premier ministre  ?

Charles Enderlin : Repliée sur elle-même, sidérée, la société israé­lienne est encore sous le choc terrible qu’elle a subi le 7 octobre. Pour la première fois depuis 1948, des localités ont été occupées par l’ennemi et une partie de leur population massacrée. À l’heure où nous parlons, on compte 1 400 morts, parmi lesquels plus de 300 militaires, 200 otages détenus à Gaza et entre 100 et 200 disparus dont on ne sait rien. Les trois chaînes de télévision israéliennes diffusent en continu, nuit et jour, uniquement interrompus par des JT, les témoignages parfois terrifiants des survivants, la douleur des familles, l’angoisse des proches de celles et ceux qui sont portés disparus ou otages à Gaza.

Le bilan s’alourdit de jour en jour, en raison des tirs de roquettes depuis Gaza et le Liban, sans parler des accrochages en Cisjordanie. Le pays attend l’opération terrestre en sachant qu’elle sera encore plus coûteuse en vies humaines pour Israël et les Palestiniens. Ces derniers payent déjà un prix terrible avec les bombardements israéliens sur Gaza. Selon le ministère de la Santé palestinien, le dernier bilan est de plus de 4 000 morts, 13 000 blessés et des centaines de milliers de déplacés. Le bain de sang déclenché par le Hamas ne fait que débuter.

Pour répondre à votre question : ­depuis le début de l’année, l’opposition s’est mobilisée massivement contre Netanyahou et son projet de mettre en place un régime auto­cratique en Israël. Les rassemblements gigantesques, des centaines de milliers de manifestants, qui se déroulaient tous les samedis soir, sont suspendus en raison de la guerre. (Ils ont d’ailleurs été peu couverts par les JT français, qui, comme les autres médias, n’aiment pas traiter de la gauche israélienne.) Mais Netanyahou, son gouvernement et les députés de sa coalition sont au plus bas dans les sondages, et devront partir. Cela dit, ils feront tout pour rester au pouvoir le plus longtemps possible.

Qui, aujourd’hui en Israël, est encore prêt à défendre la solution de deux États côte à côte  ?

Il y a une gauche extraparlementaire courageuse qui est profondément en faveur d’un accord de paix avec les Palestiniens. À l’heure actuelle, compte tenu de la situation, minoritaire, elle ne parvient pas à faire entendre sa voix, si ce n’est pour réclamer l’arrêt du massacre à Gaza et un cessez-le-feu.

On avait l’impression, depuis des années, que les dirigeants israéliens de droite misaient sur un pourrissement de la situation et un désintérêt international pour, progressivement, grâce aux colonies, annexer la totalité de la Cisjordanie. Que pensez-vous de cette analyse  ?

Effectivement, lâchement, souvent avec cynisme, la communauté internationale a laissé se développer la colonisation en Cisjordanie, sans intervenir, se contentant de publier de vagues communiqués condamnant, sans plus, les annonces du gouvernement Netanyahou après tel ou tel projet de colonisation. Pire, c’est tout juste si l’Union euro­péenne ne s’excuse pas lorsque l’armée israélienne détruit les installations humanitaires qu’elle a construites pour des Palestiniens en Cisjordanie.

En fait, la stratégie annexionniste mise en place par Ariel Sharon en 2005 lors du retrait unilatéral des colonies de Gaza était destinée à empêcher la création d’un État palestinien, et pour cela, il fallait laisser le Hamas contrôler Gaza. Depuis 2009 et son retour au pouvoir, Benjamin Netanyahou a toujours autorisé le financement de l’orga­nisation islamiste. Il l’a expliqué en mars 2019 aux députés du Likoud : « Toute personne qui veut empêcher la création d’un État palestinien doit soutenir le renforcement du ­Hamas, le transfert de fonds au Hamas. » Bezalel Smotrich, colon, messianique, actuel ministre des Finances et ministre délégué à la Défense, déclarait déjà en 2015 : « L’Autorité pales­tinienne est un fardeau, mais le Hamas est pour nous un acquis stratégique réel. Sur la scène internationale, personne ne l’écoute. Il ne peut pas nous traîner devant la Cour internationale de justice ou être à l’origine d’une plainte au Conseil de sécurité, comme c’est le cas avec l’Autorité d’Abbas. » Soutenir Netanyahou, c’était soutenir le financement du Hamas.

En Europe, beaucoup de militants propalestiniens voient le sionisme comme une sorte de fascisme raciste. Existe-t-il encore un sionisme qui ne soit pas d’extrême droite  ?

Anti-israéliens, les propalestiniens refusent de voir l’autre sionisme, qui n’est ni de droite ni fasciste, mais partisan d’une solution à deux États, avec une Palestine indépendante aux côtés d’Israël. Les habitants des kibboutzim massacrés le 7 ­octobre par le Hamas étaient de gauche, opposés à la droite, de même que les centaines de jeunes de la rave party pris pour cible par les islamistes. L’israélo-canadienne Vivian Silver, célèbre militante pour la paix qui envoyait des médicaments à Gaza, est portée disparue.

Cela dit, le sionisme est le thème du petit livre que je viens de publier au Seuil, dans la collection « Libelle », Israël. L’agonie d’une démocratie. Depuis son retour au pouvoir, en 2009, Benyamin Netanyahou met en place un nouveau régime en Israël, fondé sur une identité nationale juive. Déjà en 2018, il a fait adopter une loi discriminatoire définissant Israël comme l’État-nation du peuple juif qui proclame : « Le droit à l’autodétermination nationale au sein de l’État d’Israël est réservé au seul peuple juif. » Allant ainsi à l’encontre des principes démocratiques de la déclaration d’indépendance de 1948 : « [Israël] assurera une complète égalité de droits sociaux et politiques à tous ses citoyens, sans distinction de croyance, de race ou de sexe  ; il garantira la pleine liberté de conscience, de culte, d’éducation et de culture. » Lors d’une audience devant la Cour suprême, le représentant du gouvernement a annoncé qu’il n’accordait pas de valeur juridique à ce texte fondateur. Après la guerre, le grand mouvement prodémocratie reprendra le combat contre le coup d’État identitaire préparé par Netanyahou.

Dans votre livre, vous citez de nombreuses personnalités israéliennes qui comparent la politique d’Israël à l’apartheid…

Il ne faut pas le dire en France, vous seriez traité d’antisémite par les partisans de la droite israélienne. Le régime subi par les Palestiniens en Cisjordanie est bien un apartheid. Le dernier en date à l’affirmer est Tamir Pardo, ancien chef du Mossad, qui n’est pas un gauchiste… Il le dit très clairement : « Les mécanismes israéliens de contrôle des Palestiniens, depuis les restrictions de mouvement jusqu’à leur placement sous la loi martiale, alors que les colons juifs dans les territoires occupés sont gouvernés par des tribunaux civils, sont à la hauteur de l’ancienne Afrique du Sud. »

Sur quelles personnalités les Palestiniens de leur côté et les Israéliens du leur pourraient s’appuyer pour sortir ce conflit de l’impasse  ?

Je ne sais pas, on ne peut qu’espérer qu’elles verront le jour."


Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Guerre Hamas-Israël (2023-24) dans Palestine dans Israël,
l’édito du président Le retour de la barbarie et des pogroms ? (G. Abergel) (note de la rédaction CLR).


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