Revue de presse

Voile intégral : ce que dit la circulaire d’application de la loi (G. Chevrier, atlantico.fr , 23 oct. 14)

24 octobre 2014

Interdiction du port du voile intégral : ce que la circulaire d’application nous dit du sens de la loi

Une spectatrice de l’Opéra de Paris a été invitée au début du mois d’octobre à quitter les lieux car elle portait un niqab. L’incident, qui n’a été ébruité que le dimanche 19 octobre, a déclenché beaucoup de réactions passionnées. Petit rappel pédagogique du caractère positif des intentions du dispositif législatif.

Une spectatrice en voile intégral, un niqab, a été conduite à quitter l’Opéra-Bastille pendant une représentation de La Traviata de Verdi, et ce, à la demande de l’administration de cet établissement. Cette décision a été prise suite à une réaction de choristes refusant de jouer devant elle si elle ne retirait pas ce voile. Une décision qui s’est imposée en application de la loi du 11 octobre 2010 qui définit que "Nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue vestimentaire destinée à dissimuler son visage". Une loi qui concerne toutes les formes de dissimulation du visage et non seulement le voile intégral.

L’incident a fait grand bruit. Il a fallu pourtant attendre une quinzaine de jours pour qu’il soit révélé par la presse. Un élément sans doute à mettre au compte d’un contexte de tensions sur la place que l’islam peut se faire dans notre société, sur fond d’affirmations et de revendications identitaires à caractères religieux qui rebattent l’actualité.

Cette loi a été contestée par certains comme stigmatisante pour les musulmans, comme si elle les visait tous, alors qu’elle concerne une pratique minoritaire, poussant la lecture des textes religieux à l’extrême, que l’on pourrait définir comme étant à tendance sectaire, bien mauvaise ambassadrice pour eux. Régulièrement, lors des contrôles de police envers des personnes contrevenant à la loi donnant lieu à une verbalisation, on a assisté à des débordements et des violences, comme dans les quartiers sensibles d’Argenteuil, de Trappes ou encore de Marseille. Des contrôles vécus curieusement comme une atteinte à la liberté de pratiquer son culte ou de revendiquer un particularisme sans entrave.

Il est vrai que le Conseil Français du Culte Musulman, au cours des débats qui ont précédé la loi s’est dit défavorable à celle-ci par crainte selon lui, d’une instrumentalisation. Il avançait que cela ne concernait qu’un petit nombre de personnes, que ce phénomène relevait d’une pratique religieuse basée sur un avis minoritaire, en encore que chacun prenne en compte, dans l’exercice de sa pratique religieuse ou culturelle, la perception de cette pratique par le reste de la société, renvoyant le problème à un choix individuel.
Il rajoutait pour faire bonne mesure que "Chacun doit reconnaître à l’autre le droit à la différence." Une formule dont on connait les risques, car cette affirmation d’un droit à la différence en apparence généreuse en liberté, peut aboutir à une différence des droits entre les individus selon leurs différences.
Si ce droit à la différence tend à justifier une logique d’enfermement communautaire derrière laquelle les individus perdent leur autonomie de choix, il pousse aussi au développement de groupes identitaires rivaux revendiquant des droits particuliers, généralement sur le mode du clientélisme politique, faisant voler en éclat toute idée d’égalité de tous devant la loi.

La loi protège ainsi les individus contre ce risque, c’est pour cela qu’elle est générale et comprend en cas de non-respect, des sanctions. Contrevenir à la loi est sanctionné d’une amende de seconde classe d’un montant maximum de 150 euros, voire l’obligation d’effectuer un stage de citoyenneté autrement dit, faire retour sur nos valeurs communes, nos libertés et droits fondamentaux, qui font la citoyenneté républicaine.
Plus, "le fait pour toute personne d’imposer à une ou plusieurs autres personnes de dissimuler leur visage par menace, violence, contrainte, abus d’autorité ou abus de pouvoir, en raison de leur sexe, est puni d’un an d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende. Lorsque le fait est commis au préjudice d’un mineur, les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et à 60 000 € d’amende."
On voit ici que la loi protège l’individu qu’il soit consentant ou non, que ce soit au nom de la tradition, de la religion ou de tout autre motif. La loi doit bien être la même pour tous, limitant non la liberté de croire qui n’a pas de limite, mais l’expression religieuse qui elle doit en rencontrer, si l’on veut préserver les autres libertés.

Il est un fait qu’aux yeux de notre République, la liberté de l’individu est supérieure à tous les particularismes, qui ne peuvent ainsi s’insérer entre lui et ses droits dont il est le seul propriétaire. Ainsi, pour faire respecter ce principe, on ne peut laisser dériver trop loin les particularismes auxquels il faut à un moment fixer la limite. C’est ce que fait tout simplement cette loi.

Rappelons au passage que le Conseil constitutionnel, qui veille au respect de la Constitution, a été consulté et n’a rien trouver à opposer à la loi.
Que, d’autre part, la Cour européenne des droits de l’homme a en quelque sorte validé la loi, en déboutant le 1er juillet dernier une femme qui avait présenté un recours contre celle-ci, revendiquant de porter le voile intégral sur notre territoire [1]. La CEDH a justifié sa décision de façon fort intéressante en répondant au Gouvernement Français qui invoquait "Au titre de la "protection des droits et libertés d’autrui", "le respect des exigences de la vie en société (le "vivre ensemble").
La Cour admet que la clôture qu’oppose aux autres le fait de porter un voile cachant le visage dans l’espace public puisse porter atteinte au « vivre ensemble". A cet égard, elle indique prendre en compte le fait que l’État défendeur considère que le visage joue un rôle important dans l’interaction sociale."
On voit déjà ici exposée une explication qui relève d’une certaine pédagogie de la sociabilité dans une société démocratique qui implique l’ouverture aux autres et non la segmentation, particulièrement au regard des principes de liberté et d’égalité dont elle s’est dotée, indissociables de la définition de la citoyenneté.

