Revue de presse

Trudeau et l’excision : "Derrière la polémique, le paradoxe du multiculturalisme" (C. Valentin, lefigaro.fr/vox , 1er août 17)

Caroline Valentin, coauteur d’ "Une France soumise, Les voix du refus" (Albin Michel). 1er août 2017

"[...] Le gouvernement du sémillant Justin Trudeau, premier ministre du Canada, prépare une refonte du guide Découvrir le Canada : les droits et responsabilités liés à la citoyenneté, remis à chaque nouvel arrivant. Pourquoi cette réforme ? Notamment car la version initiale, élaborée en 2011 par le gouvernement des méchants conservateurs rétrogrades, prévenait les futurs immigrés que le Canada ne saurait accepter « les pratiques culturelles barbares qui tolèrent la violence conjugale, les « meurtres d’honneur », la mutilation sexuelle des femmes, les mariages forcés ou d’autres actes de violence fondée sur le sexe. » Justin avait tiqué : « barbares », c’était trop pour lui ; il aurait préféré que le guide employât l’expression plus neutre de « totalement inacceptables ». « Dans une publication officielle du Canada, s’était-il insurgé, il faut faire un petit effort de neutralité responsable ». [...]

Or il y a cinq ans, Justin Trudeau n’était qu’un simple député ; être le fils de Pierre Elliott Trudeau, ancien Premier ministre et grand timonier du multiculturalisme canadien, ne suffisait pas à en imposer. La pluie de critiques qui s’était abattue sur lui l’avait alors contraint à faire marche arrière et à s’excuser des propos qu’il avait tenus, en des termes à première vue assez clairs : « Je crois que les actes décrits sont haineux, que ce sont des actes barbares qui sont complètement inacceptables dans notre société. Je retire mes commentaires et je m’excuse s’ils ont été interprétés comme minimisant la nature cruelle et sérieuse des meurtres d’honneur ou tout autre acte violent ».

Mais il n’avait malheureusement pas résisté à la tentation de justifier sa déclaration initiale, dans des termes cette fois beaucoup plus confus : « Mon problème avec l’utilisation du mot « barbare », c’est qu’il a été choisi pour rassurer les Canadiens plutôt que pour changer réellement des comportements inacceptables. La valeur subjective de ce mot fait en sorte qu’il est facile de le voir comme une insulte plutôt que comme une déclaration officielle », en laissant entendre que les sociétés culturelles issues des pays où ces pratiques sont tolérées sont « moins civilisés que nous ».

Pour Justin Trudeau, dire « barbare » rassure et ne sert à rien. Dire « inacceptable » serait plus efficace pour inciter à l’abandon de ces pratiques car les personnes concernées ne se sentiraient pas insultées. En d’autres termes, pour Justin Trudeau, l’incitation à l’abandon de ces pratiques serait d’autant plus convaincante que la condamnation dont elles font l’objet est moins brutale. Il admet cependant que la subjectivité de la condamnation est un problème, mais, étrangement, il voit de la subjectivité dans l’adjectif « barbare » et non dans l’adjectif « inacceptable ». [...]

En réalité, cette intervention de Justin Trudeau est loin d’être anecdotique. Passer de la notion de barbarie à celle d’acceptabilité relève d’un changement radical d’orientation du jugement dans la mesure où l’on ne se base plus sur un critère de nature mais sur un critère de degré. A travers cette déclaration, Justin Trudeau manifeste son hostilité à l’opposition classique entre civilisation et barbarie et à l’intransigeance que cette opposition suppose. [...]

La sincérité des excuses formulées en 2011 par Justin Trudeau parlementaire a pris un sérieux coup dans l’aile début 2017, quand son ancien ministre de l’immigration, John McCallum, a annoncé cette refonte du guide de citoyenneté, mentionnant expressément la suppression de cette qualification de « barbares », jugée un peu trop « lourde ». [...]

Le modèle multiculturaliste a été introduit au Canada en 1971 sous l’impulsion du gouvernement libéral de Trudeau père. Le projet multiculturaliste a été consacré par une loi constitutionnelle de 1982, aujourd’hui irréformable. Une loi de 1988 est venue la préciser et en élargir la portée. Depuis lors, les identités culturelles des peuples fondateurs du Canada, Canadiens-Français et Canadiens-Anglais, et en particulier l’identité québécoise qui est censurée, n’ont plus voix au chapitre. Le multiculturalisme est devenu, par la force du droit et contre l’entêtement de la réalité - notamment l’existence d’une très grande majorité de Québécois qui lui sont hostiles - une « caractéristique fondamentale de l’identité et du patrimoine canadiens » qualifiée de « ressource inestimable pour l’avenir du pays ». Il s’agit désormais de « préserver et valoriser le patrimoine multiculturel des Canadiens » - car ce patrimoine ne peut plus être que « multiculturel », bien entendu - et, dans cette veine, de « favoriser la reconnaissance et l’estime réciproques des diverses cultures du pays », et de « promouvoir l’expression et les manifestations progressives de ces cultures dans la société canadienne. » Encore une fois, ces phrases ne sont pas des déclarations d’intention, ce sont des textes de lois : ils ont valeur contraignante, les citoyens doivent s’y plier. [...]

La réforme annoncée du Guide de citoyenneté n’a peut-être qu’une valeur symbolique, mais elle révèle surtout la fragilité juridique des valeurs canadiennes depuis la constitutionnalisation du multiculturalisme. [...]"

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