Tribune libre

Politiquement correct, le voile (Yves Agnès)

Yves Agnès, ancien rédacteur en chef au "Monde", ancien directeur du Centre de formation des journalistes (CFJ). 8 mai 2019

[Les tribunes libres sont sélectionnées à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Extrait de Yves Agnès, "Le poison du politiquement correct" (2017) [1].

" Voile

En lançant des lignes pour femmes musulmanes au printemps 2016, les créateurs de mode ont poussé la société française, qui s’était quelque peu assoupie sur la question du voile islamique, à s’en préoccuper de nouveau. Quand il y a un marché et du pognon à prendre, tout est bon.

Voilà que le ministre des droits des femmes Laurence Rossignol juge le 30 mars cette opération « irresponsable de la part des marques », car elles « mettent les femmes musulmanes dans la situation de devoir porter ça ». Elle avait déjà twitté la veille à propos de cette « mode pudique » : « La ligne ‘‘pudique’’ ? Et les autres lignes, c’est pour les dévergondées, les montre-tout, les traînées ? ». Complètement archaïque, la pauvre…

La connosphère s’emballe. Et le sénateur écologiste du Val-de-Marne Esther Benbassa agite une plume courroucée dans Libération, s’interrogeant sur « l’islamophobie » de Mme Rossignol, ses « propos de café du commerce » et son « féminisme de grand-mère ». Ouh là ! On se croirait dans l’Hémicycle sous la IIIème République. On a dû toucher un point sensible, pour que la bien-pensance de gauche multiculturaliste et relativiste monte ainsi au créneau. Oubliant au passage les centaines de millions de femmes voilées contre leur gré au nom de l’islam de par le monde. Pour Madame la sénatrice en effet, porter le voile est aussi légitime que porter une mini-jupe, c’est le libre choix des femmes. Et c’est légitime aussi parce que (sic) elles agissent au nom d’une « revendication identitaire ou conviction religieuse ». Les femmes sont libres, y compris d’être des esclaves ! Depuis une douzaine de siècles, les musulmanes l’acceptent bon gré mal gré, ne cherchez donc pas midi à quatorze heures. Même certaines occidentales, de nos jours, trouvent cela seyant, et même que ça fait chic, alors…

Et d’enfoncer le clou au cas où on n’aurait pas compris, jugeant au passage le « penseur anti-esclavagiste » Montesquieu (auquel s’était référée la ministre) « ambivalent, comme le furent d’ailleurs globalement les Lumières ». Anachronisme intéressant chez cette distinguée universitaire. Car nous voici au cœur de la nouvelle doxa, qui professe la confusion des esprits et exclut les valeurs universelles. L’attachement à la laïcité est obsolète. Il faut affirmer son identité, et surtout sa religion, que diable ! Y compris sur les plages, avec la nouvelle mode du « burkini », qui a fait fureur l’été suivant dans la classe politique et les médias, à défaut d’une présence (bien discrète) sur le sable et les galets…

On en vient à penser amèrement aux aristocrates éclairés de la Révolution française, ceux qui ont activement participé à la rédaction de la Déclaration du 26 août 1789. Les La Fayette, les Mirabeau, La Rochefoucault, Saint-Fargeau… Ou encore le duc de Lévis proclamant lors de la discussion de l’article XI (« la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme… ») : « Il importe, Messieurs, à un peuple qui veut se soustraire à tous les genres de despotisme, de briser, avant tout, la verge de fer dont la superstition est armée ». Nombre de nos dirigeants auraient-ils oublié comment s’est forgée notre république ?

Refuser le prosélytisme. Encourager les pratiques religieuses personnelles et non publiques… Au pire, se cotiser pour que toute les femmes voilées – plus ou moins « pudiquement » – puissent bénéficier d’un voyage gratuit pour assister à des exécutions de récalcitrantes au voile à Ryad ou à Téhéran."

[1Publié notamment dans la revue "[im]Pertinences" (Académie de l’éthique) : "Le poison du politiquement correct - Catéchisme du savoir vivre et penser" (note du CLR).



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