Revue de presse

"Arrêt inédit de la CEDH sur l’abattage rituel" (Le Monde, 15 fév. 24)

(Le Monde, 15 fév. 24) 15 février 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"La CEDH a jugé mardi que l’interdiction de l’abattage rituel sans étourdissement préalable en Belgique ne constituait pas une violation des libertés religieuses. Un arrêt redouté par les autorités juives et musulmanes, qui ne devrait pas avoir pour l’heure de répercussions en France.

Par Sarah Belouezzane et Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, correspondant)

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Lire "Interdiction de l’abattage rituel : une décision inédite de la Cour européenne des droits de l’homme, au nom du bien-être animal".

La décision était attendue avec anxiété par de nombreuses autorités juives et musulmanes dans toute l’Europe. Mardi 13 février, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a statué sur l’interdiction par deux régions belges, la Flandre et la Wallonie, de l’abattage rituel sans étourdissement préalable en estimant qu’il ne s’agit pas d’une violation des libertés religieuses.

L’institution, à laquelle adhérent 46 pays, répondait à une requête introduite par des citoyens et des membres des autorités cultuelles belges musulmans, auxquels s’étaient joints d’autres citoyens de confession juive. Ils tentaient de lutter contre des décrets adoptés, en 2017 et 2018, par les deux régions interdisant l’abattage rituel sans étourdissement préalable. Pour les deux cultes, les animaux doivent être saignés encore conscients pour que leur viande puisse être consommée conformément aux principes religieux.

Cette interdiction, jugeaient-ils, allait à l’encontre de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme sur « la liberté de pensée, de conscience et de religions » qui garantit à chacun la possibilité de pratiquer et d’accomplir les rites.

La question de la « morale publique »

Mais la CEDH en a jugé autrement. Pour elle, « les décrets litigieux ont été adoptés à la suite d’une vaste consultation de représentants de différents groupes religieux, de vétérinaires ainsi que d’associations de protection des animaux ». Surtout, elle estime que les autorités « ont pris une mesure qui est justifiée dans son principe et qui peut passer pour proportionnée au but poursuivi, à savoir la protection du bien-être animal en tant qu’élément de la morale publique ».

En cela, elle introduit un point inédit qui, dans cette affaire, se révèle crucial. Celui du respect du bien-être animal comme restriction à la liberté religieuse. Selon le paragraphe 2 de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, « la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires ». Ces « mesures nécessaires » sont justement précisément listées et le bien-être animal n’en fait pas partie. Mais la Cour a considéré que ce dernier, compte tenu de l’évolution de la société, relève de la question de la « morale publique » qui, elle, fait bien partie des raisons justifiant une éventuelle restriction de l’article 9. [...]

Si l’arrêt est confirmé en grande chambre, soit la dernière juridiction de la CEDH, il ouvre, selon les juristes, des portes nouvelles. Ainsi pourrait se poser la question de la chasse et de la pêche récréatives, contre lesquelles on pourrait opposer le droit des animaux. « Je vis l’un des plus beaux jours depuis que je milite pour les animaux, commente Michel Vandenbosch, président de l’association belge du Groupe d’action dans l’intérêt des animaux. Cette décision confirme que le combat en faveur d’un meilleur respect des animaux est légitime. »

En face, certains religieux s’interrogent. Mendel Samama, rabbin de Strasbourg, très au fait des questions européennes, estime qu’il s’agit là d’une situation inédite où « les juges acceptent que les droits des animaux fassent balance avec le droit des hommes ». « C’est très grave, juge-t-il, c’est tellement grave que ça ne peut pas rester comme ça. Il y a une audace dans cette décision sans précédent qui mérite un vrai débat. »

Pour autant, Mendel Samama ne se montre pas inquiet. Il rappelle qu’il est toujours permis d’importer la viande d’animaux abattus selon les rites des religions musulmane et juive et qu’il n’y a aujourd’hui qu’une poignée de pays qui l’interdisent comme par l’exemple l’Autriche, la Suisse ou le Danemark. En France, il existe des dérogations pour les cultes, autorisant l’abattage rituel sans étourdissement dans un cadre légal strict.

Le grand rabbin de France, Haïm Korsia, lui, estime que cette décision « fait fi des droits religieux ». Il s’inquiète un peu plus que d’autres. Qu’en sera-t-il, demande-t-il, si en France par exemple, un pouvoir hostile aux musulmans et aux juifs se retrouve au pouvoir ? Il serait alors fondé, au regard de la Convention des droits de l’homme, à interdire l’abattage rituel. [...]"


Voir aussi le dossier Abattage rituel dans Alimentation, “halal”, casher..., le dossier CEDH (note de la rédaction CLR).


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