Revue de presse

A. Finkielkraut : « La France insoumise, c’est le nom que se donne la France soumise à l’islamisme » (Le Figaro, 2 juin 22)

Alain Finkielkraut, de l’Académie française, philosophe et écrivain. 3 juin 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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"LE FIGARO. - Après avoir réussi une percée au premier tour de la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon a conclu un accord d’union des gauches écologiste, socialiste et communiste… Le succès de La France insoumise signifie-t-il un retour aux fondamentaux pour la gauche après des années de « social-libéralisme » ou est-ce une trahison ?

Alain FINKIELKRAUT. - À votre question, Jean-Luc Mélenchon a répondu sans ambages. C’était en 2019, lors d’un meeting dans la ville devenue « sensible » d’Épinay : « Je n’ai pas peur de le dire, ceux que vous voyez dans ces quartiers, c’est la nouvelle France. Celle sur laquelle nous nous appuierons pour construire et faire tout ce qu’il y a à faire dans ce pays demain, tout changer. » Sans lésiner sur la démagogie, le leader de La France insoumise a donc repris à son compte les aspirations, les aversions et les obsessions de cette « nouvelle France ».

En juin 2021, il a annoncé sur France Inter que, dans les dernières semaines de la campagne présidentielle, on verrait, « comme par hasard », un grave incident ou un meurtre, à l’image de ce qui s’est passé en 2012 avec les attentats commis par Mohammed Merah à Montauban ou à Toulouse : « Nous aurons le petit personnage sorti du chapeau, nous aurons l’événement qui va une fois de plus permettre de montrer du doigt les musulmans et d’inventer une guerre civile. Voilà. »

Plus récemment, Jean-Luc Mélenchon s’en est pris à la « meute raciste » qui protestait contre la candidature de Taha Bouhafs aux élections législatives et il n’a pas changé d’avis après les accusations de viol qui ont contraint ce jeune et ambitieux journaliste issu des quartiers à jeter l’éponge. Or à Benoît Hamon, qui, tout en maintenant ses critiques à mon endroit, s’était ému de l’attaque antisémite que j’avais subie de la part de certains « gilets jaunes », Taha Bouhafs avait répondu en ces termes : « Benoît, c’est bientôt le dîner du Crif et t’as pas envie d’être privé de petits fours. Je te comprends. » La France insoumise, c’est, à l’ère de la mystification généralisée du vocabulaire, le nom que se donne la France soumise à l’islamisme, judéophobie incluse.

Par conviction ? Non, et c’est peut-être pire : par clientélisme. En s’alliant avec ce parti et en se pliant à ses conditions, les autres gauches ne sont pas revenues à leurs principes fondamentaux. Elles les ont reniés. Il reste à espérer que c’est un mauvais calcul et qu’elles le paieront dans les urnes.

Que vous inspire l’affaire du burkini à Grenoble ? Que révèle-t-elle sur les écologistes ?

Les écologistes se veulent féministes, ils associent la justice climatique et ce qu’ils appellent « la justice de genre ». Pour protester contre l’invisibilisation des femmes dans la langue française, ils pratiquent l’écriture inclusive et, en même temps, ils prennent parti pour « la burka de bain », qui invisibilise le corps « obscène » des femmes. Au nom de l’antiracisme et de la lutte contre les discriminations, ces implacables déconstructeurs de l’homme blanc se plient aux injonctions de l’islam rigoriste et férocement patriarcal. Estimant que la mairie de Grenoble avait violé le principe de neutralité des services publics, le tribunal administratif a suspendu la décision d’autoriser le burkini. La justice fait donc de la résistance. Mais jusqu’à quand ? La preuve est faite, en tout cas, que l’écologie estampillée se soucie comme d’une guigne de l’écologie, c’est-à-dire de la sauvegarde de la terre et de la beauté du monde.

La nouvelle radicalité de la gauche est-elle avant tout sociétale ?

La Nouvelle Union populaire, écologique et sociale est une alliance sans précédent. Pour la première fois, la gauche radicale impose sa loi à la gauche modérée. La radicalité d’hier, en outre, était exclusivement anticapitaliste et voyait dans le suffrage universel un instrument pour désarmer, en l’atomisant, la classe ouvrière. « Élections, pièges à cons », disait-elle. La radicalité mélenchonienne est d’abord communautariste et électoraliste. Elle table sur le changement démographique que connaît la France pour accéder au pouvoir.

