Rebond

Sondage auprès des lycéens sur la laïcité : des résultats préoccupants (CLR, 6 mars 21)

6 mars 2021

Pour le numéro spécial de son magazine trimestriel Le Droit de Vivre‎ consacré à la laïcité, la Licra a commandé à l’Ifop une enquête [1] permettant de mieux cerner la place que les lycéens accordent aujourd’hui à la religion, le sens qu’ils donnent à la laïcité dans l’enceinte scolaire mais aussi leur point de vue sur le droit de « blasphémer » à la manière d’un journal satirique comme Charlie Hebdo.

Les résultats de cette enquête doivent nous alerter collectivement, tant ils font apparaître, au sein de la jeunesse scolarisée, une perception de la laïcité propre à la vider de sa substance. Certes, ce n’est pas (encore ?) le reflet de ce que pense l’ensemble de nos concitoyens toutes générations confondues [2], mais cette photographie pose problème et nous oblige à la réflexion et à l’action.

Qu’on en juge déjà par ces deux éléments de réponse :

  • Les lycéens se prononcent majoritairement en faveur du port de « signes et tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse, dans les écoles, collèges et lycées publics » que les parlementaires, après les travaux de la Commission Stasi, avaient décidé d’interdire par la loi du 15 mars 2004, qu’ils avaient votée à une écrasante majorité.
  • Un pourcentage élevé des lycéens interrogés (37 %) considère la laïcité comme discriminatoire et « islamophobe » ; ils sont jusqu’à 81 % à penser ainsi parmi les élèves de confession musulmane.

Un pas semble donc avoir été franchi et beaucoup se demandent comment on a pu en arriver à une telle fracture générationnelle et sociale. Pour alarmants que soient les résultats de l’enquête de l’Ifop pour la Licra, au moins permettent-ils de mesurer l’étendue des problèmes. Ceux-ci s’enracinent en particulier dans le traitement calamiteux, en 1989, des premières affaires de voile en collège, et renvoient donc directement à la responsabilité de ceux qui avaient à assurer la transmission et la bonne compréhension des principes républicains et, d’abord, de la laïcité.

Trop longtemps absente de la formation des professeurs, c’est une laïcité souvent mal comprise qui a pu être transmise sur fond d’idéologie permissive, sinon repentante, du « pas de vague » ! Au fil des trois dernières décennies, une partie importante de la jeunesse s’est progressivement éloignée de la République. Dans le même temps et par voie de conséquence, cette enquête nous dit, après d’autres récents sondages qui allaient dans le même sens, les défis qu’il revient aux institutions de la République et à l’ensemble des forces laïques de relever, et plus que jamais dans l’unité et la clarté ‎des principes. Le temps du sursaut républicain est arrivé.

Le Comité Laïcité République
le 6 mars 2021.


Voici quelques extraits du commentaire de François Kraus, directeur du pôle politique de l’Ifop, des résultats de l’enquête qu’il a lui-même initiée.

Pour conduire son enquête, l’Ifop a mis en place un dispositif d’étude d’envergure permettant de mesurer la spécificité de la population lycéenne sur ces sujets - à travers des indicateurs offrant des comparaisons avec le point de vue de l’ensemble des Français majeurs - mais aussi d’analyser certaines variables pouvant influencer leur rapport à la laïcité comme leur affiliation religieuse, leur degré de religiosité ou leur évolution dans certains contextes scolaires (ex : éducation prioritaire, enseignement professionnel).

Au regard de cette enquête menée auprès d’un échantillon représentatif d’un millier de lycéens - constitué à partir des dernières données ministérielles (RERS 2020) -, la population scolarisée dans le second cycle du second degré apparaît imprégnée d’une vision très « inclusive » de la laïcité dans laquelle celle-ci est réduite au principe de neutralité de l’État tout en étant associée à une grande tolérance à l’égard des manifestations de religiosité dans l’espace scolaire (ex : voile). Ces jeunes, et tout particulièrement les lycéens musulmans et/ou scolarisés dans les zones d’éducation prioritaire (REP), se distinguent aussi par leur hostilité à toute critique susceptible de heurter la susceptibilité des minorités.

L’enquête met en lumière les points suivants.

1. Des jeunes majoritairement favorables au port du voile dans les lycées. 
Le port de signes religieux ostensibles (voile, kippa...) par les élèves dans les lycées publics est désormais soutenu par plus d’un lycéen sur deux (52 %), soit une proportion deux fois plus grande que dans la population adulte (25 %). C’est une première !

2 - Une vision très « ouverte » et dépolitisée de la laïcité associée simplement à l’absence de discrimination entre les croyants
 
3 - Des lois « laïques » perçues par beaucoup comme discriminatoires envers les musulmans : l’étiquette diffamante d’« islamophobie » colle ainsi à ces grandes lois au point qu’un nombre élevé de lycéens (37 %) les jugent désormais discriminatoires envers les musulmans. Et ce sentiment n’est pas l’apanage des musulmans (81 %) : il est également partagé par beaucoup d’élèves scolarisés en zone d’éducation prioritaire (55 %), en lycée professionnel (43 % en bac pro) ou se percevant par les autres comme « non blancs » (64 %).
 
4 - Un « droit au blasphème » rejeté par une (courte) majorité de lycéens : 52 % des lycéens contestent la liberté de se montrer irrespectueux vis-à-vis une religion, soit un taux légèrement supérieur que chez l’ensemble des Français (50 %).
Cette question du « droit au blasphème » met surtout en lumière le clivage existant sur ce sujet entre les musulmans et le reste de cette jeunesse scolarisée dans le second degré. En effet, si les jeunes musulmans s’opposent massivement (à 78 %) au droit d’outrager une religion - tout comme les personnes perçues comme « non blanches » (à 65 %) ou habitant dans les banlieues populaires (à 60 %) -, ce n’est le cas que d’une minorité de catholiques (45 %), d’élèves sans religion (47 %) ou non scolarisés en REP (44 %).
 
5. Sur la question de l’assassinat de Samuel Paty, 48 % de jeunes musulmans pensent qu’il a eu tort de montrer les caricatures alors que 69 % de "sans religion" estiment qu’il a eu raison.
 
6. Sur les attentats de 2015, à la suite des travaux pionniers d’Anne Muxel et d’Olivier Galland sur l’ampleur des formes de désolidarisation exprimées à l’égard des victimes, il ressort une condamnation des terroristes moins forte que chez l’ensemble des Français mais aussi moins consensuelle que dans le passé. En effet, si la proportion de lycéens ne condamnant pas fermement ces attentats reste une minorité (16 %), leur nombre semble avoir augmenté par rapport à une enquête de 2016.

 


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