"Faux amis de la laïcité et idiots utiles" (CLR, Licra, 5 nov. 16)

VIDEO Brice Couturier : Les médias malades de la bien-pensance (Colloque du 5 nov. 16)

Editorialiste, chroniqueur sur France Culture, collaborateur du "Point". 7 novembre 2016

Deux anecdotes. Au lendemain des attentats du 22 mars à Bruxelles, nous recevions aux Matins de France Culture, deux invités belges pour commenter l’horreur. L’un des invités, David Van Reybrouck, s’est félicité que le premier ministre de son pays, contrairement au président de la République et au Premier ministre français, n’ait pas évoqué le spectre de la « guerre ». Allant plus loin, il expliqua qu’il était fier, en tant que Belge, que son premier ministre n’ait pas employé le mot terroriste. Interloqué, je lui demande pourquoi. « Parce que c’est stigmatisant », me répond-il. Je me suis un peu énervé lui demandant « qui serait stigmatisé » par l’emploi du mot terroriste pour désigner les auteurs d’un tel acte ?

Un autre invité croit malin, quelques jours plus tard, de me rappeler que « les terroristes des uns sont des résistants pour les autres »… Et qu’il faut donc ne pas dégainer ce mot trop vite.

Et voilà le retour du vieux relativisme, refusant toute qualification d’un acte meurtrier, sous prétexte que l’histoire n’a jamais prononcé son dernier mot…

Mais si les mots ont un sens, assassiner des civils au hasard dans un métro ou dans les rues de Paris, c’est un acte terroriste. Il s’agit de sidérer, de tétaniser une population, afin de lui imposer des choses dont elle ne veut pas. De désarmer son désir de résister. Un attentat terroriste est, par définition, aveugle. Ses auteurs et commanditaires veulent démontrer que nul n’est à l’abri. Que n’importe qui peut être frappé.

Un acte de résistance consiste, au contraire, en une opération militaire ciblée sur les représentants d’un pouvoir ennemi, sur ses dirigeants. La Résistance anti-nazie dans l’Europe occupée visait des officiers, et cherchait à épargner les simples soldats.

Un Etat peut terroriser sa population, afin de l’empêcher de lui opposer une résistance. On voit ça par ex dans La fête au bouc de Vargas Llosa. Un Etat, par contre, ne saurait faire preuve de « résistance » envers sa population.

Le terrorisme, la Résistance…

Les mots doivent garder leur sens. Mais un tas de petits malins ont intérêt à brouiller les cartes, à faire mentir les mots, à truquer le vocabulaire…

« Beaucoup de malhonnêtetés naissent quand on massacre la langue, qu’on met le sujet à l’accusatif et le complément d’objet au nominatif, brouillant ainsi les cartes, intervertissant les rôles des victimes et des bourreaux, abolissant les distinctions et les hiérarchies en de crapuleuses orgies de concepts et de sentiments qui altèrent la vérité »

écrit Claudio Magris dans Utopie et désenchantement.

Le même écrivain belge s’est fendu à l’époque d’une tribune dans Le Monde, pour dénoncer la « rhétorique guerrière » employée par les dirigeants français.

Je n’ai pas eu la présence d’esprit de lui rappeler l’excellente sentence de Raymond Aron, qui écrivait, dans L’Opium des intellectuels : « La qualification morale ou juridique d’un acte n’est pas modifiée par le cours des événements ultérieurs » (142). Un crime terroriste est un crime terroriste et le demeurera quel que soit le cours ultérieur de l’histoire. Un assassin est un assassin. L’histoire n’en fera pas un héros. Jamais.

Même si la fascination suspecte de certains intellectuels pour une violence héroïsée les pousse à imaginer que tel est parfois le cas.

Mais ce qui m’a frappé, ce matin d’avril, fut de me sentir si seul face à cette bêtise doublée d’une abjection. Alors que nos médiateurs se targuent de guetter et de signaler les « dérapages », dans certains cas, face à certains égarements, ils oublient de s’indigner. Traiter de résistants éventuels des terroristes fait figure d’élégant paradoxe… On laisse passer. Mais si une telle confusion volontaire avait été proférée par un invité d’extrême droite ? Qu’en dirait le journaliste ? La réponse est aisée…

Il est clair que, aussitôt que le spectre de l’islam rôde autour d’un sujet, le Parti des Médias perd ses repères habituels. Il ne sait plus où il en est. Sa boussole se dérègle…

