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Michèle Vianès : "Laïcité et autonomie des femmes en Europe" (Journée de la laïcité, Lyon, 1er déc. 12)

Présidente de Regards de Femmes 3 décembre 2012

"Je dois vous parler de laïcité.
Je dois vous parler d’autonomie, de la capacité à choisir de son propre chef sans se laisser dominer par certaines tendances naturelles ou collectives, ni se laisser dominer de façon servile par une autorité extérieure.

Partout, dans l’espace et dans le temps, on observe les rapports de hiérarchie patriarcale et d’assujettissement des femmes. Quel est le poids des religions dans la formation et le maintien de cette hiérarchie ? Comment la séparation des pouvoirs temporels et spirituels, la laïcité, ce formidable outil d’émancipation des individus a-t-il été utilisé par les femmes pour accéder aux droits humains fondamentaux ?

Dans le temps qui m’est accordé, je développerai succinctement trois points :

  • Construction de la hiérarchie patriarcale théocratique
  • Autonomie des Femmes en Europe
  • Droits des femmes et autonomie par rapport aux religions

1- Construction de la hiérarchie patriarcale théocratique

Les religions ont été fixées par des hommes, pour les hommes. Les textes sacrés, transcrits, étudiés, commentés le furent aussi par ces mêmes hommes qui pendant des siècles eurent le monopole de l’accès à la culture. Pour convaincre les femmes de leur « infériorité », toutes les sociétés humaines ont justifié le patriarcat comme un ordre naturel, décidé par les dieux.

Dans toutes les religions, on retrouve les constantes misogynes qui ont abouti à la discrimination des femmes : elles ont été utilisées par les hommes et les Etats pour posséder le corps et l’esprit des femmes.

2- Autonomie des femmes en Europe

Deux grands courants fondateurs de l’émancipation des femmes : la Réforme et la Révolution française.

2.1 La Réforme

La Réforme préconisant la lecture individuelle de la Bible, a été une première bouffée d’oxygène grâce à l’alphabétisation des filles, l’accès direct aux textes fondateurs, à la connaissance et à la réflexion.

Les femmes des pays protestants d’Europe du Nord ont initié la longue marche vers l’égalité hommes/femmes. C’est paradoxal par rapport aux théories traditionalistes misogynes de Luther et Calvin, mais l’ouverture du protestantisme à la parole des femmes, les différentes fonctions dévolues aux femmes des pasteurs vont permettre la naissance du féminisme protestant au XIXe siècle.

2.2 L’apport de la Révolution française et des premières lois laïques

Affirmer que le passé n’est pas immuable et l’avenir différent du présent légitime un espace de revendications pour celles qui refusent d’être soumises parce que femmes. Reconnaître le statut d’individus aux uns entraîne qu’il le soit à tous « quels que soient leur religion, leur couleur ou leur sexe » (Condorcet).

Condorcet affirme (1790) que l’instruction doit être commune aux hommes et aux femmes, publique, laïque et gratuite. Et surtout que les hommes ne peuvent être libres et égaux si la moitié du genre humain n’est pas libérée de ses entraves séculaires. Il dénonce le rôle des prêtres : en soumettant la sexualité et l’esprit des femmes à une autorité qu’on ne leur demande pas de comprendre, ils les « préparent à la servitude forcée ou volontaire ».

Les lois de septembre 1792 établissent la laïcisation de l’Etat civil et le divorce : la femme peut choisir son mari et le quitter, son consentement est reconnu.

La création de l’Ecole laïque pour les deux sexes (loi du 2 mars 1882) est une première clé qui va permettre d’ouvrir aux filles l’accès à l’égalité des possibles.

Une génération après, le 9 décembre 1905, la loi de séparation des Eglises et de l’Etat est votée. La séparation est indispensable : la religion qui relève de la foi, de l’intime, n’a pas à inspirer les lois ni exercer de contrôle sur le politique.

2.3 Etats laïque et non-laïques

La laïcité organise l’espace politique qui repose sur la liberté de penser et d’expression, sur l’égalité en droit et en dignité des options philosophiques ou croyances religieuses et sur la neutralité de l’action publique.

L’impartialité dans la garantie de croire, de ne pas croire ou de douter et pour toutes les confessions de pouvoir exercer librement leur culte, sous réserve de ne pas attenter aux libertés d’autrui, ni troubler l’ordre public, impose à l’Etat et aux collectivités territoriales, aux agents des services publics et à leurs usagers, la neutralité vis-à-vis de toutes les religions et surtout l’indifférence.

Moyen de faire coexister des femmes et des hommes qui ne partagent pas forcément les mêmes convictions, mais émancipés par une éducation à l’autonomie rationnelle de jugement, l’exigence laïque demande à chacun un effort sur soi. Le lien civique a la prééminence sur tous les particularismes historiques ou religieux, sur les solidarités domestiques locales ou claniques. La loi est la même pour tous et toutes. Pas de droits différenciés selon le sexe, l’appartenance à une religion ou une idéologie, à une profession.

La laïcité est donc garante de l’égalité en droits, devoirs et dignité des femmes et des hommes. Contraception, avortement, refus des violences ethnicistes, de l’oppression religieuse et/ou communautariste en sont les applications.

