Note de lecture

P. Servigne et R. Stevens - Comment l’humanité court à sa perte (G. Durand)

par Gérard Durand. 22 janvier 2021

[Les échos "Culture" sont publiés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Pablo Servigne et Raphaël Stevens (sous la direction de), Aux origines de la catastrophe. Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Ed. Les Liens qui libèrent, nov. 20, 208 p. 17 €.

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Nous savons aujourd’hui que l’humanité toute entière peut courir à sa perte et que le changement climatique n’épargnera personne s’il se poursuit au rythme actuel. J’ai déjà abordé ce thème dans cette rubrique en parlant du livre d’Aurélien Barrau et c’est pourquoi ce nouvel ouvrage, paru en novembre dernier, m’a intéressé.

C’est un ouvrage collectif, dirigé par Pablo Servigne et Raphaël Stevens, qui réunit 25 auteurs de disciplines différentes dont le but est de chercher les causes de la situation actuelle, les plus récentes, celles du siècle dernier, comme les plus anciennes, venant de plusieurs millénaires. Les textes sont courts, écrits dans un langage clair accessible à tous.

Les deux coordinateurs précisent dans l’introduction que le but de la collapsologie n’a jamais été de faire peur et de prouver que la situation est irrémédiable, cette nouvelle discipline cherche bien au contraire à expliquer, faire comprendre et tenter de convaincre décideurs comme simple citoyens de prendre les mesures nécessaires pour limiter les effets de la catastrophe qui menace.

Le livre est divisé en cinq chapitres dont chacun fait intervenir entre 3 et 7 spécialistes. Impossible dans cette note de les citer tous ; je n’ai retenu que deux articles par grand thème ; les autres auteurs, tous de grande qualité, me pardonneront.

Le premier s’intitule "La Grande accélération", celle du dernier siècle. Alain Damasio, auteur de science-fiction, intitule son texte « Le technococon » qui en nous enveloppant de technologie, trop facilitante, nous donne le pouvoir de faire faire mais nous prive de notre pouvoir de puissance en nous rendant dépendant de techniques que nous ne maitrisons pas. Paul Jorion, anthropologue et sociologue, parle ensuite de la finance débridée qui nous fait croire en une croissance trompeuse et plaide pour le retour à la stabilité du système financier des années 1944 à 1971.

Le second a pour thème "La Grande Exploitation" et s’étend sur les deux derniers siècles. Renaud Dutertre, agrégé en sciences du développement, apporte son éclairage sur le capitalisme, né en Europe et qui a su déplacer beaucoup de sources de pollution vers d’autres continents, affaiblissant ainsi la conscience écologique des pays les plus développés. François Jarrige, historien, aborde le thème de l’industrialisme et parle de ses recherches sur l’histoire des techniques et de l’industrialisation au prisme des enjeux sociaux. Au catéchisme des industriels de Saint-Simon, il préfère les idées de Fourrier, beaucoup plus agrestes.

Plusieurs siècles plus tôt se crée "La Grande Séparation". Geneviève Azam, économiste et militante écologiste, aborde avec une plume acérée la naissance et le développement des économismes, mettant le monde en chiffres et équations mais incapables de prévoir l’avenue d’une catastrophe épidémique ni d’y proposer le moindre remède. Ils sont le symbole de « la perte du sauvage » que détaille Annick Schnizler, professeur des universités, de la perte des grands espaces naturels, de la faune et des habitants qui les peuplaient, de la canalisation des grands fleuves et de la perte de plaines alluviales. Pour terminer par la force de la nature qui se reconstitue sitôt l’homme disparu. Agir pour contrer le réchauffement climatique n’est donc pas lutter pour sauver la planète comme le répète à l’envi un slogan stupide mais bien lutter pour sauver l’espèce humaine.

Enfin, depuis la nuit des temps se précise "La Grande Bifurcation". Abdennour Bidar nous raconte la naissance des religions. Idéologies verticales reliant l’homme à un dieu, elles ont été pendant des millénaires le moteur de l’histoire et le principe de structuration de la vie humaine. Mais ces croyances sont en passe, en s’accrochant à un passé obscurantiste, de produire aujourd’hui une destruction du monde. Grégoire Chambaz, rédacteur à la revue militaire suisse, décrit « les sociétés complexes » et l’augmentation de leur complexité qui produit un effet de cliquet : une fois atteint un certain niveau, il est très difficile de revenir en arrière. Enfin Thierry Paquot, philosophe, termine ce chapitre par le thème des effets néfastes de la démesure.

La conclusion viendra des deux coordinateurs, espérant que cet ouvrage nous aura convaincu d’admettre les frontières infranchissables du réel. Nous aurons pour cela besoin d’une pensée riche et complexe pour agir ensemble et créer une sorte de permaculture politique.

Ce livre est un outil précieux pour tous ceux qui ne se satisfont pas des informations délivrées par les médias. Il peut se lire en une traite mais j’ai préféré une lecture par petites touches afin de mieux m’imprégner de chaque article. Pablo Servigne et Raphaël Stevens ont su rassembler une équipe à la fois compétente et pédagogue, bravo.

Gérard Durand


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