Note de lecture

M. Gauchet : Robespierre, de « l’Incorruptible » au « tyran sanguinaire » (G. Durand)

par Gérard Durand. 2 novembre 2019

[Les échos "Culture (Lire, entendre & voir)" sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Marcel Gauchet, Robespierre, éd. Gallimard, 2018, 288 p., 21 e.

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Ce livre est un travail universitaire qui reprend en un peu moins de trois cent pages et presque jour après jour l’itinéraire et le rôle de Robespierre dans la révolution de 1789. Fidèle à son titre « l’homme qui nous divise le plus » il explique, sans chercher à convaincre, les deux perceptions de la mémoire. A la ferveur pour « l’incorruptible » des uns répond la répulsion pour le « tyran sanguinaire » des autres. Le champion des droits du peuple à la constituante est aussi le pourvoyeur de la guillotine de la convention montagnarde. Comment passe-t-on de l’un à l’autre ?

Marcel Gauchet s’en explique dans son introduction « C’est dans cet esprit (de contradiction) que cet ouvrage a été conçu. Il ne vise pas à produire un portait biographique de plus de l’individu Robespierre, même s’il est évidemment amené à s’interroger sur les ressorts de sa conduite. Il ne relève pas d’une somme savante qui prétendrait apporter des connaissances nouvelles sur sa vie et son œuvre. Il propose un libre essai d’interprétation de sa carrière révolutionnaire et de la trace qu’elle a laissée. Son objet est de chercher à comprendre, ce qui, dans ce parcours de cinq années, a fixé des traits de l’expérience révolutionnaire à jamais inscrits dans les mémoires et continuent d’y travailler, Pour le meilleur et pour le pire ».

Comment cet avocat provincial d’allure plutôt conventionnelle s’est engagé contre toute attente dans le processus révolutionnaire jusqu’à l’offensive finale du 9 thermidor ? Cette question restera sans doute sans réponse. Pour ceux qui veulent en savoir plus, et Marcel Gauchet est de ceux-là, il convient de se pencher sur l’extraordinaire abondance de ses écrits.

Le propos de la révolution de 1789 est de substituer un ordre pensé en raison à un ordre hérité de la tradition. Il y a du Rousseau chez Robespierre, le seul auteur qu’il revendique comme modèle existentiel et non intellectuel. Ce qui va lui permettre d’établir sa notoriété, alors qu’il n’est que l’un parmi les 1100 députés, est sa capacité à saisir l’évènement mieux que quiconque. Très vite il a pressenti ce qui était en train de se jouer « une révolution unique qui fait époque dans l’histoire des empires et qui décide de leur destinée » Il s’y jette à corps perdu et ne vivra plus que pour elle jusqu’à la mort.

L’un de ses tous premiers combats sera contre la majorité de la convention décidant de mettre en place un système de vote censitaire et fera de lui l’un des fondateurs du suffrage universel, ses écrits sont largement diffusés, commentés mais aussi critiqués. Il se retrouve presque seul au club des jacobins après le départ des modérés. Après les massacres du champ de mars le 17 juillet 1791 il doit se réfugier dans la maison du menuisier Duplay alors que Marat et Danton sont en fuite. Mais le 21 Juillet il revient, l’orage passé, comme chef de file des jacobins reconstitués. Il adopte à ce moment un profil conciliant qu’il conservera un long moment jusqu’aux émeutes du 10 Août 1792.

D’autres batailles l’attendent, entrée en guerre de la France, crise des assignats crise religieuse avec la constitution civile du clergé. Elles vont le transformer complètement, il se forge une image idéalisée du peuple dont il se veut l’organe, le peuple seul représente l’intérêt général, il est l’âme de « cette glorieuse révolution et se traduit comme une menace qui doit ébranler le monde pour le régénérer » Robespierre qui se présentait comme un défenseur d’un peuple dont il ne faisait pas partie devient LE Peuple, soutenu par les tribunes de l’assemblée et toute attaque contre lui se voit retoquée par une auto justification et le déroulé de son propre panégyrique, le critiquer, c’est s’en prendre au peuple et cela mérite punition, la menace est claire « rappelez-vous que nulle considération, que nulle puissance ne peut empêcher les amis de la patrie de remplir leurs devoirs »

La violence du propos est tournée en ridicule par la presse d’opposition et notamment celle du clan Brissot « sa façon de célébrer un culte dont il est à la fois le prêtre et le dieu….en faisant fumer un insipide encens sur son propre autel ». Mais elle gène aussi dans son propre camp « ce même homme sur lequel il n’y avait qu’un sentiment est devenu un problème, même aux yeux d’un assez grand nombre de patriotes » écrit Révolutions de Paris dans une adresse à Maxililien Robespierre, les critiques sont abondantes et on les retrouvera en thermidor presque mot pour mot.

