Remise des Prix le 26 octobre 2015

Prix de la Laïcité 2015. Discours de Philippe Foussier

Président délégué du Comité Laïcité République 26 octobre 2015

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L’exemple de nos amis de Charlie Hebdo l’a hélas illustré. C’est aussi désormais en France qu’on paie de sa vie la défense de la laïcité. Longtemps, nous pensions à nos amis à l’étranger, vivant cachés ou sous haute protection – Taslima Nasreen, Salman Rushdie, Choukria Haidar et tant d’autres… Et combien aussi sont tombés sous les balles des fanatiques – je pense en particulier aux Tunisiens Chokri Belaid et Mohamed Brahmi. Le Prix Nobel de la Paix est venu heureusement mettre en exergue le combat de ceux qui, en Tunisie, luttent pour la démocratie et contre l’obscurantisme. Vous le savez tous ici, et les mauvaises caricatures de la presse dite sérieuse ne vous impressionnent pas, la laïcité n’est pas une affaire franco-française, et ceux qui luttent au Maghreb, en Egypte, en Turquie, et dans tant d’autres pays et continents le savent et s’étonnent que nous soyons si complaisants avec l’intégrisme. Lisez, faites lire Boualem Sansal, ancien président du Jury, si vous ne l’avez encore fait !

Ces mauvaises caricatures de la laïcité sont encore plus malvenues depuis janvier dernier. Cela a été dit : après janvier, le constat a été établi par nos responsables politiques, unanimes derrière le discours du Premier ministre devant la représentation nationale. La situation que nous avons connue en France, elle n’est pas le résultat d’un excès de laïcité et de République, elle est due à un déficit de laïcité et de République. Et nous reprendrions volontiers à notre compte, Monsieur le Premier ministre, votre propos du 1er février dernier : « La laïcité est un combat que nous avons trop longtemps délaissé, et nous l’avons même abandonné un moment à l’extrême droite. Il faut réaffirmer que la religion ne doit pas avoir d’emprise sur la société. Tant que la laïcité sera contestée, nous serons en échec ».

Et pourtant, les attaques perdurent contre la laïcité. Pas seulement du fait des intégristes religieux. Mais aussi de toute une caste intellectuelle, médiatique, universitaire, qui trouve que contenir les prétentions, les revendications, les exigences des religieux les plus intégristes, ce serait « liberticide ». Mais dans quel monde vivons nous ?

Il se trouve que nous célébrons dans quelques semaines le 110e anniversaire de la loi de 1905. Mais avec des raisonnements comme ceux-ci, si les élus, les gouvernements de l’époque s’étaient laissés impressionner par les revendications religieuses telles qu’elles s’exprimaient alors, cette loi n’aurait jamais été votée. Heureusement que nous avons eu des parlementaires, des gouvernements courageux, qui ont résisté à cette offensive cléricale. Oui, en effet, certains n’avaient pas digéré les lois laïques des années 1880 et avaient décidé de transformer une force religieuse en une force politique, dirigée contre la République, contre la « Gueuse », contre la laïcité, contre l’émancipation, contre la liberté absolue de conscience. Il a fallu y mettre un coup d’arrêt, à cette prétention de la religion de tout régenter dans la vie sociale. Et ce coup d’arrêt, ce fut la loi de 1905.

Faut-il une nouvelle loi de 1905 pour réaffirmer que les religions n’ont pas vocation à définir pour l’ensemble des citoyens les règles communes, que ce n’est pas la loi de Dieu qui s’applique aux hommes et aux femmes ? Face à la force, face à la pression, nous pensons que c’est à la loi – la loi des hommes – de définir les règles. Et d’ailleurs, c’est curieux comment les laïques, lorsqu’ils préconisent une loi, sont accusés de vouloir limiter les libertés. Mais les libertés publiques, en démocratie, ne sont-elles pas définies par la loi ? Et par quoi le seraient elles d’ailleurs, sinon ? Mais à entendre certains, la laïcité serait le seul domaine de la vie sociale pour lequel on ne devrait pas légiférer. Mais alors, si ce n’est pas la loi, quelle est la règle qui s’applique ? Le droit coutumier ? Le droit canon ? La Bible, le Coran, la Torah ?

