Revue de presse

"Visites discrètes, démissions et anathèmes : l’histoire cachée du collège des Bernardins" (L’Express, 23 mars 23)

25 mars 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Autour de la drôle d’histoire entre l’ex-archevêque de Paris et une enseignante favorisée, le collège des Bernardins a traversé bien des turbulences. Enquête sur un lieu prestigieux où se pressent Gad Elmaleh, Emmanuel Faber, Mélenchon, Ruffin ou Fanny Ardant. Mitre, vaudeville et cols romains.

Par Emilie Lanez

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[...] A l’œuvre, un duo, uni selon ses propres dires par une "connivence spirituelle" : Michel Aupetit, 72 ans, évêque de Paris et donc autorité tutélaire du collège (jusqu’à sa démission en 2021), et une enseignante, la sémillante théologienne belge, Laetitia Calmeyn, 47 ans, alors directrice de l’Institut des sciences religieuses, par ailleurs une des trois femmes consulteurs au Dicastère pour la doctrine de la foi, l’organe du Vatican chargé de "promouvoir et de protéger la doctrine". Démissions, conseils d’administration chahutés, nominations arbitraires, dépenses désordonnées ; "raconter les Bernardins, c’est une manière de décrire le naufrage de l’Eglise de France", chuchote un haut responsable du culte, éloigné désormais du diocèse de Paris.

Pour comprendre ce drôle de drame, il faut remonter aux fondations. Début 2000, l’archevêque de Paris, Jean-Marie Lustiger, né dans une famille juive, converti à 14 ans, veut récupérer l’édifice. Une folie. Construit au XIIIe siècle, celui-ci s’enfonce dans les sols marécageux, les maîtres d’œuvre cisterciens ont cru bien faire, mais leurs pieux de chêne, n’ont pas tenu. Ça vrille, s’affaisse. Après que sous la Terreur quelques bagnards y furent massacrés, le pauvre couvent devint réservoir de farine, hospice, fonderie de suif, boucherie, magasin d’huile. En 1844, on rase la charpente, place aux pompiers durant cent cinquante ans, (cette adresse, 18, rue de Poissy, est à l’origine du choix du 18 comme numéro de téléphone pour les joindre). Qu’à cela ne tienne, Lustiger propose de racheter. Enfin, pas tout seul. L’Etat finance un tiers des travaux, un autre est assuré par du mécénat et le dernier couvert par des emprunts.

Tandis que le diocèse déménage de son hôtel particulier, rue de la Ville-l’Evêque, pour louer celui-ci à l’homme d’affaires Xavier Niel, fondateur et vice-président d’Iliad, groupe de télécoms et de médias, Maurice Lévy, PDG et fondateur de Publicis, grand ami de Lustiger, bat le rappel des grands, très grands donateurs, pas tous cathos, tant s’en faut, mais tous touchés par la magie de ce qui, en son temps, fut la deuxième plus grande nef de France. Commencent sept ans de travaux, 300 micropieux enfoncés, coût colossal de 50 millions d’euros. En 2005, au seuil de la mort, Lustiger, épuisé, se hisse sur les échafaudages. L’Eglise, dit-il, "n’a pas seulement à enseigner au monde, elle a aussi à être instruite du monde", et c’est là sa vision du collège ressuscité : un lieu d’échanges, où les catholiques bavarderont avec les athées, les matérialistes, les scientifiques, les musulmans, les juifs, un lieu où ce culte questionnera et affrontera la modernité. Sur les fonts baptismaux, une kyrielle de noms fameux, 32 en tout, associés dans le "comité de parrainage de la fondation des Bernardins" : Maurice Lévy bien sûr, mais aussi Jacques Delors, Michel Pébereau, Geoffroy Roux de Bézieux, Herman Van Rompuy, Jean-David Levitte, Pascal Lamy, Isabelle Kocher, Anne Lauvergeon, Hélène Carrère d’Encausse, Patricia Barbizet, qui acceptent d’offrir leur nom au projet.

