Tribune libre

Protéger les jeunes esprits du prosélytisme religieux : l’action d’un directeur d’école parisien (J. Lamagnère)

par Jacques Lamagnère 19 juin 2018

Directeur d’école à Paris depuis désormais 21 ans, originaire du Sud-ouest, je me suis retrouvé, par un concours de circonstances, à faire mes études d’instituteur à l’Ecole normale de Metz, dans le département de la Moselle concordataire. Ma surprise d’alors fut grande de voir ces croix dans les salles de classes et des prêtres venir dispenser un cours de religion, une heure par semaine sans que cela choque outre mesure mes jeunes collègues du cru, qui y voyaient une particularité exotique de leur département et une heure libre dans leur semaine. J’ai donc vécu et travaillé avec cette spécificité. Je suis ensuite parti dans d’autres pays, dans le réseau AEFE puis aux Affaires étrangères, peu sensible aux questions de laïcité, très éloignées de mes fonctions. Je ne suis revenu en France qu’en 1995.

En 1997, j’ai obtenu un poste de direction d’école, 41 rue de Tanger dans le 19ème arrondissement de Paris. Cette école, bien connue par tous les professeurs des écoles débutants qui y voient souvent la promesse d’une année scolaire difficile et agitée, l’est aussi par son histoire. Elle est en effet la toute première école dite Jules Ferry. Construite en 1875 par l’architecte Félix Narjoux missionné par le ministre, elle était conçue pour être le symbole de cette volonté de prise en main de l’instruction publique par la 3ème République. Cette école, dites à l’époque de la rue Curial, était donc majestueuse et dans un quartier déjà très populaire et ouvrier choisi justement parce que les enfants n’avaient pas toujours accès à l’instruction. Les Jésuites l’avaient d’ailleurs surnommée, par dérision, « les palais scolaires ».

Jusqu’à la 2ème guerre mondiale, elle servit de modèle architectural à toutes les écoles parisiennes.

Le quartier, dit de Stalingrad, Flandre, Aubervilliers est resté très populaire. Il concentre aujourd’hui, avec ses nombreux HLM, une population majoritairement issue de l’immigration nord africaine et sub-saharienne. Il y a, sur un axe d’à peine un kilomètre, neuf écoles élémentaires et huit écoles maternelles, toutes en zone d’éducation prioritaire.

Il y a également une autre histoire parallèle, bien que plus récente, relative au quartier et à la rue. Les magasins Bouchara, créés au début du XXème siècle y ont construit à l’époque leurs entrepôts. C’était un grand bâtiment mitoyen de l’école. En 1979, ce bâtiment fut vendu à une association culturelle et cultuelle musulmane sur des fonds apparemment saoudiens pour en faire une mosquée mais aussi un espace réservé entre autres à une école coranique, sans qu’apparemment la municipalité ne s’émeuve de la mitoyenneté avec l’école. Jusqu’en 2006, c’était le lieu de culte musulman le plus fréquenté de Paris après la Grande Mosquée avec une capacité d’accueil de 4 000 fidèles. Cette mosquée fut rendue célèbre après les attentats de Charlie puisqu’on suppose que c’est ici que se sont radicalisés les frères Kouachi. Elle fut connue comme la mosquée de Stalingrad.

En 2006, l’association gérant cette mosquée, mit à exécution un projet pharaonique de reconstruction. L’entreprise Bouygues fut mandatée pour démolir les anciens entrepôts et construire un bâtiment luxueux avec dômes et parking souterrain sur trois niveaux. La destruction se fit mais pas la construction faute de fonds suffisants. Bouygues se retira et l’espace resta en friche jusqu’en 2016. Cette année, une grande toile de tente placée sur le terrain nettoyé fit de nouveau office de mosquée, l’espace fut rouvert et le chantier reprit en même temps, apparemment réalisé par des bénévoles puisqu’aucune entreprise n’apparaît ni d’ailleurs aucun permis de construire. L’endroit se présente désormais comme un mur de protection sur rue d’où l’on aperçoit une grande toile de tente blanche avec en arrière plan une construction disgracieuse de parpaings en chantier qui semble s’ériger sans plan ni logique, le tout contre notre école historique.

De nouveau donc, les journées sont un constant va-et-vient de fidèles, de mendiants s’asseyant sur les marches de l’école avec une foule tous les vendredis à 13h30, foule qui envahit la rue, encombre les passages et nécessite un déploiement policier pour réguler la circulation, les stationnements intempestifs et éviter les prières de rue de fidèles qui n’auraient pu avoir accès.

C’est donc le quotidien de la rue de Tanger et de cette école qui fut d’ailleurs appelée un temps l’école de la mosquée.

J’ai cru bon situer mon parcours et le contexte du quartier pour aborder l’objet de ce billet qui est l’accompagnement des sorties scolaires par des parents arborant des signes religieux ostensibles ou, pour faire plus juste, des mères portant foulard ou hidjab.

Si la circulaire Chatel définissait clairement le statut du parent accompagnateur en indiquant qu’il agissait en tant que bénévole du service public et, qu’à ce titre il devait s’abstenir de signes religieux ostensibles, l’ancienne ministre, Najat Valaud-Belkacem, a cru bon d’y mettre un bémol demandant aux chefs d’établissement et directeurs d’école d’apprécier eux-mêmes le trouble à l’ordre public que pourrait ou non susciter un vêtement ostentatoire et de faire de l’interdiction d’accompagnement une exception.

