Revue de presse

"Lettre de Macron aux Français : l’épistolaire chargé à blanc" (G. Konopnicki, Marianne, 18 jan. 19)

29 janvier 2019

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"La lettre aux Français relève d’un genre littéraire plutôt rare, si bien que nous devons beaucoup d’indulgence aux auteurs assez intrépides pour s’y risquer. La précédente fut écrite vers la fin d’un grand siècle littéraire, où le prestige des écrivains et l’amour de la langue incitaient les hommes d’Etat à se montrer dignes de leurs contemporains. Reprenant de sa plume une copie préparée par un fin connaisseur de la grammaire, François Mitterrand ne craignait rien tant qu’une critique de style, exprimée dans le Figaro par quelque académicien prestigieux. En ce temps-là, le verbe régnait encore sur la France, et le président souriait malicieusement lorsqu’un de ses conseillers lui suggérait de renoncer à une phrase trop élégante. Les subordonnés avaient droit aux propositions, mais François Mitterrand décidait seul de ses propositions subordonnées. Son dernier exploit fut d’obtenir un second septennat, avec pour seul argument électoral une lettre superbe, par son style, et parfaitement vide d’engagements politiques. Le verbe quitta l’Elysée avec François Mitterrand, ses successeurs firent parfois quelques effets de tribune, mais sans s’essayer à la lettre aux Français.

Et voici qu’au beau milieu d’une crise, jouée en un nombre d’actes qui défie toutes les lois de la dramaturgie, le président Emmanuel Macron relance un genre tombé en désuétude. Il faut, certes, reconnaître que la situation littéraire de la France n’oblige nullement le président à se distinguer par son style, la mode porte plutôt à l’efficacité du récit, au prix d’une désolante sécheresse formelle. Emmanuel Macron se situe, sans mal, dans le courant de son époque. Aucune formule ne semble destinée à survivre aux circonstances présentes, le temps est loin où de Gaulle marquait une dernière fois l’histoire par son fameux « Dans les circonstances présentes, je ne me retirerai pas ! ». L’air de Paris a beau se charger de lacrymogène, nous ne sommes pas, de part et d’autre, dans l’esprit de Mai 68.

Le président tente donc de nous aborder par la familiarité. Chères Françaises, chers Français… Le rituel « Françaises, Français », sans doute jugé trop grandiloquent, s’adresse à la nation entière, le cher rapproche familièrement. Cette familiarité oblige à utiliser une forme négative pour évoquer la France.

« La France n’est pas un pays comme les autres. » En vérité, aucun pays n’est comme les autres. Pourquoi ne pas écrire : « La France se distingue des autres nations. » Cette distinction doit tout à l’histoire. Emmanuel Macron en cite les conséquences, nous sommes plus sensibles « aux injustices ». Encore une fois, nous retrouvons une expression négative, quand l’acte fondateur de la France n’est pas de réparer les injustices, mais d’établir la justice, par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. L’esprit du temps commande, le président ne peut évoquer la justice, il promet, au mieux, de combattre les injustices.

De la même manière, au pluriel, Emmanuel Macron évoque les inégalités si mal supportées en France. Au singulier, la France de Jean-Jacques Rousseau et de la Révolution fut la première nation à adopter l’égalité comme principe fondamental. Fort curieusement, le président exprime au pluriel tout ce qui fonde la singularité française. Que la fonction oblige à ne pas froisser les autres nations n’implique nullement de définir la France comme « une des plus fraternelles et des plus égalitaires » et aussi comme « une des plus libres ».

La République française se fonde sur trois principes formulés au singulier, la liberté, l’égalité, la fraternité. Depuis les leçons de Molière au bourgeois gentilhomme, nous savons qu’en français la formule la plus simple est aussi la plus belle. La France n’a heureusement pas le monopole de la liberté, mais des millions de femmes et d’hommes en sont privés, par des dictatures religieuses. La langue confuse de cette lettre aux Français se fait inquiétante quand « les principes de la laïcité française » se résument au « rapport entre l’Etat et les religions de notre pays ». Le style fleure bon le rapport de sous-commission, le laborieux compromis, permettant aux cultes de s’inviter dans le débat national. Or, la laïcité française permet aux citoyennes et aux citoyens de n’avoir de rapport avec aucune religion, ce qui ne souffre pas le début d’une discussion. Las ! La lecture de la lettre aux Français laisse craindre que le seul débat suivi de réforme ne porte sur la laïcité."

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