Les cathos ont le mal de mer
2008, inauguration par Benoît XVI. Six cent cinquante invités, le gratin des arts, des lettres, des sciences, du pouvoir dont Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chirac, le préhistorien Yves Coppens, le metteur en scène Olivier Py et même la peu chaste écrivain Catherine Millet. Les débuts sont piquants. Premier titulaire de la chaire, le philosophe et historien Marcel Gauchet, "pas suspect d’attache confessionnelle", comme il sourit, amusé. L’époque est à l’ouverture, on accueille des libres penseurs, des bouffeurs de curé, des artistes urticants. "Nous, les cathos, en avions parfois le mal de mer, et c’était formidable, abrasif, la provocation fait alors partie du jeu", se souvient François Morinière, ancien administrateur et ex-directeur général du groupe L’Equipe. C’est le but. Faire bouger les lignes tout en affirmant son credo.

Tout change dès 2017 et Michel Aupetit, nouvel archevêque. Ce dernier se méfie de "ce truc d’intellos", comme il le surnomme, et au printemps suivant, lors d’un conseil d’orientation électrique, il dégaine. Profitant du vieillissement de la génération de dirigeants époque Lustiger, il met les Bernardins à sa sauce. Exit les grands patrons cathos ayant fait leur temps, tel que l’ancien secrétaire général de SFR, ou l’ancien PDG de Réseau ferré de France. Bien qu’ayant confié un mandat au cabinet de recrutement Egon Zehnder, il sort de sa mitre des noms à lui. Comme Jean Chausse, ancien directeur financier d’Auchan, choisi comme économe du diocèse. Ou Laurent Landete, ayant travaillé neuf ans à la communauté de l’Emmanuel, mouvement d’église charismatique, nommé directeur général. En interne, ça tousse. Bientôt le président, Alexis Leproux, ecclésiastique et intellectuel de haute voltige, claque sa démission, pestant qu’on "ne conduit pas avec quatre mains sur un volant". Mis en pause, le conseil d’administration hiberne, deux de ses membres - François Morinière et Laurence Houdeville, experte de la data au groupe Renault - en prennent congé. "Cette instance, indûment appelée conseil d’administration canonique n’a aucune valeur juridique. Les décisions reviennent au conseil diocésain pour les affaires économiques", justifie le nouveau directeur Landete.

Lors de ce grand ménage est également poussé dehors Bertrand de Feydeau, président historique de la fondation. Qui pour lui succéder dans cet organe central, le nerf de la guerre, chargé de trouver chaque année 4 millions d’euros, la moitié du budget total de fonctionnement ? Qui pour "vendre" les Bernardins dans Paris ? Des noms circulent. Marie-Pierre de Bailliencourt, aujourd’hui directrice de l’Institut Montaigne, passée par McKinsey et Dassault Systèmes, serait un beau profil. Ou Bertrand Badré, ancien directeur de la Banque mondiale, ex-Crédit agricole et Société générale, aujourd’hui à la tête du fonds d’investissement à impact social positif Blue like an Orange. Durant l’été, ces candidats apprennent via un coup de fil embarrassé que "Monseigneur" a choisi : Jean-Marc Liduena, un ancien de chez KPMG et Unilever, ex-président des alumni de l’Insead. Excellent profil, professionnel reconnu et apprécié, mais voilà, toujours ces choix solitaires. "Son enthousiasme, son énergie et sa disponibilité sont adéquats avec la fonction", commente, laconique, Michel Aupetit.