Si l’Etat n’est pas laïque,

  • Soit une religion est obligatoire ou privilégiée, donc imposée, la liberté de penser n’est plus possible. La religion captant à son profit la puissance publique, il n’y a plus d’égalité. Ceux qui ne croient pas en cette religion ou qui l’interprètent différemment subissent une aliénation de leurs droits fondamentaux en tant que personne humaine.
    L’unicité est de façade. Comme la diversité des opinions et l’égalité en droit ne sont pas respectées, les conflits et « guerres des dieux » se développent.
  • Soit toutes les religions sont « reconnues », chaque groupe va pouvoir exiger de respecter ses propres règles de vie communautaire. L’intérêt et la surenchère de chaque groupe prime sur le bien commun. Cette diversité cristallise les différences et érige des murs entre les groupes. L’espace public est morcelé. Il n’y a plus émergence de principes communs supérieurs aux valeurs individuelles, plus de mixité entre les groupes, les mariages endogamiques restent la règle. Des éducations particulières divisent les enfants et les jeunes avant d’opposer les adultes.
    En cas de conflits entre les groupes, pour arbitrer au nom de l’intérêt général, l’Etat qui n’a pas l’outil de la laïcité - laquelle connaît toutes les religions, mais n’en reconnaît aucune - est désarmé. Ainsi lorsque l’égalité en droits, devoirs et dignité des femmes et des hommes n’est pas respecté dans des groupes ethniques au nom de traditions ou de religions, les pays communautaristes ou multiculturalistes rencontrent des conflits évidents. Le multiculturalisme exacerbe l’ethnicisation des rapports sociaux et provoque l’enfermement « identitaire » qui dresse des murs au lieu de favoriser lien social et projet politique commun.

3- Droits des femmes et autonomie par rapport aux religions

Orientation sociale décisive, l’émancipation féminine a largement infléchi le rapport des femmes à la religion. Au dernier tiers du XXe siècle, l’avancée des droits des femmes était visible dans tous les pays du monde. En suivant des cheminements différents, les femmes s’affranchissent du poids des religions par les revendications de disposer librement de leur corps, de leur esprit et d’avoir la maîtrise de leur désir d’enfant.

Panique chez les « machocrates », qui appellent à leur secours les religions. Les fondamentalismes , religieux considèrent l’émancipation des femmes comme la cause de tous les fléaux de la société, maux qui disparaîtraient si l’on revenait aux conceptions théocratiques patriarcales de domination des hommes et à l’acceptation par les femmes de leur soumission.

Pour convaincre des femmes de revenir aux schémas patriarcaux théocratiques, la soumission à dieu se matérialisant sur terre par la soumission aux hommes, ils utilisent les vieux discours : la menace de punition sur terre ou au ciel, c’est-à-dire éternelle si les femmes n’obéissent pas aux traditions.

La mainmise sur la fécondité et la sexualité des femmes a été et reste le moteur de l’oppression. Les votes conjoints du Saint Siège, de la Pologne, de la Hongrie, des fondamentalistes protestants américains et des Etats musulmans dans les conférences internationales contre l’accès des femmes aux droits à disposer de leur corps en sont la preuve.

La mise en cause des Lumières, avec les moyens financiers des multinationales religieuses et sectaires, est évidente : créationnisme, impostures des fausses sciences, antirationalisme ont des ramifications internationales.

L’accusation d’ethnocentrisme est proférée par ceux qui veulent enfermer les femmes dans les traditions patriarcales.

Les discours englobant des fondamentalistes religieux, en niant l’autonomie de l’individu, refusent les principes universels d’égalité en droits, devoirs et dignité des hommes et des femmes, sous prétexte qu’ils seraient occidentaux. Or, l’Indienne Hansa Mehta, l’une des deux femmes qui a participé à la rédaction de la Déclaration Universelle, a demandé que l’expression "Droits de l’Homme" soit remplacée par "Droits humains", afin de s’assurer que toutes les femmes puissent également revendiquer les droits fondamentaux universels.

Les fondamentalistes religieux justifient l’atteinte aux droits des femmes sous prétexte de relativisme culturel, ce qui leur permet d’opprimer leurs coreligionnaires, à commencer par les femmes. Le relativisme culturel est du racisme puisqu’il interdit à des personnes de jouir des droits fondamentaux universels.

Conclusion : Toutes les femmes doivent avoir accès aux droits fondamentaux universels

Ne pas être dupe ou complice du discours englobant des fondamentalistes religieux, négation de l’autonomie de l’individu.

Pour cela :

  • Affirmer les principes universels d’égale dignité des hommes et des femmes.
  • Refuser toute justification religieuse d’atteinte aux droits des femmes (Plate-forme de Pékin).
  • Dénoncer l’argument du relativisme culturel qui permet aux fondamentalistes religieux d’opprimer leurs coreligionnaires, à commencer par les femmes.

Nous sommes bien dans le combat entre traditions archaïques et théocratiques patriarcales et l’idée moderne de laïcité, héritière des Lumières (« Nous avons besoin des lumières, nous avons besoin de la laïcité » Taslima Nasreen) : reconnaître à chaque personne la même dignité, n’exiger nulle dévotion en contrepartie mais l’adhésion librement consentie à un contrat et à des devoirs de la part de consciences autonomes et libres, c’est-à-dire éclairées, aptes à juger et capables de vouloir."


"Le Secrétaire général de l’Organisation de Coopération islamique (OCI), lors de l’inauguration à Vienne, en Autriche, du Centre créé par l’Arabie saoudite pour le dialogue entre les adeptes des religions et des cultures ce lundi 26 novembre 2012, a réclamé des lois interdisant la critique de l’islam et a insisté sur la nécessité de la tolérance comme un impératif au centre de l’agenda mondial. La tolérance est le fait du prince. A le pouvoir de tolérer celui qui a le pouvoir d’opprimer…"


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