Mais les problèmes subsistent et la France est divisée, les Brissotins écartés de paris se sont faits en nombre élire en province et deviennent majoritaires à l’assemblée, la royauté est certes abolie mais fin 1992 se pose la question : Que faire du Roi. Face aux partisans de ce que nous appellerions aujourd’hui une monarchie constitutionnelle, Robespierre et ses troupes craignent que cette solution ne soit qu’une manœuvre de restauration du pouvoir royal. Dès novembre Saint Just passe à l’offensive « la convention nationale doit déclarer Louis traître à la patrie, criminel envers l’humanité et le faire punir comme tel » Robespierre sait aussi que le pouvoir royal est ancré comme chose naturelle dans de très nombreux esprits et que seule l’exécution de Louis XVI pourra l’en extraire et « cimenter la liberté par un grand exemple donné à l’univers » Il compte sur le non-retour qu’elle représentera en empêchant la résurgence de toute nouvelle dictature, nous connaissons la suite et savons que si de tels événement sacrificiels marquent les esprits ils ne s’opposent pas après quelques temps à faire renaître un pouvoir autoritaire sous une forme différente, voire à une restauration de l’ancien pouvoir.,

Dès Février 1793 tous s’aperçoivent que si l’application des principes est nécessaire elle ne doit pas occulter les problèmes de la vie quotidienne, Paris a faim des émeutes éclatent les épiceries sont pillées l’économie est en miettes et la situation à l’extérieure n’est guère brillante. La trahison de Dumouriez qui se range aux cotés des Autrichiens et dont les Brissotins avaient soutenu la nomination à la tête des armées, l’insurrection vendéenne s’étend et l’ensemble donne aux montagnards le prétexte qu’ils attendaient le tribunal révolutionnaire et le comité de salut public se mettent en place. Les sections parisiennes organisent l’insurrection obligeant la convention à capituler le 2 juin en acceptant l’arrestation de 29 députés et de deux ministres.

A partir de ce moment une machine terrible se met en marche qui conduira infailliblement à l’issue fatale. Lutte acharnée contre les ennemis de l’extérieur et en premier lieu l’Angleterre. Mais surtout contre les ennemis de l’intérieur, les factions qui vont le conduire à assumer et à justifier sur le fond l’emploi de la terreur dont il fait la doctrine et un élément de son système de vertu, la vertu sans laquelle la terreur est funeste, la terreur sans laquelle la vertu est impuissante, les deux vont de pair. Ce que Saint Just confirmera par une formule laconique « Ce qui constitue une république, c’est la destruction totale de ce qui lui est opposé ».

La suite va connaître une longue série d’éliminations, celle des Hébertistes, celle de Danton de Desmoulins et de combien d’autres, personne n’est à l’abri on frappe un coup à droite comme un coup à gauche, mais la méthode n’est pas sans risques et ceux qui prennent pour argent comptant les rapports d’accusation de Saint Just, souvent très fantaisistes même écrits à quatre mains avec Robespierre sont de moins en moins nombreux surtout après le procès de Danton qui n’est pas sans convaincre ou à tout le moins instiller le doute et ce n’est que par un discours de menaces à peine voilées que la convention adoptera le décret d‘accusation « à l’unanimité et au milieu des plus vifs applaudissements ».

