Revue de presse

Mona Eltahawy : « Femmes musulmanes, il faut briser la barrière de la honte » ( Le Monde, 20 juin 15)

Auteur de "Foulards et hymens. Pourquoi le Moyen-Orient doit faire sa révolution sexuelle" (Belfond) 23 juin 2015

"Féministe et musulmane, la journaliste américano-égyptienne prône une révolution sexuelle et sociale pour les femmes du Moyen-Orient.

« Soyez impudiques. Soyez rebelles, désobéissez et sachez que vous méritez d’être libres.  » C’est sur cette invitation adressée aux femmes du Moyen-Orient que la journaliste américano-égyptienne Mona Eltahawy ouvre son premier ­livre, Foulards et hymens (Belfond, 258 p., 19 €). A 47 ans, celle qui se présente comme «  musulmane et féministe, mais féministe laïque  » s’attaque à la misogynie et à l’obsession du contrôle du corps et de la sexualité des femmes arabes. Elle y parle de celles qu’elle a rencontrées comme journaliste et militante, ainsi que d’elle-même. A 15 ans, Mona Eltahawy découvre, après huit années passées au Royaume-Uni, l’Arabie saoudite. Dans ce pays où, écrit-elle, «  la seule alternative qui s’offre aux femmes est de perdre la tête ou de devenir féministe  », elle choisit de porter le voile et se découvre féministe. Des Etats-Unis à l’Egypte, où elle a pris part à la révolution du 25 janvier 2011, son engagement n’a cessé de s’affirmer.

Vous dites des hommes au Moyen-Orient  : «  Ils nous détestent.  » Cette thèse vous a valu beaucoup de critiques des milieux conservateurs mais aussi progressistes.

J’ai voulu provoquer. Quand les tests de virginité ont été pratiqués en Egypte contre les manifestantes, après la chute du président Hosni Moubarak, en février 2011, j’ai été horrifiée de voir que la colère visait davantage les héroïnes de la révolution qui ont dénoncé les tests que les militaires qui les ont pratiqués. J’ai pensé : si nous ne lançons pas un appel fort pour l’égalité des sexes maintenant, alors quand ?

C’était aussi très personnel. En 2012, j’ai développé cette idée dans un article publié dans Foreign Policy [«  Why Do They Hate Us  », 23 avril 2012], le premier que j’ai écrit de mes dix doigts après avoir eu les bras plâtrés pendant trois mois. J’ai été l’une des nombreuses femmes égyptiennes attaquées, et agressées sexuellement, par les forces de sécurité. J’étais en colère. Je voulais faire comprendre que, si la libération de la société et des femmes n’avait pas lieu, la révolution échouerait. Le terme «  haïr  » est fort. Mais qu’est-ce qu’agresser sexuellement une révolutionnaire, sinon de la haine ? Qu’est-ce qu’exciser une fillette de 6 ans pour contrôler sa sexualité, sinon de la haine ? Qu’est-ce que permettre à un violeur d’épouser sa victime, sinon de la haine ? Il faut reconnaître cette haine pour la combattre. [...]

Vous dénoncez l’obsession du contrôle du corps. Comment se manifeste-t-elle  ?

Cette obsession existe dans toutes les religions. En Egypte, musulmans comme chrétiens soumettent les filles à la mutilation génitale féminine. La religion, dans le contexte patriarcal, veut contrôler le vagin et la sexualité des femmes pour garantir la paternité. Il y a aussi la peur de la sexualité féminine et de son pouvoir, surtout chez les religieux fondamentalistes. Ils désirent les femmes, et détestent ce désir qui les rend faibles.

La solution est-elle une réforme du discours religieux  ?

