Revue de presse

N. Polony : "Ministre pour le symbole ou pour l’action ?" (Marianne, 25 mai 22)

Natacha Polony, journaliste, essayiste, directrice de la rédaction de "Marianne". 11 juin 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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"[...] Passons sur la promotion de la notion de souveraineté, présente dans l’intitulé de deux ministères, celui de l’Économie et, donc, de la Souveraineté industrielle et numérique, et celui de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Quand on se souvient que prononcer ce mot exposait il y a peu à l’accusation de cryptofascisme, avec convocation des « heures les plus sombres de notre Histoire »… Si nous n’étions avant tout soucieux du destin de la France, nous dénoncerions une forme caractérisée d’appropriation culturelle. Au contraire, s’il s’agit d’une authentique conversion, le pays n’aura qu’à s’en réjouir. Hélas, est-ce si sûr ?

Autant le dire tout de suite, le gouvernement Borne n’est pas de ceux qui clarifient une ligne idéologique. Le problème n’est pas dans le dosage des différentes factions : c’est un classique de tout gouvernement. Mais il est un exemple qui illustre l’étrangeté de cet objet politique. Exemple qui a déjà fait couler beaucoup d’encre, agité les réseaux sociaux et donné lieu à toutes les caricatures. Un record en si peu de temps. Pap Ndiaye – et ce n’est pas lui faire injure que de l’écrire – a été choisi pour cela. Par-delà ses qualités et ses compétences, il est un pied de nez, un chiffon rouge, un outil tactique. Non pas que sa nomination ne soit pas légitime. Elle l’est, ne serait-ce que par sa qualité d’intellectuel qui rappelle que le savoir élève. Mais il faut une étrange perversité pour nommer Pap Ndiaye après Jean-Michel Blanquer. C’est la succession des deux qui laisse perplexe quant aux convictions d’Emmanuel Macron sur l’état du pays, la nature de son pacte politique et les causes de la plongée dramatique du niveau des élèves.

On peut ironiser sur la déception de tous ceux qui, au nom de la cause qu’ils avaient embrassée, cette « laïcité » embrigadée dans une défense acharnée du système, espéraient des postes et prennent cette nomination pour ce qu’elle est : un camouflet (lire p. 28). L’important n’est pas là. S’il s’agit de constater qu’aucune réforme de l’Éducation nationale n’est possible sans l’assentiment, voire l’élan, du corps enseignant, c’est une évidence. Mais la question est bien celle du diagnostic. L’échec scolaire des enfants d’immigrés – démontré par les enquêtes Pisa – est-il dû à un « racisme structurel », c’est-à-dire lié à des « structures invisibles » dont les agents n’auraient pas conscience ? Les études démontrent pourtant que, à niveau social égal, les enfants d’immigrés réussissent au moins aussi bien que les autres… C’est l’incapacité de l’école à transmettre correctement les savoirs qui condamne ceux dont les familles ne pourront pas compenser ce manque. Question d’objectif et de méthodes.

Il est intéressant de relire les déclarations de Pap Ndiaye et d’analyser son parcours. On y trouve ce qui est au cœur des débats idéologiques de ces dernières années : le poids des problématiques raciales américaines appliquées à la République française, alors même que l’histoire et les structures fondamentales des deux pays n’ont rien à voir. Il est absurde de traiter Pap Ndiaye de communautariste, comme l’ont fait par réflexe nombre d’opposants politiques. La question qui se pose est plus subtile. Elle se situe dans la différence entre une démocratie américaine fondée, dès l’origine, sur une organisation esclavagiste de la société et sur l’idée de communautés interagissant entre elles, et une République pensée comme une communauté politique formée par des individus autonomes et égaux (malgré la différence évidente entre l’idéal abstrait et la réalité concrète).

Ces débats n’ont rien d’éthérés. Ils déterminent les priorités que l’on se fixe dans un ministère abîmé par quarante ans d’idéologie et de fausse modernité pédagogique. Le fait que les classes françaises, selon les enquêtes internationales, soient celles où la discipline fait le plus défaut explique davantage les échecs qu’un éventuel racisme structurel ou qu’une reproduction de la culture bourgeoise, depuis longtemps éradiquée dans les classes (sauf celles dans lesquelles la bourgeoisie préserve ses enfants des conséquences de quarante ans de pédagogies délirantes).

Le nouveau ministre dévoilera bientôt les orientations de son ministère. Sa culture est d’ores et déjà un programme dans un monde qui promeut le simplisme et la facilité. Mais le risque est de voir ce brillant universitaire rester un symbole, pendant qu’une administration habituée à voir passer les ministres restera le bastion de ceux qui, depuis quarante ans, ont, avec obstination, détruit l’école républicaine. Et les empoignades sur le « wokisme » ou l’« islamo-gauchisme » ne sont qu’écume à côté de ce naufrage."

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