« Le programme de Jean-Luc Mélenchon, c’est trois sorties : la sortie de l’Europe, la sortie de l’Otan et la sortie de l’OMC, qui transformerait la France en Corée du Nord », a estimé Jean-Christophe Cambadélis sur Radio J. Que vous inspirent ces propos ?

Cambadélis a raison, mais il oublie une sortie non moins grave : la sortie de la France. Se référant explicitement au poète martiniquais Édouard Glissant, Jean-Luc Mélenchon célèbre la créolisation de notre pays. La créolisation désigne « ce que produit la rencontre et l’entremêlement des cultures. C’est une poussée de vie ! ». Et Mélenchon précise : « Nous sommes déjà tous des créoles et nous le serons tous encore plus. Certains osent dire que ce n’est pas vrai alors même que la moitié des boutiques ont leur nom écrit en anglais, que tout le monde sur terre regarde les mêmes séries télévisées, que nos meubles sont les mêmes, comme les plats que l’on sert à table… » Le même, le même, toujours et partout le même. La fin de l’histoire, selon Mélenchon, ce n’est pas la société sans classe, c’est le grand mélange et le grand mélange, c’est l’uniformité du consommateur planétaire. La bienveillance pour l’islamisme, l’antiaméricanisme forcené et la promesse de l’américanisation sont les trois ingrédients du cocktail que La France insoumise veut faire avaler au peuple français.

Il existe tout de même quelques personnalités qui résistent à gauche, notamment au Parti socialiste. Ces derniers ont-ils une véritable « vision du monde » à proposer ?

La Nupes jette aux orties l’enseignement de Pierre Mendès France : la retraite à 60 ans, le smic à 1400 euros, le blocage des prix, l’augmentation des salaires nous mèneraient à la catastrophe. Comme l’écrit Jacques Julliard : « Il y a quelque chose de pire que de ne rien faire pour les plus défavorisés ; c’est de les payer de fausse monnaie au risque d’aggraver une situation antérieure. » Heureusement, il y a déjà des dissidents qui ne veulent pas laisser mourir sans réagir la social-démocratie. Je souhaite ardemment qu’ils aillent au bout de leur démarche et créent un nouveau parti. Le centre fourre-tout ne doit pas être la seule option offerte à la gauche raisonnable.

L’école semble totalement absente des préoccupations de la gauche…

Après un demi-siècle de réformes ininterrompues, l’école de la République est en lambeaux. Et la gauche, toutes tendances confondues, ne raisonne qu’en termes quantitatifs (plus de moyens) et de lutte contre les inégalités. Or, c’est au nom de ce noble combat que la sélection, jugée stigmatisante, a été bannie, qu’on a choisi d’accueillir les élèves plus faibles dans les classes plus avancées et qu’on a révisé les exigences à la baisse en se réglant sur leurs capacités. Si cette manière de voir et de faire avait prévalu quand Péguy (fils d’une rempailleuse de chaises) et quand Camus (fils d’une femme de ménage illettrée) étaient élèves, ils n’auraient pas accédé au grand héritage de la langue et de la littérature française, qui leur a permis de devenir tout ce qu’ils pouvaient être. Il faut impérativement refonder l’école de l’exigence. C’est le meilleur service que l’on puisse rendre aux enfants des milieux les plus modestes. Liberté, égalité, fraternité : le monde est peuplé d’idées démocratiques devenues folles.

Que vous inspire la nomination de Pap Ndiaye à l’Éducation nationale ?

Pap Ndiaye est un intellectuel. Ce qui veut dire qu’il ne parle pas à la légère et qu’il doit être tenu comptable de ses engagements comme de ses travaux. Selon le nouveau ministre de l’Éducation nationale, « les insultes et les agressions contre les Blancs ne sont pas du racisme, car elles ne modifient pas leur trajectoire personnelle étant membre du peuple dominant. ». Pap Ndiaye affirme aussi que le danger à l’université ne vient pas des wokes, ces éveillés, mais « des groupes paramilitaires fascisants ». Quant à l’islamo-gauchisme, c’est, selon lui, un épouvantail brandi pour stigmatiser les recherches sérieuses. Enfin, dans le rapport qu’il a rédigé avec Constance Rivière sur la diversité à l’opéra, Pap Ndiaye écrit que « l’opéra européen était le point de vue sublime des dominants sur le monde : celui d’hommes européens blancs au pouvoir ou proche de lui ». À charge pour les metteurs en scène de mettre les choses en perspective et de corriger le tir. C’est exactement cela le wokisme : un présent qui se croyant sensible à toutes les injustices n’a rien à apprendre des œuvres du passé, mais les convoque devant son tribunal.