Coitus interruptus
Tandis que les Bernardins se renouvellent dans la douleur, à la faculté de théologie les cols romains s’étranglent. C’est ici en effet que l’amie de l’archevêque prend ses aises. La "vierge consacrée" au sourire radieux, Laetitia Calmeyn, spécialiste de théologie morale, et jusqu’à récemment la directrice de l’Institut supérieur des sciences religieuses, partage beaucoup avec l’évêque. Qui lui dédia son premier livre en tant que patron de l’Eglise de Paris, un ouvrage qui surprit les fidèles, s’étonnant d’y lire sous sa plume un dégagement sur les bénéfices du coitus interruptus. Le lien entre une enseignante et son autorité de tutelle va très vite assombrir les cieux de la faculté, là où se forment 119 séminaristes. En 2020, le doyen Emmanuel Petit, docteur en droit canonique, s’attelle ainsi à trois réformes (statuts de la faculté, programmes et règlement intérieur). A chaque étape, un vote. Favorable, à l’exception du bulletin de Laetitia Calmeyn. Et là, par trois fois, malgré ces scrutins positifs, ses projets lui reviennent de chez Aupetit, corrigés et… miraculeusement fidèles à la ligne minoritaire de l’unique opposante. Idem pour les projets de thèse. Alors que son sujet est accepté par le conseil, et ce malgré un vote défavorable du Pr Calmeyn, voici un étudiant soudain convoqué par l’évêque, qui lui passe un savon. Effrayé, le jeune homme fera sa thèse au centre Sèvres. Dans la salle des profs, la théologienne se montre plus directe, prenant à partie ceux dont elle fustige les "déviances". Comme ce spécialiste de Karl Rahner, immense théologien du XXe siècle, l’un des experts du concile Vatican II, "un hérétique" s’indigne-t-elle, poussant l’accusé, fou de rage, à lui balancer en retour qu’elle serait quant à elle "une idéologue rigide". Ou ce professeur, qui, bouleversé par l’incapacité de l’Eglise à éradiquer les abus sexuels commis par son clergé, s’aventure à désigner les méfaits d’une pensée thomiste toujours à l’œuvre, et se voit pour ces propos vilipendé par Calmeyn. Elle lui reprochera devant ses étudiants d’être l’apôtre d’"un dangereux relativisme". On ne critique pas l’Eglise, quoiqu’elle fasse, quoiqu’elle commette !

C’est qu’elle n’admire qu’une figure, celle d’Albert Chapelle, théologien belge lui aussi, mort en 2003. "Un gourou, obsédé par la morale sexuelle", s’étranglent ses opposants. Ainsi posée, la dispute paraît picrocholine, voire absconse, en réalité, elle est fondamentale. Imposer les idées d’Albert Chapelle à la faculté des Bernardins, c’est raidir, enfermer, assécher. "Elle met en œuvre une théologie idéologique, refusant l’insertion dans le débat international, chassant la diversité des courants à l’intérieur de la faculté, elle est convaincue de faire la seule théologie valable et se croit investie d’une mission de conversion à ce modèle", claque un bibliste réputé, enseignant depuis dans une autre faculté de théologie parisienne. "Il est normal qu’il y ait différentes sensibilités et approches parmi les enseignants", observe, impavide, Laetitia Calmeyn, notant que sa nomination au Vatican "a vraisemblablement suscité quelques jalousies".

"Un gourou obsédé de morale sexuelle"
Dans ces eaux déjà agitées, la foudre frappe en décembre 2021. Soupçonné d’avoir entretenu une liaison avec une personne vulnérable faisant l’objet d’une mesure de protection judiciaire, Michel Aupetit doit démissionner. À la suite d’un signalement du diocèse, le parquet de Paris ouvrira, début janvier 2023, une enquête préliminaire. Au cœur du scandale, tétanisant l’Eglise de France et singulièrement les Bernardins, l’archevêque est photographié par Paris Match se promenant en forêt avec Laetitia Calmeyn. La publication trouble. Ecran de fumée pour donner à croire que la personne avec laquelle l’évêque serait soupçonné d’avoir eu une liaison est une adulte consentante, libre de ses choix ? Un stratagème volant paradoxalement à son secours ? Ou bien une erreur de personne commise par l’hebdomadaire ? Quoi qu’il en soit, un essaim de paparazzis fond sur la rue de Poissy, obligeant la quadragénaire à sortir cachée par une porte arrière, tandis que sous la charpente majestueuse, les théologiens, amis du temps éternel, ne savent plus quel saint invoquer dans leurs prières.

Un évêque intérimaire nommé à la hâte par le Vatican, ces universitaires en profitent. Le 13 janvier 2022, ils demandent que le conseil scientifique discute du "positionnement de Madame Calmeyn". Sujet retiré de l’ordre du jour. Mars 2022, conseil du doyen, nouvelle tentative et nouvel escamotage. Cette fois, attrapant leur cartable et leur Bible, ils déménagent. La nouvelle équipe, forte du soutien du successeur d’Aupetit, Laurent Ulrich, tente depuis lors de ramener la concorde. [...]"


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