Misogynie et obsession du contrôle sont le résultat d’un mélange toxique de religion et de culture. Je crois beaucoup aux mouvements comme le groupe Musawah [«  égalité  »], auquel j’appartiens [il a été lancé en Malaisie en 2009 pour l’égalité et la justice dans la famille musulmane], ou au rôle des féministes musulmanes comme Amina Wadud, une érudite de l’islam qui a étudié à l’université Al-Azhar [au Caire, la plus ancienne université islamique] et réinterprète l’islam au prisme du féminisme. Ils offrent la possibilité de penser autrement les mariages précoces, la polygamie ou les discriminations légales envers les femmes.

Quels effets la révolution a-t-elle eus dans la société ?

En Egypte, la révolution a échoué sur de nombreux plans, politique d’abord. Nous ne réussirons pas la révolution sexuelle et sociale tant que la dictature n’aura pas été abattue dans la rue, dans les esprits et chez les gens. Il y a eu du changement dans les foyers, pas radical mais ça a commencé. Des femmes m’ont dit que la révolution leur a appris à dire : «  Je demande  », pour voyager seule ou enlever le voile…[...]

Pourquoi était-il important de livrer votre histoire personnelle, malgré la difficulté que vous dites avoir eu à l’écrire ?

Pour la révolution sociale et sexuelle, la plus importante à mon sens, il faut briser la barrière du silence, de la honte et du tabou. Je ne peux pas appeler à cette révolution sans raconter ma propre révolution et mes deux luttes féministes : celle que j’ai menée contre mon voile et celle qui concerne mon hymen. La chose la plus subversive qu’une femme puisse faire, c’est raconter sa vie comme si elle avait de l’importance.

Comment avez-vous concilié le voile et le féminisme ?

J’ai décidé de me voiler à 16 ans, en Arabie saoudite, pour me cacher de la vue et des mains des hommes. Je m’enfonçais dans une profonde dépression. J’ai pensé que si je me voilais Dieu me sauverait, car la société et ma famille m’ont appris qu’une bonne musulmane est voilée. En même temps, je voyais que les femmes de mon entourage étaient maltraitées. J’ai été féministe avant de tomber sur le mot « féminisme » dans des livres, à 19 ans. J’ai alors concilié voile et féminisme.

Depuis, mon opinion sur le voile a évolué. J’ai décidé de le retirer quand j’ai compris qu’il était plus important que l’individu. Foulards et hymens sont les deux choses auxquelles les femmes sont réduites dans cette «  culture de la modestie  » – très proche de la «  culture de la pureté  » des fondamentalistes chrétiens ou des juifs orthodoxes – qui oppresse le corps de la femme et lui fait porter le fardeau de la pureté.

De nombreuses femmes musulmanes revendiquent ce choix…

Nous devons interroger le mot «  choix  ». J’ai choisi de me voiler, mais il m’a fallu huit ans pour me dévoiler. Pourquoi est-il plus simple de se voiler que de se dévoiler ? Il y a cet argument simpliste : «  C’est mon choix. Regardez comment l’Occident sexualise ses femmes !  » On ne poursuit pas la réflexion pour dire comment de nombreux musulmans sexualisent aussi les femmes par le voile. Pour moi, porter le voile n’est pas un choix féministe.

Vous soutenez l’interdiction du port du voile intégral en France…

Comme partout. Le port du voile intégral équivaut à la disparition des femmes et induit une hiérarchie dangereuse entre les femmes pures et proches de Dieu, dont on ne voit rien, et les autres. En Occident, la question du voile se pose dans un contexte différent. Il est difficile pour les femmes de se voiler car elles sont minoritaires et subissent pressions, racisme et islamophobie. La discussion est instrumentalisée par la droite. Le silence de la gauche – et je suis de gauche – est une erreur. Cela revient à pratiquer une forme de racisme : le relativisme culturel, qui est le racisme des faibles attentes. Pour se départir de cette peur d’être associé aux xénophobes et aux racistes, il faut écouter et donner plus de voix aux femmes musulmanes qui s’expriment sur la question.

A lire
Foulards et hymens. Pourquoi le Moyen-Orient doit faire sa révolution sexuelle (Belfond, 258 p., 19 €)."

Lire « Femmes musulmanes, il faut briser la barrière de la honte ».


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