2 janvier 2013
"Droite forte, droite décomplexée d’un côté, gauche « diversitaire », postcoloniale de l’autre… D’un bout à l’autre de l’échiquier politique, c’est à un véritable et destructeur retour en force de l’identité que nous assistons ces dernières années.
C’est peut-être la fin d’une époque. Celle d’un face-à-face entre une droite gaulliste, sociale et une gauche républicaine, universaliste, se référant aux Lumières et à la lutte des classes. Deux courants qui ont animé le paysage politique durant des décennies. Les lignes bougent. Les frontières idéologiques se déplacent. A droite, le déplorable feuilleton de l’élection du président de l’UMP confirme ce bouleversement du champ politique.
Outre les guerres d’égo, les haines fratricides, il révèle l’extrême droitisation du mouvement confirmée par le succès de la motion la plus clivante : la Droite Forte, emmenée par Geoffroy Didier et l’ex-FN-ex-MPF Guillaume Peltier. Création d’une "Charte républicaine des musulmans de France", affirmation, dans la Constitution, d’une France "République laïque à tradition chrétienne"... La motion sarko-copéiste, largement arrivée en tête avec 28%, s’affiche clairement identitaire.
Ainsi, la stratégie de Patrick Buisson misant sur « l’homogénéité des électorats UMP et FN » continue son travail de sape de la droite traditionnelle gaulliste. Alors même que le plan a lamentablement échoué à faire réélire Nicolas Sarkozy ou même à réduire le score du Front national. Forte de toutes les études existant sur le sujet, la politologue Florence Haegel assure que « l’ostracisme associé à la récupération thématique maintiendrait l’extrême droite sur des positions radicales tout en contribuant à légitimer les thèmes du FN sans parvenir à le supplanter dans sa chasse gardée » (Les Droites en fusion. Transformations de l’UMP, Ed. Sciences Po, octobre 2012). Autant dire que l’orientation très droitière de l’UMP relève d’un calcul bien hasardeux, sinon "carrément suicidaire" comme nombre de militants à droite la qualifient aujourd’hui.
Face à cette droite de plus en plus identitaire et crispée sur ses "valeurs", la gauche ne semble plus mener de riposte idéologique. Rongée par le multiculturalisme (la gestion politique et non la simple coexistence des cultures) depuis quatre décennies au moins, la gauche devenue diversitaire (*) et sociétale, offre à la droite du grain à moudre, usant comme un double inversé d’une grille de lecture similaire, fondée sur les identités. Et chacun dès lors de se renvoyer un racisme à son image : « anti-Blanc » pour l’un, « anti-Arabe » et« anti-Noir » pour l’autre. On oppose au « mâle blanc », une « France métissée » et aux « souchiens », les « minorités visibles ». Jean-François Copé s’intéresse aux « pains au chocolat » arrachés aux sorties d’école les jours de ramadan et le quotidien Libération se plait à compter les "mâles blancs" de l’Assemblée nationale. Le think tank socialiste Terra Nova plaide pour une "citoyenneté musulmane" et la mise en place du modèle multiculturaliste, tandis qu’une partie de l’UMP flirte de plus en plus plus ouvertement avec le racisme anti-immigrés. Face au discours de Dakar de Sarkozy sur l’Homme Africain « pas assez entré dans l’Histoire », celui des post-coloniaux et leur déni d’historicité imputé aux cultures exotiques. La discrimination positive d’un côté, la préférence nationale de l’autre. Les uns martèlent les thèmes de l’identité nationale et le rôle positif de la colonisation, les autres dressent le « droit à la différence » , composent avec les groupes religieux sur la laïcité par de multiples « accommodements raisonnables » et célébrent les « fiertés », les « mémoires », les « minorités »… L’ethnicité aurait-elle définitivement pris les commandes du combat politique en France ?
Pour le courant dit Gauche populaire, proche de la Fondation Jean Jaurès (autre think tank socialiste), aucun doute : la gauche masque son abandon de l’abolition du capitalisme pour un social-libéralisme par une conversion au multiculturalisme idéologique. C’est la race comme cache-misère pour évacuer le social : « En effectuant des entailles verticales au sein de la société, le multiculturalisme a pour effet d’assurer la dépolitisation du champ social » constate l’anthropologue Jean-Loup Amselle. Oublieuse de la question sociale, la gauche se découvre même un prolétariat de substitution (les jeunes des banlieues, les femmes, les personnes issues de la diversité…) et une nouvelle passion pour le culturel et le sociétal (le mariage, la violence faite aux femmes, la prostitution…). C’est aussi la thèse développée par Laurent Bouvet - invité aux dernières Universités d’été du Parti socialiste - dans Le Sens du peuple. La gauche, la démocratie, le populisme (Ed. Gallimard, 2012).
Et si, loin d’être les ennemis irréductibles affichés que l’on croit, gauche et droite identitaires se renforçaient mutuellement ? En « culturalisant » leur appartenance républicaine, la droite et l’extrême droite rejoignent exactement la posture des multiculturalistes qui font pareillement de la défense du républicanisme une spécificité culturelle typiquement française. [...]
Yann Barte, Le Courrier de l’Atlas, janvier 2013
(*) Terme emprunté à la journaliste Coralie Delaume."
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