Cela fit bien sûr écho auprès de la grande majorité de mes collègues de ZEP qui, par peur de l’affrontement, de passer pour des islamophobes stigmatisant une communauté selon eux déjà opprimée ou tout simplement par indifférence, ont décidé de ne plus intervenir sur cette question des mères d’élèves voilées accompagnant des sorties.

Nous voyons donc des classes dans les rues de Paris, dans le métro, dans les musées, accompagnées de mères en hidjab, parfois même avec des gants malgré pourtant une température extérieure conséquente. Ces classes viennent bien sûr des arrondissements périphériques où la fameuse mixité sociale et le « vivre-ensemble » ne sont qu’un doux chant qui ne colle en rien avec la réalité.

Ma position a toujours été claire face à une équipe d’enseignants jeunes, pas toujours militants de la cause laïque et ce, souvent, par manque de formation et parfois de convictions. J’en ai donc fait, avec eux, mon cheval de bataille. Ne voulant pas les exposer, j’avais pris sur moi « d’affronter » les éventuels problèmes avec des parents et mis au point une stratégie d’évitement sur la « sélection » des parents pouvant accompagner une classe.

Cette situation était plutôt inconfortable et même anormale car elle voyait reposer sur ma seule appréciation des décisions impliquant la vie de l’école.

J’ai donc décidé de porter « l’affaire » au conseil d’école. Cette instance réunit trois fois par an, les enseignants, les parents élus, le représentant du maire et le DDEN autour d’un ordre du jour fixé par le directeur qui en est le président. Mon objectif était de faire adopter un paragraphe au règlement de l’école stipulant l’obligation de neutralité des parents accompagnateurs de sorties scolaires.

Lors des débats, j’ai pu m’appuyer sur deux points auxquels les membres ont été sensibles.

Le premier point d’appui était constitué des directives ministérielles portant sur le travail à accomplir dans les classes sur l’égalité garçons-filles. Un enseignant en particulier a clairement indiqué que si le port du hijab dans la sphère privée ne le regardait pas, il éprouverait un certain malaise à être accompagné par une mère en hijab qui, dans le cadre de son travail, présenterait une image de la femme incompatible et en contradiction avec son enseignement ;

Le deuxième a été soulevé par deux mères d’élèves membres du conseil d’école. Ces deux personnes sont d’origine marocaine. Elles ne portent pas le voile et ont choisi une vie émancipée vis-à-vis de la religion. Elles indiquent subir des pressions indirectes au travers de leurs enfants a qui l’on dit régulièrement que leurs mères sont de mauvaises musulmanes, qu’elles iront en enfer ou autres joyeusetés de ce genre. Elles sont obligées de se justifier auprès d’eux qui, bien sûr, sont troublés par ces propos. Elles disent qu’elles verraient une accompagnatrice voilée comme la représentation d’une norme qu’elles réfutent. Pour elles, il s’agit clairement d’un affichage religieux prosélyte que peut-être les parents qui ne sont pas concernés par ce type de pression ne comprennent pas.

Il y a eu débat et, bien sûr, certains ont parlé de « stigmatisation », d’empêchement des mères voilées de participer à la vie de l’école, d’exclusion…. Clairement pourtant, il semblait se dégager une vraie volonté de réagir et d’admettre l’aspect prosélyte et normatif du hijab et du voile ainsi qu’une volonté de dégager les enfants de cette problématique. Il a été dit que le vêtement n’était en rien anodin et était une volonté de visibilité religieuse.

Le vote final a été de 17 voix pour et 3 contre. Ce texte a donc été adopté.

Ne nous trompons pas, ce n’est que le début tant l’application de ce point de règlement sera compliquée. Cet épisode a, du moins, eu le mérite de permettre un débat et de souligner que l’absence de consignes claires de notre ministère créait des interprétations, des malentendus et que beaucoup en profitaient pour s’engouffrer dans les failles.

Je ne peux me résoudre à voir cela comme une victoire mais plutôt, hélas, comme la preuve de notre reculade face à l’offensive religieuse dans l’École de la République. Je pense que nous sommes la seule école parisienne à porter ce point au règlement intérieur. Cet isolement est significatif du peu de considération de la question laïque au niveau même du terrain. Certes, c’est une préoccupation mais très peu y voient une question centrale déterminante dans l’avenir de notre école publique. Les discours de mes collègues directeurs sont trop souvent orientés vers cette idée de fausse tolérance, de « vivre-ensemble », de bienveillance qui ressemble plus à une forme de déni de réalité. J’ai parfois le sentiment qu’ils « lâchent l’affaire » comme si cela ne les concernait pas ou les ennuyait. J’avais le même sentiment lors de la loi sur le port des signes religieux ostensibles dans l’école par les élèves et le personnel. Cette loi, loin s’en faut, n’a fit pas l’unanimité. Elle était pourtant garante de notre protection.

Si les cadres eux-mêmes de l’Ecole républicaine, pilier essentiel de la loi de 1905, ne militent pas activement pour la laïcité et contre l’intrusion du religieux dans les écoles, la bataille sera compliquée. J’attends toujours des réactions des syndicats sur l’organisation de formations racialisées par SUD-Éducation, j’attends toujours leurs prises de positions fermes sur la laïcité qui est un mot ayant disparu de leurs tracts et de leurs journaux. Laisser cette question aux seules mains des gouvernements successifs ne peut rien donner sinon de plus en plus de concessions qui dénatureront au final le principe de laïcité pourtant garant de la paix sociale. Cette paix qui commence avant tout à l’Ecole.

Jacques Lamagnère


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