Revue de presse

"Brigitte Macron, les "formations à la tolérance" et la tyrannie de la minorité" (L. Strauch-Bonart, lexpress.fr , 24 oct. 23)

Laetitia Strauch-Bonart, essayiste, rédactrice en chef Idées & Débats à "L’Express". 25 octobre 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Alors que les revendications communautaires, par définition intransigeantes, gangrènent l’école, nous n’avons pas d’autre choix que d’être intolérants à l’égard de l’intolérance.

Par Laetitia Strauch-Bonart

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Réagissant il y a quelques jours à l’assassinat par un terroriste islamiste de Dominique Bernard, professeur de français au collège-lycée Gambetta-Carnot d’Arras, Brigitte Macron, épouse du président de la République et elle-même ancienne professeure de lettres, a commenté : "Il va y avoir de plus en plus de formations à la tolérance, à la bienveillance. Comment faire avec nos enfants, dans ce monde qui est là, pour les rassurer ?" Si le lien de cette déclaration avec l’attentat reste vague, on peut supposer que Brigitte Macron exprimait par là son espoir que la tolérance viendrait à bout de la violence : si les enfants apprenaient mieux la bienveillance, aucun ne deviendrait terroriste.

Le propos, qui frappe par sa naïveté, est fort malvenu à l’heure où l’école est le théâtre de revendications communautaires de la part de certains musulmans. On le sait, des cours sur l’histoire récente du Proche-Orient ou la colonisation, des sujets comme l’égalité entre les hommes et les femmes, la représentation, par exemple, de la nudité dans la peinture ou des positions telles que la défense de la liberté d’expression se trouvent aujourd’hui mal accueillis par certains élèves, à tel point qu’il arrive aux enseignants de s’autocensurer. Récemment, l’interdiction de l’abaya à l’école a montré que la loi de 2004 n’avait pas clos le débat sur le port de signes ou tenues ostensiblement religieuses. Ces positions intransigeantes peuvent être le signe d’une pratique de l’islam conservatrice et non de visées islamistes, mais la frontière se révèle floue et le signal envoyé par ces musulmans à la France laïque, le même : le refus, face aux principes de la République, de faire des concessions.

Penser qu’un quelconque cours de tolérance pourrait venir à bout des tensions qui résultent de cette intransigeance, soit en convainquant une minorité têtue qu’elle doit s’adapter à une culture majoritaire, soit en exigeant davantage de bienveillance d’une majorité déjà généreuse, c’est se condamner à l’échec. Ce qui permet de le comprendre, c’est la "règle de la minorité". Selon les termes de l’ancien trader et statisticien Nassim Nicholas Taleb, auteur du Cygne noir. La puissance de l’imprévisible, qui y consacre un long développement dans un autre de ses livres, Jouer sa peau : "Il suffit qu’une minorité intransigeante […] atteigne un niveau infime pour que l’ensemble d’une population doive se soumettre à ses préférences."

L’exemple des boissons casher

[...] Il est très fréquent que des Américains consomment des boissons casher sans le savoir. Pourquoi ? Parce que quelqu’un qui mange casher ne mangera jamais d’aliments qui ne le sont pas, mais qu’il n’est pas interdit à un consommateur de produits non casher de manger casher. Pour un producteur de boissons ou un organisateur de barbecue, il est donc plus pratique de ne proposer que des boissons casher. Pour le dire autrement, le casher s’impose, parce que la minorité intransigeante (les consommateurs de casher) ne fait pas de compromis, alors que la majorité flexible (les consommateurs de produits non casher) est prête à en faire.

[...] Ce mécanisme, sorte de "tyrannie de la minorité" (à ne pas confondre avec la "tyrannie de la majorité", mise en lumière par Tocqueville, qui s’inquiétait du pouvoir exorbitant de l’Etat) permet d’analyser les revendications communautaires à l’œuvre à l’école. Si certaines sont acceptées, tolérées ou discutées, c’est qu’elles sont le fait d’une minorité inflexible face à une majorité prête au compromis. C’est pourquoi en appeler à la tolérance de la majorité revient in fine à cautionner, même si cela n’était pas l’intention première, qu’aucun cours n’aborde les sujets qui fâchent, que le voile se répande et même, un jour, que le halal devienne la norme.

"Formation à l’intolérance"

Ce n’est évidemment pas ce qui se passe dans nos écoles en raison de la conception historique de la laïcité. Celle-ci, initialement, ne visait pas seulement la neutralité religieuse mais représentait une attaque foncièrement anticléricale. "Il faut refouler l’ennemi, le cléricalisme, clamait Gambetta en 1878, et amener le laïque, le citoyen, le savant, le Français dans nos établissements d’instruction, lui élever des écoles, créer des professeurs, des maîtres […]." Le but était non pas tant de permettre aux croyants et aux non-croyants de vivre paisiblement ensemble mais d’extirper la religion catholique de l’Etat en général et de l’instruction en particulier.

Il reste encore des bribes, dans notre pays, de cette conception, mais elle se trouve battue en brèche par la propension occidentale à respecter les choix de chacun comme autant de libertés individuelles. Le maire de L’Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne), Vincent Jeanbrun, raconte ainsi que, dans l’un des collèges de sa ville, des élèves musulmans avaient refusé, pendant le ramadan, de chanter en cours de musique. Au lieu de contester cette décision, les élèves non musulmans s’étaient montrés solidaires de leurs camarades et les avaient défendus au nom de leur liberté individuelle de ne pas être forcés de pratiquer une activité contrevenant à leurs préceptes religieux. L’affaire remonta quelques strates bureaucratiques et, comme tant d’autres, déboucha sur l’inaction et la passivité. La minorité intransigeante l’avait emporté.

En France, concrètement, cette dynamique n’existe que dans les quartiers où les musulmans conservateurs sont suffisamment nombreux pour s’opposer au modèle culturel majoritaire. Elle n’en a pas moins de lourds effets puisqu’elle terrorise certains enseignants et élèves, entame chaque jour davantage la confiance dans notre modèle et provoque, en réaction, l’essor de partis xénophobes. C’est pourquoi une société comme la nôtre, qui a choisi, à raison, d’être généralement tolérante, n’a pas d’autre choix que d’être intolérante à l’égard de l’intolérance. En pratique, cela signifie retrouver une conception offensive de la laïcité qui se traduise par des actes et non de vaines paroles. En quelque sorte, une "formation à l’intolérance"."



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