Aussi, si l’islam a son chemin à faire pour trouver les voies de sa modernisation, le Coran à la sourate 33 verset 59 prescrivant bien aux femmes "d’abaisser un voile sur leur visage (…) marque de leur vertu", avec dans ce prolongement, toute une série de références qui instituent l’infériorité juridique des femmes [2], pour autant, cela ne va pas sans que la société française ne se préoccupe de la façon dont elle peut être comprise par l’ensemble de ceux qui vivent sur notre sol et sont censés former une seule communauté humaine qui fonde la Nation, par-delà leurs différentes appartenances identitaires d’une origine ou d’une religion.

Il en va de la faculté à ce que cette communauté humaine développe cette forme de conscience d’être unie par une identité historique, politique, culturelle, linguistique, une destinée commune… générant la cohésion sociale. Si l’on entend penser la notion de vivre ensemble, c’est là sans doute qu’elle doit nous parler le mieux. Vivre ensemble commence par la volonté de faire société et aucune société n’est qu’une simple addition de différences.

Pour mieux comprendre le sens de cette loi, il faut se tourner du côté de ses motifs, qui renferment en général les réponses aux interrogations qu’elle mobilise, tout particulièrement dans ce cas d’espèce. On en trouve l’énoncé précisément dans la circulaire de mise en œuvre de la loi du 2 mars 2011, rarement citée, et qui pourtant nous éclaire sur ce que vivre-ensemble veut dire.

"La loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public marque la volonté de la représentation nationale de réaffirmer solennellement les valeurs de la République et les exigences du vivre ensemble. Se dissimuler le visage, c’est porter atteinte aux exigences minimales de la vie en société. Cela place en outre les personnes concernées dans une situation d’exclusion et d’infériorité incompatible avec les principes de liberté, d’égalité et de dignité humaine affirmés par la République française. La République se vit à visage découvert. Parce qu’elle est fondée sur le rassemblement autour de valeurs communes et sur la construction d’un destin partagé, elle ne peut accepter les pratiques d’exclusion et de rejet, quels qu’en soient les prétextes ou les modalités."

On trouve rarement dans la loi une expression aussi claire de ce qui peut la motiver et permettre à chacun de se reconnaitre dans ce qui fait le bien commun et l’intérêt général, en constituant à la fois une protection et un progrès pour tous. Pour tous, car, dans cet état d’esprit, la loi du 11 octobre 2010 rend un formidable service aux musulmans de France en excluant de confondre l’islam avec la pratique d’un voile intégral ressentie comme dégradante et régressive. Il en va ici d’une atteinte violente à la personne humaine à travers la disparition de son être, par cet effet d’effacement de l’identité de l’espace commun, de l’espace public où l’on se montre à l’autre pour s’en faire normalement reconnaitre.

Il n’est pas anodin que ce soit encore là les femmes qui aient à en subir le prix. Toutes les religions sont issues de sociétés patriarcales et violentes qui ont fait une place aux femmes selon une logique de domination qu’il est question de dépasser résolument, comme cette loi y participe.

La place nouvelle de la femme dans le droit, à travers la conquête de son égalité, qui s’est affirmée au XXe siècle dans bien des pays ayant développé la démocratie, a été une avancée qui a constitué pour notre modernité un moteur d’émancipation pour toute la société, dont nous ne mesurons pas encore la totalité des effets, des progrès. On le voit d’ailleurs bien à travers ce que l’histoire met en jeu aujourd’hui, à l’aune du mélange de populations appelées à vivre ensemble formées d’individus qui doivent tous pouvoir en bénéficier, dont le caractère est universel à l’adresse de la personne humaine."

Lire "Interdiction du port du voile intégral : ce que la circulaire d’application nous dit du sens de la loi".

[2La femme n’est désignée dans le Coran que comme croyante, épouse et mère avec l’affirmation de la prééminence de l’homme sur elle (Sourate 2 versets 228) ; le témoignage d’une femme vaut la moitié de celui d’un homme (Sourate 2 verset 282) ; la femme perçoit la moitié de la part dévolue à l’homme lors d’un héritage (Sourate 4, versets 12) ; l’homme a droit à la polygamie (Sourate 4, versets 3) et à répudier sa femme (Sourate 2, versets 226 à 233) ; "Les hommes sont supérieurs aux femmes à cause des qualités par lesquelles Dieu a élevé ceux-là au-dessus de celles-ci (…) Les femmes vertueuses sont obéissantes et soumises…" (Sourate 4, versets 38 et suivants).


"Guylain Chevrier est membre de la mission laïcité du Haut Conseil à l’Intégration (2010-2013), formateur en travail social et chargé d’enseignement à l’université. Il est également docteur en histoire."

Lire aussi G. Chevrier : Spectatrice voilée évacuée de l’Opéra (Europe 1, 21 oct. 14), "Une riche touriste voilée intégralement priée de quitter l’Opéra" (metronews.fr , 19 oct. 14) (note du CLR).


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