Revue de presse

N. Heinich : "Imposer son point de vue par la menace, c’est fascisant" (L’Obs, 11 av. 19)

Nathalie Heinich, sociologue, spécialisée dans la sociologie de l’art. 18 avril 2019

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"La LDNA a empêché la semaine dernière la représentation, à la Sorbonne, de la pièce d’Eschyle « les Suppliantes ». Votre réaction ?

Cette censure de fait relève de l’importation de l’identity politics à l’américaine, fondée sur une conception de la citoyenneté dans laquelle les individus sont considérés en tant que membres d’une communauté de race, de religion, de sexe, d’orientation sexuelle, etc. Cette politique identitariste a engendré la notion d’« appropriation culturelle », stigmatisant toute représentation d’une « communauté » par quiconque n’en ferait pas partie : ainsi, les Blancs n’auraient pas le droit de parler des Noirs et réciproquement, les non-juifs des juifs, etc. C’est profondément étranger à notre conception républicaine de la citoyenneté, où l’on n’est pas politiquement représenté en tant que « Noir » ou « Blanc », mais en tant que membre de la collectivité nationale. Cela révèle une grande inculture politique.

Inculture ou contestation de la conception républicaine de la citoyenneté ?

S’il s’agit de contestation, alors il faut l’assumer explicitement. Mais il y a bien inculture artistique lorsqu’on méconnaît la tradition de la tragédie grecque et son utilisation des masques. La mise en scène de Philippe Brunet, fin connaisseur du théâtre antique, n’a rien à voir avec la pratique du blackface raciste dans les music-halls américains. Enfin, inculture juridique : les militants de la LDNA, qui ont empêché la représentation, et le Cran, qui a appelé au boycott, feignent d’ignorer que, dans un Etat de droit, la seule instance habilitée à interdire un spectacle est la justice. Prétendre imposer son point de vue par la menace ou la violence est typiquement un procédé fascisant. Les ministres de la Culture et de l’Education nationale ont condamné ces faits, mais le recteur des universités devrait porter plainte.

Les affirmations identitaires ne sont-elles pas légitimes en raison des discriminations dont certaines minorités ou communautés font l’objet ?

Encore faut-il prouver que des individus sont discriminés et que ceux qui parlent en leur nom sont bien leurs représentants légitimes, et pas seulement des porteparole autoproclamés. En quoi la LDNA, qui a bloqué les entrées du théâtre, représente-t-elle l’ensemble des Noirs en France ? Que ceux qui s’estiment discriminés portent plainte ! Il y a des tribunaux pour en juger. Je regrette que cette censure et ces méthodes de nervis, promues par les « indigénistes » et autres « décoloniaux », ne provoquent pas plus d’indignation à gauche. La lutte contre les discriminations mérite mieux qu’un tel dévoiement des valeurs de la gauche.

Carole Barjon"


Voir aussi dans la Revue de presse la rubrique Pièce d’Eschyle empêchée à la Sorbonne (mars 19) (dans "Appropriation culturelle") (note du CLR).


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