Revue de presse

"Henri Caillavet, un législateur hors du commun" (lemonde.fr , 27 fév. 13)

27 février 2013

"A 99 ans, la disparition d’un homme politique apparait comme hors du temps. De quelle République était Henri Caillavet, mort le 27 février ?
De la IVe, sûrement ; c’était celle qui lui avait permis, dès le 2 juin 1946, à 32 ans, de représenter le Lot-et-Garonne à la seconde Constituante. L’avocat et jeune député radical, ancien "passeur" d’armes pour les républicains espagnols, puis ancien résistant et ancien interné, eut la lourde responsabilité, deux ans après la Libération, dans un cénacle très confidentiel, celui de la franc-maçonnerie, de jouer le rôle de procureur face à certains quémandeurs, tentant de faire oublier leur port de la francisque. Henri Caillavet se fit des amis, mais dès lors beaucoup d’ennemis.

La "proposition de loi" devient, déjà, son arme de prédilection : sept jusqu’en 1951, puis une rafale de vingt-quatre textes jusqu’en 1956 ! Mais dans cette armurerie législative, certains exposés des motifs annonçaient déjà le législateur et le futur rapporteur qu’il serait dans la République suivante : législation sur l’avortement, régimes matrimoniaux, divorce par consentement mutuel, etc... Comme si l’instinct de survie en politique commande à tout élu de ne compter que sur lui-même, Henri Caillavet se constituait déjà un solide portefeuille d’idées à redistribuer, de débats de société à provoquer avec des "coudées franches".

De la IVe République, le député du Lot-et-Garonne, en extrayait encore les jours heureux et ceux qui l’étaient moins lorsqu’on exerce des fonctions ministérielles : à l’outre-mer, en 1953 dans le gouvernement de René Mayer, mais surtout trois fois dans les gouvernements de Pierre Mendès France, auprès d’Edgar Faure, puis de François Mitterrand, en 1954 et 1955. La fin de la belle histoire du radicalisme herriotiste, comme pour d’autres socialistes, démocrates-chrétiens, libéraux, ou républicains de progrès, se terminait en novembre 1958 ; ayant refusé la confiance au général de Gaulle et voté contre les pleins pouvoir, Henri Caillavet subissait le verdict des urnes. Redevenu avocat de plein exercice, il assurait loin des hémicycles son indépendance financière, celle qui allait lui permettre de ne devoir rien à qui que ce soit lorsque les "avis de tempête" ouvriraient de nouveau la voie au débat démocratique.

La Ve République a commencé en 1967 pour Henri Caillavet lorsque, suppléant de Jacques Bordeneuve devenu député du Lot-et-Garonne, il lui succède au Sénat. Et finalement, la Ve sera son bonheur. A la Haute Assemblée, sa force de travail se moque du cumul des mandats ; au Parlement européen, il ferraille avec les Anglais pour défendre la PAC et bataille avec succès contre la technocratie bruxelloise ; dans le Lot-et-Garonne, au conseil général ou à Bordeaux au conseil régional, il mesure les besoins ruraux et y fait redistribuer tout ce que les fonds structurels peuvent apporter à l’accompagnement de la modernité et du changement, tout en observant qu’"au pas des bœufs ", comme il disait si bien, les réformes sont toutes aussi bien menées à terme, et le plus souvent avec plus de qualité ; et dans les Hautes-Pyrénées, dans son village de Bourisp dont il est maire, il puise le bon sens et en retient toute la modestie.

[...] Une fois rapporteur de la loi Veil et de celle sur le divorce par consentement mutuel, en 1974 et 1975, le sénateur change de braquet et accélère ; il fait voter sa propre proposition sur les greffes d’organes, qui devient la loi Caillavet.

Loin des systèmes d’alliance et des luttes de pouvoir le voilà, au Sénat, un vrai législateur, usant, sans ménagement, du pouvoir de contrôle législatif sur le gouvernement ; respecté de tous, du parti communiste au RPR, parce que lui-même respectait les autres et que ses plaidoiries des causes justes avaient pour philosophie – comme il se plaisait à le clamer – que l’on était "intelligent aussi avec la tête des autres" ; respecté de l’administration entière du Sénat et des fonctionnaires qui l’ont assisté et conseillé, il poussait davantage l’esprit de réforme dans le seul but humaniste et républicain de l’intérêt général.

Comme si l’avocat s’imposait une "obligation de résultat", ses combats devaient réussir... et ils réussirent sous le septennat de Valéry Giscard d’Estaing, puis sous celui de François Mitterrand : de la lutte contre la fouille des véhicules et de son succès au Conseil constitutionnel, de sa proposition d’un tribunal de l’informatique, de ses propositions de réformes constitutionnelles, de celle, en 1980, de la "proportionnelle municipale majoritaire", de l’enquête sur le "fichier des juifs", ou de la guérilla sans répit sur les atteintes aux libertés publiques ou à celles confisquant l’expression libre sur les ondes ; bataillant avec succès et faisant reculer le pouvoir pour défendre les radios locales, la télévision future câblée, les fonds de création télévisuelle, la transparence et le pluralisme de la presse, le droit des automobilistes. Et surtout, avant tout le monde – et parfois face à une gauche timorée, conservatrice – ses propositions de loi très médiatisées, courageuses à l’époque, faisant l’objet pour certaines d’entre-elles de débats sans vote (!) : la réforme de l’internement psychiatrique, l’insémination artificielle, la dépénalisation de l’homosexualité, le droit de vivre sa mort (avec son collègue Jean Mézard, le père de l’actuel président du groupe RDSE).

Le législateur vrai, authentique, aidé bien évidemment par ses convictions philosophiques humanistes (33e au Grand Orient) et de libre penseur était avant tout généreux, rigoureux avec lui-même ; sa force de vie pour les autres était au Parlement, et lorsque la rumeur courut qu’il pouvait devenir un ministre d’ouverture de Valéry Giscard d’Estaing, ceux qui travaillaient à ses côtés ou d’illustres collègues sénateurs de tous bords, peuvent témoigner encore que ses convictions étaient à gauche. [...]"

Denys Pouillard,
Directeur de l’observatoire de la vie politique et parlementaire

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