Ecrivain et journaliste algérien. Prix international 2020. 16 novembre 2021
Mesdames et Messieurs
Bonjour,
Le sens d’un mot n’est jamais arrêté pour toujours. On le sait par les dictionnaires mais aussi par nos vies, par nos savoirs et par nos enquêtes sur le pouvoir si mystérieux de la langue. Le sens d’un mot procède de l’histoire, du siècle ou de l’usage. Il glisse, change, surprend et s’approprie des parentés invraisemblables et se contamine par l’exotisme ou l’inconnu. C’est alors que d’une époque à l’autre, il désigne ce pourquoi il n’est pas né et ce qu’il va aider à faire naître.
Mais on devine aussi que le sens d’un mot dépend surtout de nos actes. Il se charge de ce que nous sommes ou refusons d’être. Il est notre courage ou notre faiblesse. D’ailleurs, il m’arrive de soupçonner qu’un mot change de sens durant une seule journée, une seule heure. Il suffit d’une humeur, un visage ou un temps mort.
Et de tous, je préfère le moment où un mot dépend de mes actes. Arraché à l’adversité ou à la paresse.
Ainsi il en va du mot « laïcité » pour moi, pour nous. Nous le comprenons aujourd’hui il nous faut tout expliquer à nouveau car le nouveau siècle va mal. Ainsi, pour « Laïcité », il ne s’agit pas de séparer seulement l’Église de l’État mais la liberté de la mort, la croyance de la vérité, le marchandage de la foi, la violence de l’acceptation, la tolérance de la ruse et le vivre du survivre. C’est que désormais il nous faut redéfinir, vite, pour parer aux catastrophes, réapprendre le sens du mot et l’ouvrir à la conséquence de nos engagements et certitudes.
C’est que peut-être on oublie que ce mot, « Laïcité », si simple est aujourd’hui si chargé d’accaparations et de falsifications qu’on en néglige la vertu vigoureuse et la nécessité qui est la sienne, désormais universelle.
Dans le monde dit « arabe », « Laïcité » a mauvaise presse. Voulu par l’adversité intolérante, les radicalités traitres. Ce sont les intégrismes et les terrorismes qui le définissent, s’accaparent ce mot, et d’autres encore dans leur lente et sournoise conquête du réel. Les fascismes savent que le premier acte est celui de l’appropriation de la langue et sa perversion. Les totalitarismes vécus nous l’ont prouvé si bien, si tragiquement. Alors ce mot, que signifie-il ailleurs ? Voilà le sens que lui donnent ceux qui veulent en tuer le sens et nous avec : traitrise, islamophobie, athéisme, croisade…etc. Séparer religion et politique est le cauchemar de ceux qui ont des prénoms de Dieux. Et des projets de dictatures.
Donc ce mot est à défendre. Dans son sens essentiel, partagé, vécu, prouvé. Il dépend de l’histoire mais aussi de chaque jour. Il a le sens de nos générosités et de nos peurs. J’aime y mettre mon espoir de voir chacun poursuivre son chemin intime, dans sa liberté, sans imposer à l’autre la vérité qui n’est jamais humaine. J’aime croire que le sens de ce mot peut définir mon rêve de l’humain et du bonheur. J’aime croire que c’est la seule voie possible pour que les religions ne nous soient pas meurtrières et que nous puissions vivre avec la dignité légitime de nos doutes. Et j’aime croire que c’est une voie de guérison ailleurs comme ici. J’aime aussi répéter que ce n’est pas une trahison, ni une agression, ni une déloyauté que de défendre la laïcité.
Mais qu’il s’agit d’un acte de bonne foi, généreux et d’un chemin de crête entre les intégrismes de tout bord. Et je voudrai en définir le sens sain et généreux aux miens, partout, pour que cesse la terreur, la fascination pour la mort et la violence.
C’est pour toutes ces raisons Mesdames et Messieurs que je remercie ceux qui aujourd’hui m’ont décerné ce prix, pour leur confiance mais aussi pour leur courage. A la définition si laborieuse, si difficile, si urgente de la laïcité, j’ajouterai désormais mon humble effort.
Je vous remercie.
Voir aussi la rubrique Prix de la Laïcité 2020-2021 dans Prix de la Laïcité (note du CLR).
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