Dans le même registre, celui d’une police orwellienne du langage, un collègue qui lit son billet chaque jour sur une radio publique, prend soin, comme nous le faisons tous, d’écrire à destination de l’animatrice de l’émission, les questions et les réponses qu’il est censé faire à ses propres questions. L’une de ses questions comportait ce jour-là le mot « islamiste ». Elle lui confie hors micro : c’est un mot que je ne prononce jamais. Elle le raye et le remplace par « intégriste ». Pendant les infos, elle lui explique : c’est un mot connoté. C’est pour ça que je ne l’emploie jamais. Mais enfin, « intégriste », c’est noyer le poisson. Il y a des protestants et des bouddhistes intégristes. Jusqu’à preuve du contraire, ils ne tirent pas à la mitraillette sur les consommateurs des cafés…

Censure, auto-censure. Ce ne sont pas des rumeurs, c’est du vécu.

Auto-censure, on le la voit à l’œuvre, lorsque le Parti des média cherche à dissimuler la nature des crimes commis. Combien d’attentats ont été, pensant si longtemps, cachés au public auquel ils ont été présentés comme des « gestes de déséquilibrés »…. ? Souvenons-nous de ces étranges « pétages de plomb » survenus lors de marchés de Noël.

De la manière dont l’AFP présente les attentats commis en Israël. Des Palestiniens sont « tués par l’armée israélienne », lit-on en titre de communiqués dans lesquels on découvre qu’ils venaient de commettre un attentat et s’apprêtaient à frapper à nouveau.
Quand une rédaction est informée de manière aussi tendancieuse, comment s’étonner que ses journalistes refusent toute comparaison entre ce qui se passe là-bas et ce qui se passe ici. « Ca n’a rien à voir ! » me crie ce collègue, furieux que j’ose le parallèle.

Lorsque l’existence d’un attentat ne peut plus être nié, alors ce sont ses motivations qui font l’objet d’un déni.

L’attentat de juin dernier à Atlanta a été requalifié de « crime homophobe » ; alors que les motivations du tueur, Omar Mateen, étaient on ne peut plus claires ; c’est en tant qu’islamiste qu’il a attaqué les clients du club homosexuel The Pulse. « On ne connaît pas les motivations du tueur », écrivait la presse dans un premier temps. Avant de donner la parole à son père, selon lequel, bien entendu, la haine de son fils pour les homosexuels n’avait rien à voir avec la religion… ». Si Omar Mateen a tué les clients du Pulse, c’est parce que les homosexuels sont considérés comme des monstres par les islamistes. Dans son horrible califat, Daech en a précipité plus d’un du haut d’un immeuble. Et lorsque le Parti des média commente, en affirmant que « toutes les religions sont homophobes », il procède à une dissimulation.

De même, après chaque attentat commis aux Etats-Unis, les journalistes mettent en cause la circulation des armes à feu dans ce pays….Comme si c’était l’origine du problème. La Grande Bretagne est très stricte sur ce sujet, ça n’a empêché aucun attentat. Certains ont été commis à la hache. Mais on peut ainsi détourner l’attention vers des problèmes périphériques.

Quand Mohamed Merah tue à bout portant des enfants d’une balle dans la tête, c’est parce qu’ils sont Juifs et que ses donneurs d’ordre de l’Etat islamique ont appelé à « tuer des Juifs partout où ils se trouvent ».

Ensuite, les médias ont présenté ces attentats comme l’œuvre de « loups solitaires ». Des « isolés devenus fous ». Parfois même, des « victimes » (du racisme, de la discrimination, de la pauvreté, du chômage….) Mais ils avaient des commanditaires et on découvre que nombre de ces tueurs sont passés par les camps d’entraînement islamistes au Moyen Orient, en Syrie ou en Libye… Le terrorisme ne recrute pas parmi les damnés de la terre, mais souvent parmi des gens fort bien éduqués.

Jacques Julliard : « Il y a un problème de l’islamo-gauchisme. Pourquoi et comment une poignée d’intellectuels d’extrême-gauche, peu nombreux mais très influents dans les médias, ont-ils imposé une véritable sanctuarisation de l’islam dans l’espace politique français ? […] Pourquoi cette étrange intimidation parée des plumes de la morale ? » [1]

D’abord, il y a la peur des représailles. Pendant, longtemps, les plus hautes autorités – Barack Obama, de manière persistante – ont refusé d’attribuer les attentats à l’idéologie dont se réclamaient leurs auteurs – l’islamisme – de peur de provoquer une réaction contre les musulmans. Pas d’amalgame !

