Revue de presse

M. Chebel : "Pourquoi je me bats pour un islam des Lumières" (lefigaro.fr/vox , 6 fév. 15)

Malek Chebel, anthropologue des religions, psychanalyste, auteur de "L’inconscient de l’islam" (CNRS). 8 février 2015

"Dans son dernier livre, L’inconscient de l’islam, Malek Chebel revient aux fondements anthropologiques de la religion musulmane pour mieux en analyser les dérives actuelles.

Dans votre dernier livre, vous expliquez les dérives du monde arabo-musulman actuel par ce que vous définissez comme l’ « inconscient de l’islam ». De quoi s’agit-il exactement ?

A travers ce livre j’ai voulu expliquer ce qui se cachait derrière le miroir, revenir au fondement anthropologique et inconscient qui détermine les différentes expressions de l’islam contemporain. Mon livre remonte aux racines de la religion musulmane et à l’histoire des califes. Cette histoire est celle des guerres saintes détournées, de l’exacerbation de la figure du kamikaze, ou encore de la censure des livres. La folie actuelle se nourrit de cette histoire.

Vous parlez notamment de « guerre sainte détournée ». De quoi s’agit-il exactement ? Quelles étaient les véritables buts de cette guerre ?

D’après mes recherches, la guerre sainte s’est arrêtée à la mort du prophète en 632. Toutes les guerres qui ont suivi, menées par les différents califes et sultans, tant abbassides (750-1258) que mameloukes (1250-1517), puis ottomans, à partir du XVIe siècle, jusqu’à la chute du califat en 1923, étaient des guerres de puissance. Il s’agissait de peupler le harem du souverain de jeunes femmes venues d’ailleurs afin de régénérer le sang de la race. Exit l’idée de l’expansion de l’islam, l’heure était à l’assouvissement d’un désir de puissance et d’un désir sexuel. Les objectifs de la conversion, à l’islam, le projet spirituel initial s’est progressivement vidé de son sens religieux pour se transformer en festin céleste, avec ses récompenses ici-bas, ses objectifs de nombre et d’amélioration du pedigree de la classe au pouvoir. Chaque potentat avait par exemple à cœur de posséder son esclave blanche. Le mythe de l’esclave blanche explique d’ailleurs l’ardeur de nombreux guerriers musulmans à vouloir combattre et soumettre l’infidèle. La guerre pour les femmes se substitue à la guerre sainte.

Diriez-vous qu’il s’agit aussi d’une clef de compréhension du djihadisme d’aujourd’hui ?

Oui. On peut notamment s’interroger sur la véritable nature de la guerre sainte à laquelle s’accrochent les djihadistes d’aujourd’hui, adeptes du « mariage temporaire », qui sévissent sur tous les fronts. De même, comment comprendre le comportement d’un grand nombre de zaïms militaires, qui s’octroient des femmes, proies faciles, dont le seul tort est d’être désirable ? Cette structure mentale ne relève pas de l’islam, mais de la négation de l’islam, d’un islam de razzia, en partie criminogène, qu’il faut pointer et dénoncer, car il porte atteinte aux croyants.

Vous consacrez un chapitre de votre essai aux livres interdits. Que vous inspire l’autodafé de Daech à Mossoul ?

Cela relève de l’absence de respect pour la création humaine au sens large. La haine des images et notamment de la caricature procède de la même logique. Car les fondamentalistes haïssent tout ce qui est du ressort humain et non divin. Les Saintes écritures ont toujours été problématiques en islam, religion-culture fondée sur l’oralité, où l’écrit est absent, ou alors dangereux. Il s’avère ainsi qu’aux yeux de l’islam, le Coran seul devrait avoir le titre de livre. En dehors de la « Révélation », point de salut pour l’écrit profane, les écrivains étant suspectés de déviationnisme, puisqu’à travers leur création, il réfute la pensée mimétique et ses conventions étroites. Aujourd’hui encore, tout écrivain qui ose écrire un livre risque d’être pris pour un anti-prophète.

Plus largement quels sont les liens entre religion, politique et liberté dans la doctrine musulmane ?

