Revue de presse

Ch. Guilluy : "Petits arrangements avec la morale" (Marianne, 7 déc. 23)

Christophe Guilluy, géographe. 28 décembre 2023

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Lire "Christophe Guilluy : "La morale qui élève la société populaire vient d’elle-même, c’est sa force"".

"[...] Dépossédés de ce qu’ils ont et de ce qu’ils sont, les gens ordinaires ont, contre toute attente, su préserver un bien unique dont est parfaitement dépourvu le monde d’en haut : la décence ­commune. La permanence au cœur de la société populaire de ce précieux capital social et culturel constitue le môle existentiel sur lequel bute le projet eschatologique du monde individualiste et sans limites que nous imposent les « élites ».

Vous remarquerez que cette idée orwellienne d’un sens moral inné des classes populaires qui les préserve de l’« égoïsme libéral » rend fou le monde d’en haut et son intelligentsia. L’évocation de la permanence d’une société populaire encore attachée au bien commun, à la solidarité, à des valeurs d’entraide et à une forme d’honnêteté leur fait littéralement « perdre les pédales ». Comment comprendre cette agressivité presque irrationnelle ? La raison profonde tient en un mot : la morale ; une morale parfaitement antinomique avec le modèle néolibéral. La société populaire est celle des limites, des contraintes sociales et culturelles, celle du monde des « hommes qui s’empêchent ». Dans une période marquée par l’« extension du domaine du capitalisme », cette morale commune ne peut être tolérée par les tenants d’un ordre économique et sociétal sans limites où règnent des individus égotiques portés par le seul culte du moi.

Exhiber la « morale » des gens ordinaires à un moment où la bourgeoisie a abandonné le bien commun, où le relativisme est devenu la norme, où les notions de bien et de mal sont perçues comme un retour au religieux, relève du sacrilège. Car si la morale subsiste, alors il existe aussi des limites à l’extension du marché et au culte de l’ego des hommes sans volonté. Confronté à cette réalité, le pouvoir cherche donc à faire passer cette décence commune pour la résurgence nauséabonde de traditions réactionnaires ou, pis, d’un retour à une morale religieuse (la morale, c’est un vieux truc de catho, feignent-ils de croire).

C’est évidemment oublier l’essentiel : la morale qui élève la société populaire ne vient pas d’en haut mais d’elle-même, c’est sa force. « Le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi », écrivait Emmanuel Kant. Si la religion ou l’idéologie viennent toujours d’en haut (le ciel étoilé), la loi morale est en nous. C’est cette loi morale qui gouverne encore la société populaire et légitimise sa révolte. Pour les âmes mortes qui nous gouvernent comme pour la petite bourgeoisie dite « progressiste », l’existence de cette morale est insupportable car elle les renvoie à leur vide existentiel. Si j’avais à résumer en profondeur la grande fracture contemporaine, je dirais qu’elle oppose radicalement deux impératifs : un impératif de moralité pour les gens ordinaires, un impératif d’amoralité pour les tenants du modèle.

Une question se pose alors. Comment les âmes mortes arrivent-elles encore à légitimer leur pouvoir et leurs fausses valeurs ? Dépourvues de « morale en elles », indifférentes à toute notion de bien et de mal, elles ont remplacé la morale par la moraline et saturent le « ciel étoilé » de nouvelles idéologies dont elles sont les seules législatrices et qui leur donnent l’illusion de parler au nom du bien. Cette inversion maligne qui fait passer la moraline pour la morale est le cœur du chaos anthropologique de l’Occident.

Parée de cette fausse morale, la médiocre petite bourgeoisie des temps modernes nous inonde donc de représentations dont le seul objectif est de justifier son modèle. Wokisme, vivre-ensemblisme, écologisme, antiracisme et féminisme dévoyés, la liste de ces idéologies promues au nom du bien (normes qu’elle ne s’applique évidemment jamais) est presque infinie. [...]"


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