Revue de presse

Shirin Ebadi : « On est obligés de faire cette révolution » (Charlie Hebdo, 18 jan. 23)

Shirin Ebadi, Prix Nobel de la paix 2003. 18 janvier 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Shirin Ebadi a été la première femme juge à exercer en Iran. Jusqu’en 1979, où elle est contrainte de démissionner, la révolution islamique décrétant qu’une femme ne saurait rendre la justice. Elle ne se démonte pas, elle devient avocate, s’engage dans la défense des droits des femmes et fonde plusieurs ONG de défense des droits humains. Elle a reçu le prix Nobel de la paix en 2003 et, depuis 2009, elle mène ses combats depuis la Grande-Bretagne, où elle est réfugiée. Invitée d’honneur du sommet des Napoléons, à Val-d’Isère, elle a fait un crochet par Paris, où elle a tenu à rencontrer l’équipe de Charlie Hebdo.

Propos recueillis par Riss

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Lire "Rencontre avec Shirin Ebadi, prix Nobel de la paix : « On est obligés de faire cette révolution. »".

Shirin Ebadi : Le peuple d’Iran vous est très reconnaissant d’avoir publié ces caricatures. En Suède, il y a un groupe d’Iraniens exilés qui a dit : « On va faire une collecte de fonds pour envoyer des fleurs à « Charlie Hebdo ». » Chacun peut donner ce qu’il veut, entre 10 et 100 euros. Et ils ont prévu d’apporter les fleurs au bureau de Charlie Hebdo. Mon souhait aurait été de venir dans vos locaux et de vous les apporter en personne. Parce que le peuple en Iran est tellement heureux de ce que vous avez publié. [...]

Quelle est la bonne manière d’aider les Iraniens  ?

Ce que vous avez fait en publiant ces caricatures, c’était un acte de soutien très important. Je voudrais parler de ce qui s’est passé à Lyon. Un étudiant iranien réfugié et vivant là-bas s’est jeté dans le Rhône. Il a fait cette déclaration : « Je ­commets ce geste non pas parce que j’ai des problèmes psychologiques, je le commets pour l’unique raison que je veux attirer l’attention du monde sur la révolution qui est en marche en Iran. » Ce garçon n’avait aucun problème psychologique, ni psychiatrique, mais il était en colère de voir que le monde, les médias en particulier, ne couvrait pas ce qui était en train de se passer en Iran à la hauteur de la gravité des événements. Ça vous donne une idée de l’importance que ça a pour les ­Iraniens que cette révolte soit relayée dans les médias, ici, en Occident. [...]

On entend dire qu’en Iran il y a beaucoup de mollahs qui sont corrompus et qui s’enfuient avec de l’argent…

Depuis toujours, ils détournent de l’argent et ils le sortent d’Iran. La corruption existe depuis le début de ce régime. Le pays vers lequel ils font fuir le plus de capitaux, c’est le Canada. Heureusement, les Iraniens de la diaspora ont fait pression et ont réussi à imposer des sanctions pour les empêcher d’utiliser cet argent amassé à l’étranger. Cette corruption est l’une des raisons de la colère de la population. L’Iran possède la plus importante réserve de gaz au monde et la troisième réserve de pétrole, pourtant les deux tiers de la population sont pauvres. [...]

Et le monde des artistes, comment arrive-t-il à survivre  ?

Quand vous êtes cinéaste, pour chaque film, vous devez d’abord soumettre le scénario à la censure. Beaucoup n’obtiennent pas l’autorisation de tourner. En ce moment, deux des plus grands cinéastes iraniens, Jafar Panahi et Mohammad Rasoulof, qui ont remporté des récompenses internationales, sont en prison. Et quand vous tournez un film, les femmes doivent être voilées. Même dans une scène où une femme se couche dans son lit, elle doit porter son foulard. C’est vraiment ridicule. Pareil pour la littérature, la presse, la poésie. Sans autorisation de l’État, aucun texte ne peut être publié. Même des textes complètement anodins. Par exemple, mes livres de droit, on ne les publie plus. Ils ne sont pas réédités.

Après la publication des dessins, certaines personnes nous ont reproché de mettre en danger des otages français en Iran. Que faut-il en penser  ?

Ce n’est pas juste du tout de dire ça. Les autorités prennent ces gens en otage pour deux raisons : soit parce qu’elles veulent de l’argent, soit pour procéder à des échanges avec des terroristes iraniens emprisonnés en Occident. Votre travail n’a pas de rapport avec la vie ou la mort de ces personnes-là. Je voudrais dire, à ce sujet, que le président Obama a commis une grave erreur : à l’époque où il était président, pour libérer des otages, il a payé plusieurs millions de dollars à l’Iran. Il a donné une mauvaise habitude au gouvernement iranien. À partir de ce moment-là, les dirigeants se sont dit que ce serait toujours utile d’avoir des otages parce qu’ils arriveraient toujours à obtenir quelque chose. [...]

Est-ce que lui [Ali Khamenei] et les mollahs croient en Dieu, au moins  ?

Même pas  ! L’islam est juste un rideau derrière lequel ils se sont cachés. S’ils voient quelqu’un manger dans la rue pendant le ramadan, ils vont lui donner 80 coups de fouet… Voilà où commence et s’arrête leur spiritualité. C’est la même chose avec le foulard obligatoire : ils disent que c’est la règle de l’islam, et qu’il faut suivre ses préceptes. Mais ma thèse – et c’est ce pour quoi j’ai reçu le prix Nobel de la paix –, c’est que l’islam, comme toute religion, est sujet à des interprétations différentes et que les mollahs en donnent l’interprétation la plus arriérée. Avant la révolution, il y avait des gens qui étaient musulmans, et qui vivaient ça très bien. Mais ce n’était pas ça, notre vie. Ils invoquent l’islam pour couvrir leurs intentions, et dans les premières années, certaines personnes l’ont accepté. Mais là, c’est terminé. En prison, ils ont violé des femmes. Est-ce que c’est dans le Coran  ? C’était un des slogans des manifestants : « Est-ce que le viol, c’est écrit dans le Coran  ? ». Avec ce simple slogan, le peuple leur a dit : vous n’êtes pas des religieux. Au fond, le peuple iranien a toujours été très laïque. Et a fortio­ri maintenant. Les Iraniens ont vu ce que c’était qu’une religion qui gouverne. Ils sont tous devenus laïques.

Est-ce que les Iraniens sont encore croyants  ?

Oui, il y a encore beaucoup de croyants. Mais le Dieu auquel on croit n’est pas celui-là. Je suis moi-même croyante, et à aucun moment on ne peut valider les actions de ce gouvernement au nom d’une quelconque croyance. D’ailleurs, ce soir, je bois du vin  ! La population iranienne et sa pratique de la religion ont toujours été très modernes. [...]"



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