Pour l’instant, la confusion entre ces trois domaines est totale. C’est pourquoi, je me bats pour un islam des Lumières. Il faut couper le cordon ombilical qui relie la religion à la politique. La religion a tout à fait sa place dans la cité musulmane, y compris lorsque l’islam est à l’extérieur de ses territoires comme en France ou en Europe, mais dans le cadre de la mosquée. La séparation entre la politique et la religion est le point le plus crucial de la marche de l’islam vers la modernité. Si nous n’arrivons pas à briser le lien entre ces deux univers, on ne fera bouger l’islam qu’à la marge. Cette séparation des deux corps est la condition indispensable pour faire évoluer le monde arabo-musulman notamment sur le statut des femmes. Depuis le XVIIIe siècle, les musulmans des Lumières ont commencé à s’intéresser à cette question. Ils ont avancé sensiblement sur de nombreux dossiers, dont celui des femmes, mais aussi celui de la gouvernance. Dès les années 1920, certains livres qui ont enflammé les foules, en particulier en Egypte, posaient clairement le principe de séparation de la mosquée et de l’Etat. La confusion qui règne actuellement n’est donc pas congénitale. L’islam pâtit simplement d’un contexte géopolitique défavorable. A mon avis, elle fera son aggiornamento plus vite qu’on ne le croit.

François Hollande a expliqué que les attentats de Charlie Hebdo n’avaient rien à voir avec l’islam. L’islamisme n’est-il pas, malgré tout une « maladie dégénérée de l’islam » ?

Je dirai plutôt que cela n’a rien à voir avec l’islam mais tout à voir avec les musulmans. Ces derniers sont en mesure de donner de l’islam une très belle ou une très mauvaise image. Les musulmans de France ont commencé à faire bouger les lignes. Avant les attentats de Charlie Hebdo, personne n’aurait pu imaginer que ces derniers manifesteraient pour la liberté d’expression. En effet, beaucoup de musulmans avaient trop peur d’être stigmatisés par leurs coreligionnaires. La marche du 11 janvier a permis de faire sauter un verrou. Le travail de pédagogie commence à payer. Il y a maintenant une distance critique de la part des musulmans qui se distinguent très nettement des semeurs de mort.

Certes certains musulmans étaient présents dans les cortèges le 11 janvier, mais il y a aussi eu les incidents durant la minute de silence à l’école. D’autres ont également affiché leur solidarité avec les terroristes via les réseaux sociaux…

Il faut garder la tête froide. Les enfants n’ont pas la même logique de compréhension que celle des adultes. Avant de les montrer du doigt, il faut les éduquer. L’être humain n’est pas un programme informatique. On ne peut pas demander à tous les enfants de France de se comporter de la même manière, surtout si un véritable travail de pédagogie n’a pas été fait au préalable. Il y a des mauvaises manières qui se traitent par l’éducation, d’autres par la police et la justice. Il faut hiérarchiser les problèmes. Les enfants sont des victimes plus que des coupables…

On peut supposer qu’ils ont été influencés par leurs parents. Cela ne démontre-t-il pas que le chemin à parcourir pour parvenir à un islam des Lumières est malheureusement encore long ?

Même certains adultes manquent d’éducation, ils ne peuvent pas être considérés comme responsables d’une éducation qu’ils n’ont pas reçu. Comment un ouvrier maghrébin peut-il être raccord avec l’appel unanime de la nation française face à la violence terroriste lorsque par ailleurs on lui dit que les journalistes de Charlie Hebdo ont insulté le prophète ? On en revient à la difficile séparation des corps. Il faut faire un travail d’information et de pédagogie, poser les limites et les frontières entre la citoyenneté et la religion. Il faut répéter que l’islam des terroristes n’est pas l’islam et qu’il y a différentes couleurs de l’islam. Répéter aussi que la laïcité n’est pas l’ennemi de l’islam. C’est un gros chantier qui demande du temps. Mais je suis persuadé que nous pouvons réussir."

Lire "Malek Chebel : l’islam, la France, Charlie Hebdo et moi".


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