Tribune libre

Point de contrainte dans la religion ? L’art de lire un verset en entier (pour mettre fin à une légende urbaine) (Ilse Ermen)

par Ilse Ermen. 1er février 2023

[Les tribunes libres sont sélectionnées à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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Il existe un début de verset coranique qui fait carton dans les milieux islamo-gauchistes, chez les musulmans missionnaires des occidentaux, chez les laïcs plus ou moins islamophiles, des bien pensants en général, et hélas ! hante même des intellectuels critiques. Il s’agit du tout premier élément du verset 2:256 : lā ikrāha fī d-dīn formant une unité sémantique avec les versets précédent 2:255 et suivant 2:257, dont personne ne parle jamais. Ce tronçon de verset serait la preuve définitive de la prétendue tolérance de l’Islam. Ce mythe se répand à la manière d’un canular, d’une légende urbaine : les uns le copient sur les autres, sans vérifier le contexte. Mais effectivement, on ne peut pas toujours vérifier la totalité de ses informations.

Je vais discuter le problème évident du contexte et ensuite l’interprétation du mot dīn.

Le dernier que j’ai entendu répéter le mythe est Richard Malka dans une conférence du CLR [1] ; Henri Peña-Ruiz le cite dans son Dictionnaire amoureux de la laïcité, même le théologien progressiste Abdel-Hakim Ourghi tombe dans le piège de répéter ce début de verset sans s’occuper du reste. Tous des personnes instruites, éclairées et à un certain niveau compétentes en matière d’Islam.

J’ai eu une discussion avec un musulman pratiquant arabophone qui a voulu me convaincre de la tolérance de l’islam avec ce tronçon de verset, sur quoi je lui ai demandé s’il avait bien lu la suite ? Bien sûr que non, mais il a aussitôt consulté son Coran en ligne, version arabe, pour faire de grands yeux. Non, la suite, il ne l’avait jamais vu ni lu.

Le texte des versets en question est le suivant (je ne citerai pas 2:255 qui parle de l’unicité et l’omnipuissance d’Allah) :

“2:256 : Il n’y a pas de contrainte dans la "religion" (dīn). Certes, le chemin droit s’est distingué nettement de l’erreur. Et ceux qui ne croient pas aux idoles, mais croient en Dieu, c’est qu’ils ont une bande très solide qui ne peut se déchirer. Et Dieu écoute et est savant. 257 Dieu est le guide de ceux qui croient et il les sort des ténèbres vers la lumière. Et ceux qui croient aux idoles seront guidés de la lumière vers les ténèbres et ils seront résidents du feu éternel.“ (trad. Par IE)

Ou alors les originaux et la traduction anglaise en ligne, puisque les traductions françaises se soucient plus de l’esthétique que de la précision ; une traduction française littérale et commentée à l’usage de la recherche fait toujours défaut :
https://corpus.quran.com/translation.jsp?chapter=2&verse=256 ;
https://corpus.quran.com/translation.jsp?chapter=2&verse=257.

Là, déjà, on devrait hésiter, aucune connaissance linguistique n’est requise : le verset dit explicitement que ceux qui ne croient pas en l’Islam vont griller en enfer. On dirait que le feu éternel n’est pas vraiment un signe de grande tolérance.

Qu’est-ce qu’ils en disent des arabisants, des islamologues et, en fin de compte, les représentants d’un islam ultraconservateur, radical ?
Tilman Nagel, islamologue allemand éminent, nous cite dans son recueil d’essais Angst vor Allah ? (Peur d’Allah ?, Berlin 2014 p.319ff., 364-367) un nombre de conservateurs qui se servent de cet extrait pour défendre que l’Islam n’est PAS tolérant, par exemple Ṣalīḥ bin Fauwzān, membre du conseil de questions de charia de la Ligue des Etats islamiques, ou encore Yusūf al-Qaraḍāwī, président du Conseil européen des fatwas, dans une emission sur la charia dans la chaine Al-Djazira. A rajouter encore la charte du Hamas qui a recours aux versets 2:256/257 pour justifier son totalitarisme.

La tolérance ne fait pas partie des qualités prisées par l’Islam.

L’Islam n’est pas tolérant et ne l’a jamais été. A l’opposé de la légende moderne, ces versets soulignent la supériorité de l’Islam sur toutes les autres religions, de préférence sur celles des "associateurs", dont les chrétiens trinitaristes font partie.

L’interprétation dans un sens de tolérance est construite à l’intention d’un public non-musulman ou pour brouiller le regard des réformistes bien intentionnés. Elle fait preuve d’une stratégie d’entrisme réussie, comme on voit, jusque dans des milieux éclairés. L’intention du recueil d’essais de Nagel est de démasquer le double discours des institutions islamiques face aux institutions occidentales et aux communs mortels bien-pensants. Selon Nagel, dīn signifie – pas seulement dans ce passage – "pratique de la religion" [2], notamment la pratique de l’unique et seule vraie religion qui est l’Islam (3:19 : "Pour Dieu, [la pratique de] la religion, c’est l’Islam"), à distinguer du terme "imān" qui a la connotation de "foi".

Pour ceux qui suivent le chemin droit de l’Islam, aucune contrainte n’est nécessaire, car "le chemin droit s’est distingué nettement de l’erreur", cette vérité éternelle s’impose toute seule.

Pour conclure. on ne peut pas tout lire et tout vérifier, mais parfois, ça vaut la peine.

Ilse Ermen

[2Sauf, évidemment, dans les passages où dīn signifie "jugement [dernier]".


Voir aussi la note de lecture Islam et (in)tolérance : faits et chiffres (I. Ermen), dans la Revue de presse la rubrique Islam dans Liberté de conscience (note de la rédaction).


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