Revue de presse

"Quand la République combattait l’Église catholique" (Le Figaro, 19 jan. 15)

22 janvier 2015

"Alors que beaucoup de musulmans s’inquiètent du traitement de leur religion sur le territoire français, il est bon de rappeler l’intense bataille menée par les radicaux pour imposer la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État.

[...] Beaucoup de musulmans, même parmi les plus modérés, estiment souvent que la République ne réserverait pas le même traitement à l’islam, arrivé plus tardivement sur le sol national, qu’aux autres religions, juive et surtout chrétienne, censées être mieux traitées. C’est oublier le passé et l’intense combat mené par la République contre les églises, en particulier l’Église catholique.

« Le cléricalisme, voilà l’ennemi », proclamait Gambetta dès les débuts de la IIIe République, et cet anticléricalisme, qui se traduisit par quelques mesures symboliques (comme la suppression de l’interdiction du travail du dimanche, en 1880, réforme abandonnée en 1906), s’affirma avec l’arrivée des radicaux au pouvoir en 1899.

La loi du 2 juillet 1901, qui établissait un régime de liberté pour les associations civiles, ne se montrait nullement libérale en ce qui concernait les associations religieuses. Aucune « congrégation » ne pouvait plus exister en France, selon la loi, sans y avoir été autorisée par le Parlement. Comme, sur plus de 700 congrégations, seule une demi-douzaine avait été autorisée par une loi de 1825 (missions étrangères, lazariste, etc.), il y eut un débat très vif pour savoir quelle congrégation serait autorisée. Waldeck-Rousseau écrivit à Léon XIII pour l’assurer qu’il se montrerait libéral et bienveillant, mais il fut dépassé sur sa gauche.

Fermeture de 3.000 écoles catholiques

Car, aux élections de 1902, Émile Combes, surnommé le « petit père Combes » parce qu’il avait été séminariste dans sa jeunesse, accéda au pouvoir. Autoritaire, « césariste en veston » (Péguy), il fit de l’anticléricalisme son combat politique. La Fédération française de la libre-pensée va s’activer en coulisse, parmi d’autres, et animer un « anticléricalisme populaire » contre l’Église catholique. « À bas la calotte ! » est le mot d’ordre d’une partie de ce personnel républicain dont le sectarisme fait dire assez finement à Anatole France : « Ils pensent comme nous (…), mais il est préférable de ne pas les rencontrer. »

Émile Combes va appliquer la loi de 1901 avec une extrême dureté, suscitant même les critiques de son prédécesseur, Waldeck-Rousseau, qui jugera « stupide » la sévérité de Combes. En juillet 1902, ce dernier décrète la fermeture de près de 3.000 écoles catholiques, suscitant la protestation de nombreux catholiques. La situation s’envenime en mars 1903, lorsque Combes décide de refuser en bloc toutes les demandes d’autorisation des congrégations. Le gouvernement ne conservait que les ordres missionnaires dont la République jugeait l’oeuvre utile dans les colonies.

En France, les moines et les soeurs sont expulsés de leurs couvents. L’historien Gabriel Monod s’interrogea alors : « Sommes-nous condamnés à être perpétuellement ballottés entre deux intolérances ? » Sur ce, le pape Léon XIII, qui avait plaidé pour le « ralliement » des catholiques à la République, décéda en juillet 1903 et son successeur, Pie X, se montra beaucoup moins tolérant. Son secrétaire d’État, le puissant Merry del Val, l’incitait à rompre avec la France républicaine.

Le conflit s’amplifia lorsque Combes fit voter le 5 juillet 1904 une loi donnant dix ans aux 12.000 écoles congréganistes autorisées pour fermer (la loi sera suspendue le 5 juillet 1914). La plupart des enfants furent obligés de rejoindre l’enseignement laïque ou, comme le jeune Charles de Gaulle, de suivre les écoles congréganistes ayant émigré de l’autre côté de la frontière belge. Une sorte de « guerre de Religion larvée » (Michel Lagrée) semblait se déclarer à l’occasion des expulsions des monastères, comme le 29 avril 1903, lorsqu’on expulsa avec un grand renfort militaire les moines de la Grande Chartreuse.

Une circulaire du 1er avril 1904 recommandait d’enlever les crucifix des tribunaux et des salles de classe. De nombreux arrêtés municipaux interdirent les processions et tentèrent même d’interdire le port de la soutane, ce que le Conseil d’État refusa. Dans ce contexte tendu, la visite du président Loubet au roi Victor-Emmanuel d’Italie, en avril 1904, fut interprétée (à tort) par le Vatican comme une provocation. Le pape envoya donc une protestation secrète aux souverains catholiques d’Europe (Autriche, Espagne, Portugal, Belgique, Monaco). Or, le prince de Monaco, anticlérical convaincu, adressa le texte au journal que venait de créer Jean Jaurès, L’Humanité, qui le publia dans son premier numéro du 18 avril 1904. Cela provoqua la rupture des relations diplomatiques avec le Vatican.