Comment l’Éducation nationale peut-elle remplir sa mission - transmettre la culture - si son ministre lui-même siège, avec une vigilance sans faille, au tribunal du présent ? J’ajoute que Pap Ndiaye, qui s’enorgueillit, à juste titre, d’être un pur produit de la méritocratie républicaine est aussi un fervent partisan de la discrimination positive. Mais, en système méritocratique, le critère du talent remplace celui de la naissance. Avec la discrimination positive, et sous les auspices de la gauche, la naissance fait son grand retour. C’est un paradoxe. Ce n’est pas un progrès.

Que répondez-vous à ceux qui jugent « racistes » les critiques, à son égard ?

L’ancienne ministre de la Culture Aurélie Filippetti et le journaliste Jean-Michel Aphatie ont épinglé la nouvelle lettre écarlate sur la poitrine de tous ceux qui osent rappeler, pour s’en inquiéter, les prises de position récentes de Pap Ndiaye. L’historien du nazisme Johann Chapoutot a dénoncé « la clameur obsidionale, apocalyptique et menaçante » de l’extrême droite. Le journal Le Monde a prétendu, avec une mauvaise foi confondante, que c’est la nomination d’un homme noir à la tête d’un ministère régalien qui avait suscité la polémique. On est un ennemi du genre humain désormais quand on voit ce qu’on voit, lit ce qu’on lit et qu’on en tire les conséquences. Avec l’extension sans fin du domaine du racisme, la vie politique et la vie intellectuelle deviennent totalement irrespirables.

Au-delà de la gauche, cela révèle-t-il que la majorité a, elle aussi, une ligne ambiguë sur la question de la République et de la laïcité ?

Un jour, Emmanuel Macron considère que les éoliennes abîment le paysage, un autre, il attribue à l’extrême droite la volonté de démanteler le parc éolien ; un jour, il affirme que le voile islamique n’est pas compatible avec la civilité française, un autre, il félicite une femme voilée qui se dit féministe. C’est un homme très intelligent. Mais cette intelligence est-elle pure plasticité mentale ou la met-il au service de convictions fortes ? Laurent Bouvet, le fondateur du Printemps républicain, mort il y a quelques mois de la maladie de Charcot, faisait tout pour que Macron sorte de l’ambiguïté et défende enfin une laïcité sans adjectif. Le moins que l’on puisse dire est qu’il n’a pas été entendu. Par fidélité à sa mémoire, et malgré la mise à l’écart brutale de tous ses amis, je ne me laisse pas décourager, je reviens même à la charge : en ce moment crucial de notre histoire, je demande au chef de l’État qu’il se prenne lui-même au mot et qu’il mette tout en œuvre pour que vive la République et que vive la France.

Le thème du pouvoir d’achat a supplanté celui de l’insécurité durant la campagne présidentielle. Les événements du Stade de France signent-ils le retour du refoulé ?

Quand Jean-Pierre Chevènement a parlé de sauvageons, il a été cloué au pilori par les représentants de l’antiracisme officiel. Au vu de ce qui se passe, notamment dans le monde du football, il devient impossible de nier l’ensauvagement de notre société. Entre les supporteurs de l’AS Saint-Étienne qui cassent tout après la relégation de leur club en deuxième division et les vols à l’arraché au Stade de France, devenu, aux dires du maire de Saint-Denis lui-même, « le haut lieu du rassemblement des voyous de toute l’Île-de-France », la violence est désormais omniprésente. Combien faudra-t-il de policiers, de gendarmes, voire de militaires à Paris en 2024 pour que les Jeux olympiques se déroulent sans accroc majeur ? Le vivre-ensemble est un leurre, l’obscurité gagne : la Ville Lumière devrait donc se désister."

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