Revue de presse

N. Polony : "Dignité des musulmans de France, ambiguïtés des multiculturalistes" (Le Figaro, 27 sept. 14)

29 septembre 2014

"Après la stupeur et l’effroi, après les photos en une de ce visage au sourire franc, après les proclamations d’union nationale et les phrases sur ce « premier mort de la guerre » (mais les enfants de l’école Ozar Hatorah furent des victimes de la même guerre, celle que nous livrent une association de barbares fanatiques et de frustrés à la dérive), viendront les réflexions et les questions. Non pas pour exploiter d’indécentes polémiques mais parce que l’émotion ne doit surtout pas interdire la politique, c’est-à-dire le choix de la nation en fonction de l’intérêt commun.

Car le premier risque est bien de voir les djihadistes nous précipiter sur leur terrain, celui d’une confrontation entre deux mondes, l’Occident et le califat. Il est trop tard, désormais, pour remettre en cause l’intervention en Irak, mais est-il trop tard pour demander, comme le faisait Renaud Girard1 dans ces pages, que l’on définisse des objectifs clairs qui laissent une chance de gagner cette guerre ?

Mais le second risque est plus prégnant encore, et plus mortel. Il est de voir des fous ébranler par un acte délirant et sauvage le fragile édifice de notre communauté nationale. Ce danger-là nous guette d’autant plus que - le nier serait absurde - la société française est travaillée par des tensions que certains nomment « identitaires » ou « communautaires » et qui sont le fruit de quarante ans d’abandon de l’intégration républicaine.

Une preuve de cette fragilité ? On la trouvera dans la polémique née immédiatement après la mobilisation de nombreux musulmans français dans la lignée du mouvement lancé en Grande-Bretagne : « Not in my name ». Spontanément, des gens ont brandi cette phrase comme un étendard, parce qu’ils en ont assez de voir des cinglés et des fanatiques prendre en otage leur religion et parce qu’ils perçoivent combien ils pourraient être les premières victimes d’une psychose collective.

Aussitôt, sur Rue 89, sur Médiapart ou le site du Nouvel Observateur, on a vu surgir des protestations. Les musulmans « n’ont pas à se justifier » (disent ceux qui, souvent, parlent en leur nom). Le leur demander serait une forme de racisme déguisé ; une démarche aussi injustifiée que « de demander aux femmes de se désolidariser de Nabila. » La différence - certes subtile pour qui regarde le réel a l’aune de ses obsessions - est que jamais Nabila2 n’a prétendu parler au nom des femmes. Et qu’elle est moins nombreuse que les islamistes dans le monde.

Une telle polémique n’a pourtant pas vu le jour en Angleterre, pays qui a son lot de prédicateurs fous. Pourquoi ? Sans doute parce que la Grande-Bretagne, société multiculturelle, ne connaît pas l’art du double langage développé dans notre société en phase d’autodestruction par les contempteurs du modèle d’intégration républicaine.
Car ce sont bien les mêmes qui nous expliquent depuis des années qu’au nom du multiculturalisme, il serait anachronique et scandaleux de demander à des immigrés de renoncer à leur « identité » et de s’intégrer, et qui viennent ensuite nous dire qu’ils sont intégrés et ne doivent donc pas être considérés comme musulmans liés à tous les musulmans du monde. Ceux-là mêmes qui trouvent des excuses, et peuvent écrire dans Le Monde, comme Pierre Torrès, ex-otage en Syrie, que « Mehdi Nemmouche est un pur produit occidental, labellisé et manufacturé par tout ce que la France peut faire subir à ses pauvres comme petites humiliations, stigmatisations et injustices », mais qui ne supportent pas qu’on demande à tous d’affirmer que non, il n’y a pas d’excuses.

Il n’est pourtant pas question de considérer une seconde que les musulmans français seraient soupçonnables de tendresse vis-à-vis des barbares qui salissent leur religion. Mais il s’agit de faire de la politique et de prévenir la réaction stupide de ceux qui pourraient faire cet amalgame. C’est ce qu’ont compris tous ceux qui ont manifesté hier vendredi avec intelligence et courage. C’est ce que comprennent tous ceux qui, dans de nombreuses banlieues, subissent la pression des salafistes qui leur enjoignent, justement, de se détacher de la communauté nationale et de se séparer des « infidèles ».

Il y a péril, et l’ennemi commun n’est pas l’islamophobie mais tout ce qui fracture notre communauté nationale. Il y a péril et le devoir est, avec humilité et responsabilité, d’apaiser les tensions."

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