« Une inquisition d’Etat »

Combes proposa alors, en novembre 1904, à la Chambre, un projet de séparation de l’Église et de l’État. Or, en janvier 1905, un scandale va entraîner la chute du gouvernement Combes, bouleversant ainsi l’économie du projet. La presse découvrit qu’avec le soutien actif des loges maçonniques, le ministre de la Guerre, le général André, avait fait rédiger plus de 20.000 « fiches » pour connaître les idées des militaires à promouvoir, savoir s’ils vont à la messe, si leurs enfants sont « élevés par les prêtres », etc. Une « inquisition d’État » semblait se substituer à l’Inquisition d’Église. La légende dit qu’un officier supérieur, qu’on pressait de donner les noms de ses adjoints fréquentant l’Église, aurait répondu : « Que vous dire ? Je suis toujours au premier rang à la messe et je ne me retourne jamais… »

La droite dénonça à la Chambre, le 28 octobre 1904, cette vaste entreprise de délation. André dut démissionner et il entraîna Combes dans sa chute le 15 janvier 1905. Le grand artisan de la loi de séparation sera alors son rapporteur, le député socialiste Aristide Briand, qui était un homme de compromis. Il ne voulait pas d’une loi qui soit un « pistolet braqué contre l’Église ». La discussion parlementaire sur la laïcité (qui n’est nullement définie dans la loi) sera l’une des plus longues et des plus brillantes de la IIIe République.

La loi adoptée le 9 décembre 1905 se voudra finalement très libérale dans son esprit. Elle garantit à tous les Français la liberté de conscience et de culte (art. 1) mais, comme le précise l’article 2, la République « ne reconnaît, ni ne salarie, ni ne subventionne aucun culte ». Donc liberté de conscience, mais neutralité religieuse de l’État. Clemenceau et ses amis radicaux étaient furieux. Ils comprirent qu’avec la séparation, les républicains perdaient tout contrôle sur l’Église.

De fait, l’Église romaine se trouvait libérée de tous ses liens avec le gouvernement français. Les débats furent très intenses sur l’article 4, qui prévoyait la création d’associations cultuelles chargées des lieux de culte. La rédaction assez floue de cet article laissait penser qu’il prenait en compte la hiérarchie catholique, ce qui provoqua la fureur des anticléricaux, accusant Briand d’être un « socialiste papalin » (Clemenceau). La loi prévoyait des sanctions contre un ministre du culte qui outragerait un citoyen chargé d’un service public (art. 34). La peine était aggravée en cas d’incitation à l’émeute. Le législateur pressentait les dérives à venir lors de la constitution des inventaires ecclésiastiques.

Car le pape Pie X, dans l’encyclique Vehementer nos du 11 février 1906, protesta contre cette loi « inique, ourdie pour la ruine du catholicisme ». En secret, son secrétaire d’État, Merry del Val, se réjouit de la rédaction du texte. Mais, ajoutera-t-il, il importe que cela ne se sache pas : « Il est de toute nécessité que la presse catholique ne fasse pas état du succès obtenu, ce serait de mauvaise politique. »

Le Vatican obligea l’épiscopat français à refuser les associations cultuelles (encyclique Gravissimo officii munere, août 1906). Les fidèles vont donc chercher à empêcher les forces de l’ordre de procéder aux inventaires des biens religieux. Cela provoqua des heurts violents, comme en février 1906, à Paris, notamment à l’église Sainte-Clotilde et dans tous les lieux de forte tradition (Vendée, Bretagne, Flandres, Pays basque, sud-est du Massif central). Il y eut un mort le 6 mars dans le Nord, ce qui permit à la droite de dénoncer « la loi du meurtre » et à la gauche de crier aux « petites Vendées ».

Un vecteur de paix civile

Finalement, ce climat de tension entraîna la victoire du « bloc des gauches » aux législatives de 1906. Le radical Clemenceau devint président du Conseil. L’ancien anticlérical fougueux se métamorphosa en politique habile, refusant de « risquer la vie d’un homme pour compter les chandeliers d’une église ». Il cédera sur les associations cultuelles. Ainsi la République acceptait-elle de donner à Rome le contrôle direct sur l’Église de France. Celle-ci retrouvait une liberté qu’elle n’avait pas connue depuis Philippe le Bel. La tradition gallicane s’effaçait. Mais Clemenceau ne s’en souciait plus. Il avait alors d’autres préoccupations : la crise de la gauche et la question sociale. La gauche en fera un des symboles du combat républicain.

Cette loi, dira Jaurès, est « la plus grande réforme qui ait été tentée dans notre pays depuis la Révolution française ». Mais les catholiques modérés, comme l’abbé Lemire, une des figures marquantes de la démocratie chrétienne, la défendirent aussi. Ce dernier écrivit en 1906 que la loi de laïcité, obtenue au prix d’un combat frontal de la République et de la religion, fut peut-être le meilleur vecteur de paix civile : « Cette concorde que le régime concordataire ne nous a pas donnée, elle n’est point impossible désormais. »"

Lire "Laïcité : quand la République combattait l’Église catholique".


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