Après chaque attentat, on a entendu les journalistes guetter avec anxiété les ratonades anti-arabes, dénoncer par avance des pogroms racistes dont seraient menacés les populations de l’immigration. Où a-t-on vu se produire de tels phénomènes ?

Les gens sont-ils si peu éclairés qu’ils chercheraient à se venger du tueur antisémite de l’école Ozar Hatorah de Toulouse, des tueurs de Charlie, des assassins du Bataclan ou du monstre de la promenade des Anglais, sur des musulmans pris par hasard ?

Les journalistes prennent les gens pour des idiots. Cela fait longtemps que la population a saisi la différence entre islam et islamisme, religion et politique. Elle n’est jamais tombée dans le piège trop évident tendu par Daech et les autres islamistes : isoler les musulmans au sein du monde occidental, déclencher je ne sais quelle guerre de religion entre les « Croisés » et les musulmans.

L’explication la plus simple est la plus connue : les immigrés sont le prolétariat de substitution que nos marxistes défroqués ont élu pour provoquer leur révolution. La majorité de ceux-ci étant musulmans, défendre l’islam contre toute critique est donc un devoir moral et politique.

Dans une version radicale, cela donne l’étrange exaltation d’un Daniel Schneidermann, écrivant sur son site Arrêt sur Images, le 18 janvier de cette année, « L’insurrection, et si elle était là ? » La Révolution, tant attendue, et si elle était là ? Abject !

On comprend mieux l’avertissement à ne pas caractériser « trop tôt » les terroristes de terroristes… Et s’ils étaient des révolutionnaires ? suggère une partie de la gauche radicale….

La version qui a la faveur des médias est plus modérée : c’est le sociologisme banal. Les vraies causes sont la misère sociale et culturelle, le rejet dont les auteurs de crimes ont été l’objet, le racisme, bien sûr. Bref, les coupables sont « quelque part » des victimes… D’où la bagarre sémantico-conceptuelle entre Valls et une bande de sociologues sur les mots « comprendre et excuser » mise en scène par Libé et Le Monde, avec des tribunes de sociologues, rappelant sèchement le Premier ministre à l’ordre. Bernard Lahire, en tête. Mais Lagasnerie a jeté le masque : « excuser, c’est un beau programme de gauche », écrit-il dans Libé… C’est bien d’excuser l’inexcusable qu’il est question.

Nick Cohen, auteur de What’s Left dénonce depuis des années dans la presse britannique le double standard moral d’une gauche qui traque impitoyablement les comportements sexistes et homophobes, qui prétend défendre avec vigilance la démocratie, l’égalité des droits, l’argumentation raisonnée, les Lumières… mais qui protège des groupes qui invitent ouvertement à enfermer les femmes, à épouser des enfants, à tuer les homosexuels, à mettre en esclavage les filles yézidis… Double standard. Le conservatisme le plus extravagant et le plus violent trouve ainsi grâce aux yeux des intellectuels progressistes, pourvu qu’ils soit le fait de minorités « victimisées ». Mais les islamistes relèvent de l’extrême droite ; ils en représentent une version particulièrement virulente – sexiste, homophobe, patriarcale, réactionnaire… Faut-il penser que les Lumières, la raison, la critique ne sont pas pour eux ? Que les intellectuels de gauche en réservent l’usage aux gens émancipés, à l’Occident ? Pourquoi ? N’y a-t-il pas là une forme de racisme inavoué ?

Le même Nick Cohen demande pourquoi les ex-musulmans, dans nos démocraties occidentales, doivent se réunir en secret, vivent dans l’angoisse d’être tués – sans qu’aucun groupe de gauche ne les défende…

Et moi, je constate combien rares sont les journalistes qui leur donne la parole.

L’islamo-gauchisme est condescendant : au fond, il considère les musulmans comme inaptes à l’esprit critique. Il entend les « protéger » comme on protège des enfants. C’est une position pleine de mépris et de suffisance.

Conclusion : la défiance envers les journalistes est égale à celle qu’a le public envers les politiques.

Les institutions qui inspirent confiance dans ce pays : l’armée, la police… Pas les médias.



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