Le coup a été rude et le comité de salut public n’exerce plus « qu’un pouvoir solitaire au milieu d’une révolution glacée » (Saint Just) et les premiers mois de 1794 sont terribles. Il faut donc tout reconstruire, remette au pas les fonctionnaires corrompus, redonner au peuple un sens à la Révolution et la question se pose de l’aspect spirituel qui va nous conduire dont le véritable prêtre est la nature mais cela n’est pas sans risques et la crainte du retour aux cérémonies religieuse taraude de nombreux esprits conventionnels. Robespierre n’a plus d’opposants déclarés, il a remporté victoire sur victoire mais il sait bien qu’il n’a jamais été aussi fragile. Même s’il se fait élire le 4 juin à la Présidence de la convention quatre jours avant la grande fête de l’être suprême dont il sera le héros.

La fin approche, deux jours après la fête Couthon présente un décret sur l’organisation du tribunal révolutionnaire par lequel chaque conventionnel peut se sentir menacé et qui ne sera adopté par un nouveau discours terrifiant de Robespierre, pour être remis en cause dès le lendemain, Couthon et Robespierre remportent une nouvelle bataille en réduisant au silence leurs contradicteurs mais ils n’ont fait que raviver leurs craintes et elles sont justifiées. Le tribunal révolutionnaire va prononcer en six semaines 1376 condamnation à mort, la « grande terreur » est en place et les adversaires de Robespierre lui en attribuent la responsabilité, au sein même de la convention il n’y a plus que peurs, manœuvres souterraines et complots. On se souvient du procès inique fait à Danton les nombreuses oppositions au culte de l’être suprême se rassemblent discrètement.

La magie de l’incorruptibilité n’opère plus et Robespierre le sent bien, il sait que pour beaucoup il apparait comme un homme enfermé dans un schéma de pensée qui transforme toute résistance, toute opposition en signe d’un complot ne pouvant être réglé que par une épuration sans fin. Il apparait de moins en moins à la convention ou se contente de la présider sans intervenir il disparait le 18 juin pour ne reparaitre que le 26 juillet (9 thermidor) alors que le jours précédents avaient connus de multiples conciliabules destinés à ramener la paix entre ceux devenus de frères ennemis dont Robespierre fâché avec presque tous Le 8 thermidor, quand il s’apprête à prononcer son discours chacun sent que l’heure de vérité est arrivée. La déception est profonde après une ne très longue auto justification il se satisfait sur une tout aussi longue série d’allusion aux sempiternels complots dont est victime la république pour terminer par ce qui ressemble fort à un testament.

Décidément plus rien ne passe, la charge est menée par Tallien et Billaud Varenne, la plaine que Robespierre avait ménagée, après l’avoir longtemps méprisée bascule du coté des conjurés et participe à la curée contre le triumvirat qu’il forme avec Couthon et Saint Just, Barrère sonne la charge et Collot d’Herbois promet de fournir le détail d’une conspiration contre la représentation nationale. La suite n’est qu’une longue confusion pour laquelle Marcel Gauchet s’étonne de l’impréparation et du flottement du camp Robespierriste qui aboutira à la guillotine dans l’après-midi du 10 Thermidor.

Fin de Robespierre mais pas fin de l’histoire car sitôt après le 9 thermidor les opposants se déchainent dans une furie de « malheur aux vaincus » dont nous avons encore les suites aujourd’hui. Robespierre précurseur dans de nombreux domaines, du suffrage universel ou l’abolition de la peine de mort, va se trouver après la mort du roi en situation de gouverner au nom du peuple. Mais le peuple est divers, traversé par de nombreux courants qui lui sont hostiles. Alors il va en quelque sorte dissoudre le peuple en se présentant comme son unique défenseur mais sans jamais lui demander son avis et pour parvenir à ses fins il doit éliminer et éliminer encore car dès qu’un adversaire est détruit d’autres se manifestent qui étaient pourtant les amis d’hier, personne n’y échappe, conventionnel ou Jacobin.

Robespierre est devenu un dictateur sanglant sans même sans rendre compte et il s’offusque qu’on puisse le nommer ainsi car il ne recherche aucun avantage personnel, ni même aucun goût du pouvoir, il est tout simplement l’homme providentiel seul capable de donner son vrai sens à la révolution. Marcel Gauchet dans sa conclusion fera remarquer que ce n’est qu’à travers de multiples vicissitudes et deux siècles plus tard que nous approchons d’une société apaisée et proche des idéaux Robespierristes de 1789.

Serons-nous capables d’aller jusqu’au bout ? Rien n’est moins certain.

Gérard Durand


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