Revue de presse

"Joué-lès-Tours, Dijon, Nantes, « il n’y a aucun lien entre ces événements »" (N. Polony, lefigaro.fr/vox , 26 déc. 14)

30 décembre 2014

"Natacha Polony s’interroge sur l’utilisation des mêmes éléments de langages lors des événements tragiques de Joué-lès-Tours, Dijon et Nantes.

Terreur avant Noël. Coup sur coup, les chaînes d’information continue envoient leurs reporters à Joué-lès-Tours, à Dijon et à Nantes pour ce qui semble une terrible conjonction d’événements. Un commissariat, une rue, un marché de Noël. Et des blessés. Et l’inquiétude qui monte.

Mais le plus intéressant pour qui observait ces quelques jours à travers le prisme de la télévision, chaînes d’info et chaînes généralistes confondues, est l’étrange impression d’uniformité langagière qui s’en dégageait. Ne paniquez pas, bonnes gens, vos mots sont en de bonnes mains. Votre peur est prise en charge par le plus puissant anxiolytique qui soit : la langue.

« Il n’y a aucun lien entre ces événements. » La phrase a été répétée, moulinée, martelée jusqu’à s’imposer telle l’évidence. Mais elle l’était avant même le dramatique événement de Nantes, qui, de fait, n’avait aucun lien avec le reste. Elle l’était à propos de Joué-lès-Tours et de Dijon, où deux personnages s’étaient jetés sur des gens en criant « Allah akbar ». Aucun lien entre ces événements. On se doute en effet que les deux hommes ne se sont pas appelés le matin pour se coordonner. On se doute que le deuxième, avec cent cinquante passages en unité psychiatrique, doit être un cas lourd.

Mais si les schizophrènes décompensent désormais leur psychose en assassinant des gens au cri d’« Allah akbar », cela nous raconte quelque chose de l’époque, et surtout de la pathologie mortifère et dangereuse que constitue l’islamisme. Cela nous dit, notamment, que le mal est interne à nos sociétés, qu’il n’a rien d’une menace conventionnelle et lointaine.

Or, qu’avons-nous vu ? Des journalistes reprenant fidèlement le message des autorités : « Il n’y a aucun lien entre ces événements. » Gageons que les deux hommes auraient crié « Montjoie Saint-Denis » ou « Vivele Québec libre », on y aurait vu un lien, mais là, non.

Pas un rappel de ces vidéos de l’État islamique appelant les fanatiques de France et d’Europe à frapper les « infidèles » en se jetant sur eux avec leur voiture, en les agressant à coup de couteau ou de n’importe quelle autre arme… Aucun lien.

L’affaire de Dijon « n’a pas de caractère terroriste », déclarent les journalistes et les commentateurs, sans comprendre à quel point cette phrase n’a aucun sens. Le « terrorisme » n’est plus dans le mode d’action de poseurs de bombe déterminés, mais dans la propagande de gourous qui utilisent par des vidéos et des discours n’importe quel déséquilibré comme une bombe lancée sur des passants.

Les mots sont des armes pour les fous de l’État islamique, ils sont des anxiolytiques pour les dirigeants occidentaux qui les déversent généreusement sur les foules. Avec l’aide de tous ceux qui répètent une même phrase comme un mantra sans même en modifier le vocabulaire pour se la réapproprier. Une phrase à peine digérée, car la production et l’organisation de mots, cette expression intime de notre pensée et de notre vision du monde, nécessite une maîtrise du vocabulaire et de la grammaire qui n’ont visiblement plus cours.

Une preuve encore ? Quand des journalistes répètent à l’envi que l’otage Hervé Gourdel a été « exécuté », se rendent-ils compte qu’ils valident par ce mot la parodie de guerre que joue un groupe de tordus sanguinaires coupables d’un assassinat ?

Les éléments de langage auxquels nous ont habitués les communicants qui détruisent peu à peu la politique ont donc gagné toutes les strates de la société. Les politiques, les journalistes, et désormais les citoyens. [...]

Mais la réappropriation des mots et des arguments, la lecture critique sont devenus rares en un temps où les plus paresseux absorbent les slogans et les plus rebelles se trouvent des gourous maudits. Répéter les phrases d’un maître à penser, fût-il mal pensant, relève du même processus mental que l’absorption d’éléments de langage gouvernementaux.

La résistance, la vraie, est dans les mots, dans les lectures multiples et critiques, dans le débat pluraliste, dans ce que les Grecs appelaient le logos, et qui est la condition de la démocratie."

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