Et d’ailleurs, la loi, quand elle est votée dans notre pays, elle l’est finalement dans un esprit de responsabilité et de concorde dont nous devons nous réjouir. Ainsi, le 12 mai dernier, dans l’indifférence générale, les députés votaient à l’unanimité la proposition de loi Laborde sur la neutralité des personnels des crèches, après un vote unanime du Sénat en 2012. Pas une ligne dans les journaux, alors que dans les semaines qui ont précédé, des quotidiens pourtant réputés sérieux faisaient leur Une sur un ton alarmiste en assurant que cette loi serait liberticide. Elle met fin à près de dix années de tergiversations juridiques nées de l’affaire Baby Loup.

De la même manière, la loi du 13 mars 2004 sur les signes religieux à l’école, votée elle aussi à la quasi-unanimité du Parlement, a-t-elle mis fin à quinze ans d’un débat dans lequel les exploitations, les surenchères, les outrances se sont multipliées, de la part de l’extrême droite on s’en doute, mais aussi de la part de mouvements qui plaident ouvertement pour un système différentialiste en France, ces entrepreneurs communautaires qui veulent enfermer les hommes et les femmes dans des cases dont ils entrent à la naissance pour ne jamais en ressortir, même au cimetière !

Car oui, lorsqu’il n’y a pas de loi, alors les interprétations des tribunaux, contradictoires, s’enchevêtrent, se contredisent, et créent des polémiques dont les bénéficiaires sont toujours les plus démagogues, les plus extrémistes, les plus intégristes. On le voit avec l’exemple récent des crèches de Noël dans les bâtiments publics. Les tribunaux se contredisent, c’est le moins qu’on puisse dire. Et on nous explique savamment que la coutume, ici ou là, peut prévaloir sur les lois de la République. M. Ménard, maire de Béziers, l’affirme avec beaucoup d’assurance. Mais il n’est pas le seul à défendre ce type d’arguments, partagés hélas bien au-delà de l’extrême droite.

Alors faut-il une loi pour l’université, faut-il une loi pour les crèches de Noël, faut-il une loi pour garantir la neutralité religieuse dans l’entreprise, faut-il une loi pour préserver les jeunes enfants du prosélytisme lors des sorties scolaires ? Nous n’avons pas de position arrêtée. Ce que nous savons, c’est que c’est aux parlementaires de s’emparer des sujets car sinon on laisse invariablement s’envenimer des conflits locaux, on laisse les récupérations et les pressions s’exercer et on finit par faire une loi au bout de quinze ans comme on l’a fait pour le signes religieux à l’école, ou tout récemment pour la neutralité des personnels de crèches.

Alors, le choix est clair : le courage ou le pourrissement ?

Ce qui est sûr aussi, c’est que lorsque le camp laïque préconise une loi, il n’est jamais légitime à le faire. Mais lorsque ce sont les lois anti-laïques qui s’empilent – loi Marie-Barangé, loi Debré, loi Guermeur, loi Carle, c’est présenté comme étant dans l’ordre des choses. Pour le cléricalisme, rien n’est jamais trop beau.

Alors, oui, il est plus que temps d’inverser la tendance. La République, la laïcité, ce sont des biens précieux mais fragiles. Ce sont nos amis qui luttent à l’étranger qui nous adressent le message le plus encourageant, Choukria Haidar, Fazil Say, Naser Kadher, Djemila Benhabib, Chahdortt Djavann, Nadia El Fani, et tant d’autres. La laïcité, c’est la liberté. La laïcité, c’est l’émancipation. La laïcité, c’est le meilleur remède contre le racisme et les discriminations. La laïcité, c’est l’égalité. La laïcité, c’est la citoyenneté. La laïcité, c’est la fraternité.

Si nous ne voulons pas demain être pris en étau entre l’extrême droite et le fanatisme intégriste, il est urgent de passer à la contre offensive. Ou alors l’intolérance l’aura emporté.


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