Revue de presse

N. Polony : "Les oukases de Pimprenelle" (Le Figaro, 3-4 sept. 16)

Natacha Polony, journaliste, présidente du Comité Orwell, auteur de "Nous sommes la France" (Plon). 7 septembre 2016

"Est-ce un hasard si ces dernières années ont vu reculer la maîtrise de la langue, du vocabulaire et de la grammaire dans toutes nos classes et parallèlement se développer les discours les plus obscurantistes, aussi bien sur les lois religieuses devant prévaloir sur les lois de la République que sur la place des femmes qui serait à la maison ? Est-ce un hasard si la France est à la fois ce pays où l’école amplifie désormais la destinée sociale des élèves et celui où des jeunes gens le détestent au point d’attaquer leurs concitoyens au couteau ou à la kalachnikov ? Est-ce un hasard si notre ministre de l’Éducation nationale défend bec et ongles une réforme du collège concoctée par une administration indéboulonnable qui n’apprend rien de ses tragiques erreurs et ne trouve rien à redire à une tenue de plage affichant l’idée que les femmes sont coupables du désir qu’elles inspirent et matérialisant la conquête de l’espace public par le différentialisme culturel (ceux qui y verraient un affligeant clientélisme servant ses ambitions électorales à Vénissieux sont de méchantes langues) ?

Parmi les innombrables dénis de réalités lancés depuis trente ans à la face du peuple français, les mensonges accumulés sur l’état de l’école sont les plus criminels qui soient. Parce qu’ils ont privé des générations d’enfants de milieu défavorisé de leur seule richesse. Parce qu’ils ont désespéré des classes moyennes qui voyaient dans l’école un espoir d’ascension sociale fondée sur le moins injuste des critères : le mérite. Parce qu’ils ont transformé ce pays en un agrégat d’individus et de communautés privés de ce patrimoine historique et culturel qui seul peut leur donner l’envie de se forger un destin commun. Devant le tribunal de l’Histoire, il est des réquisitoires qui seront terribles.

Mais tout va bien. La rentrée se passe bien et les promesses sont tenues, nous dit la ministre de l’Éducation nationale, que François Hollande surnomme Pimprenelle « parce qu’elle endort les profs ». Najat Vallaud-Belkacem évite soigneusement de se confronter à des contradicteurs pointus. Elle peut donc afficher son inoxydable sourire pour asséner quelques contrevérités électoralistes. Personne pour débattre avec elle de la différence entre une vague initiation à la culture latine infligée à 100 % des élèves, et qui ne laissera aucune trace, en particulier chez les 25 % qui sont en grande difficulté avec la langue française, et le travail de fond que peut représenter la confrontation à une langue et une grammaire qui ont structuré les nôtres. Personne pour l’obliger à défendre avec quelques arguments cohérents des enseignements interdisciplinaires qui aboutissent à la fabrication de romans-photos ou à des réflexions lunaires sur les habitudes alimentaires de Madame Bovary.

Najat Vallaud-Belkacem incarne la forme chimiquement pure de l’idéologie. On ne se confronte pas à elle argument contre argument. On est, par essence, un salaud. Le roman que lui écrivait Le Monde cette semaine nous le raconte : « Ce qui la met hors d’elle, c’est la faiblesse du débat public sur l’école. La blouse grise, l’autorité, les crispations identitaires… Elle ne supporte pas que ça vole aussi bas. (…) Elle est convaincue qu’un pays démocratique ne peut avoir une école qui fonctionne comme une centrifugeuse sociale. » Pierre Nora et Jacques Julliard, qui critiquèrent les premiers cette réforme lamentable, sont donc aimablement assimilés aux incultes et aux racistes qui parfois se manifestent contre la ministre. Des pseudo-zintellectuels (avec la liaison) élitistes et œuvrant pour défendre les privilèges des riches. Voilà qui évite de répondre sur le fond. Notamment sur le fait que cette réforme, comme les précédentes, accentue justement la centrifugeuse sociale en laissant le soin aux entreprises de soutien scolaire de combler les vides béants laissés par l’école.

Cette ministre, plus que tous ses prédécesseurs (qui pourtant y ont mis de l’ardeur), est complice de la destruction de l’école comme lieu d’émancipation par le savoir et de sa transformation en une machine à produire des employés adaptables aux compétences globalisées, futurs consommateurs-producteurs (ou consommateurs-chômeurs subventionnés par un revenu universel). Avec sa bonne conscience satisfaite, elle remplit la mission fixée par l’OCDE et le protocole européen de Lisbonne d’uniformisation du marché éducatif sans comprendre qu’elle ouvre un boulevard à tous les prêcheurs de haine, puisque l’obscurantisme fait son lit de l’inculture.

Mais Najat Vallaud-Belkacem est d’une gauche dont le multiculturalisme, en niant l’histoire des peuples, est le meilleur allié de cet utilitarisme mercantile. Une gauche qui n’a jamais lu Marx et qui a totalement oublié le sens du mot aliénation."

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