Revue de presse

"Une campagne d’assassinats vise les candidats des partis laïques au Pakistan" (Le Monde, 25 av. 13)

24 avril 2013

""J’ai peur." Mohammad Yunus Khan le dit sans détour. [...]

Mohammad Yunus Khan a "peur" car il est menacé par les talibans pakistanais de Karachi. Candidat pour les élections législatives du 11 mai de l’Awami National Party (ANP), un parti laïc surtout implanté dans la communauté pachtoune, il est dans le viseur du Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP), qui se livre depuis quelques semaines à une campagne d’assassinats de ses opposants idéologiques.

Depuis le début de l’année, 33 responsables de l’ANP ont été tués à Karachi, la plupart par les talibans pakistanais. Dans la province de Khyber-Pakhtunkhwa, région du nord-ouest du Pakistan peuplée de Pachtounes, la campagne électorale est encore plus sanglante avec des attentats ou assassinats quasi quotidiens. Le TTP tient l’ANP pour son principal rival et cherche à liquider physiquement ses cadres.

M. Khan a reçu des menaces au téléphone. "Ils m’ont ordonné d’abandonner mon engagement auprès de l’ANP, dit-il. Ils ont précisé que, dans le cas contraire, j’en subirais les "conséquences"." Depuis, il prend ses précautions. Il limite ses déplacements en ville à son trajet quotidien entre son lieu de travail et sa résidence. Il est toujours accompagné par un cousin, qui fait office de garde du corps. Il n’organise pas de réunion publique dans sa circonscription.

Sa campagne a pris un tour particulier, qui en dit long sur la dégradation de l’ambiance démocratique au Pakistan : "Je communique avec mes électeurs uniquement par SMS", dit-il. M. Khan sait que les talibans ne plaisantent pas. Quatre de ses amis de l’ANP ont été assassinés depuis 2010.

Cette vague d’assassinats ciblés déclenchée par le TTP assombrit considérablement l’atmosphère d’une élection initialement présentée comme une percée de la démocratie pakistanaise. Pour la première fois depuis la création du Pakistan en 1947, un gouvernement a en effet dirigé jusqu’au terme légal de son mandat, sans être délogé prématurément par un coup de force inspiré par l’armée.

Victorieux aux élections de février 2008 dans la foulée de l’assassinat de son égérie Benazir Bhutto, le Parti du peuple pakistanais (PPP) aura fait l’histoire en stabilisant les cycles politiques du pays avec l’assentiment d’une armée apparemment sortie de sa culture putschiste.

Cet acquis est cependant entaché par une montée de la violence électorale sans précédent dans l’histoire du Pakistan. Jamais, lors des scrutins antérieurs, un groupe armé ne s’était livré avec un tel systématisme à l’assassinat de candidats. Outre l’ANP, les talibans pakistanais visent le PPP du clan Bhutto et le Muttahida Qaumi Movement (MQM), le parti représentant les Mohajirs (réfugiés d’Inde lors de la partition de 1947) dont Karachi est le bastion. Ces trois partis sont laïcs. [...]

La percée des talibans a donc pour effet d’éteindre l’un des foyers historiques de la violence locale à Karachi. Mais elle ouvre simultanément un nouveau front autrement plus dangereux pour la stabilité du Pakistan. Le TTP n’a jamais fait mystère de sa volonté de conquérir le pouvoir au niveau national afin d’imposer au Pakistan un régime islamiste radical.

Mohammad Yunus Khan trempe un biscuit dans son thé au lait. Au loin, des sirènes d’ambulance déchirent le crépuscule qui tombe sur la ville. M. Khan est amer, car il suspecte que l’inexorable infiltration des talibans du TTP à Karachi bénéficie de la complicité passive de certains secteurs de l’appareil militaire du pays.

"Les talibans sont largement minoritaires dans la communauté pachtoune mais leur influence est démultipliée par les soutiens que leur accordent certains éléments des services de renseignement", avance-t-il. Théorie du complot ? De nombreux habitants de Karachi la partagent. C’est pour cela que M. Khan a vraiment "peur", pour lui et pour son pays."

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