Revue de presse

"Les musulmans sont-ils des élèves comme les autres ?" (Marianne, 13 av. 18)

20 mai 2019

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Olivier Galland et Anne Muxel, La Tentation radicale, enquête auprès des lycéens, PUF, 464 p., 23 €.

"Dans "la Tentation radicale", une étude menée sur 7000 jeunes, les sociologues Anne Muxel et Olivier Galland mettent en évidence une radicalité accrue parmi les élèves musulmans. Goût pour les théories du complot, défiance envers certaines valeurs républicaines… Comment l’école publique peut-elle s’en sortir ?

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La question n’est pas une provocation. Il ne s’agit pas se demander si l’école doit traiter différemment les élèves selon leurs croyances religieuses. La réponse est évidemment non. Il ne s’agit pas non plus d’englober tous les musulmans dans un ensemble homogène. La grande majorité d’entre eux est heureuse à l’école. La grande majorité épouse naturellement les valeurs de la République. Toutefois, le livre la Tentation radicale, des sociologues Anne Muxel et Olivier Galland, somme d’informations sur la jeunesse française, nous éclaire sur certains de ses penchants : « Les résultats bruts de l’enquête montrent que les lycéens musulmans sont nettement plus portés que les autres à adhérer à des idées absolutistes en matière religieuse… », note Olivier Galland dès le début du chapitre II.

Cette enquête a été menée de manière quantitative sur un échantillon non représentatif (surreprésentation volontaire de jeunes d’origine étrangère et populaire) de près de 7.000 jeunes en classe de seconde et sur un échantillon, représentatif celui-là, de 1.800 jeunes de 15 à 17 ans. Tous ont rempli des questionnaires détaillés. Puis les auteurs ont effectué des entretiens individuels et collectifs dans les établissements sondés.

On y apprend, entre autres, que les musulmans ont 2,6 fois plus de risques d’adhérer au complotisme radical que les jeunes chrétiens. Qu’ils sont plus nombreux à donner raison à la religion pour expliquer la création du monde ; plus nombreux à souhaiter des plats différents selon les religions des élèves à la cantine ; plus nombreux à croire aux complots. Sans verser dans la stigmatisation gratuite et outrancière, difficile de ne pas se demander, à la lecture de ces résultats, si un professeur peut parler de la théorie de l’évolution, de la Shoah, des 120 Journées de Sodome ou des actionnistes viennois à des gamins formatés par une pensée religieuse. « Je ne peux pas montrer des nus sans voir mes élèves musulmanes se cacher les yeux », relève, un peu amusée, une professeur d’arts plastiques dans un lycée de Lille. Pourquoi certains musulmans se méfient des enseignements de l’école ? Comment faire d’un élève un individu éclairé quand il est si influencé par une religion ? Nous avons posé ces questions à quatre témoins privilégiés.


“LA RADICALITÉ RELIGIEUSE PLUS PRÉSENTE PARMI LES LYCÉENS MUSULMANS”
ANNE MUXEL ET OLIVIER GALLAND, sociologues, auteurs de “la Tentation radicale” (PUF)

Bien des résultats de notre enquête confirment des observations faites par les enseignants ou le personnel éducatif depuis quelque temps. Néanmoins nous avons été assez surpris de constater que la majorité des lycéens interrogés se sentent bien à l’école et que leurs relations familiales semblent peu conflictuelles. Ces deux cadres de socialisation sont pour eux sécurisants et protecteurs. En revanche, un manque de confiance envers la société et ses institutions domine dans leur discours et crée des brèches par lesquelles peut s’engouffrer une tentation pour les idées radicales.

La légitimité des savoirs est souvent remise en cause, et l’attrait des jeunes pour les théories du complot est fort : 41 % considèrent que les attentats du 11 septembre à New York sont le fait de la CIA et non d’Al-Qaida. Ils sont 64 % chez les musulmans. En ce qui concerne l’acceptation de la radicalité religieuse, elle concerne une minorité de jeunes quelle que soit leur confession. Mais elle apparaît plus présente parmi les lycéens se déclarant musulmans : 81 % considèrent que « C’est plutôt la religion qui a raison sur la question de la création du monde », contre 27 % chez les chrétiens, 35 % chez les autres religions et 5 % chez les athées. Concernant la laïcité, la différence est marquante aussi : 70 % des jeunes musulmans sont d’accord avec la proposition que « Les cantines devraient servir des plats différents selon les religions » alors qu’ils ne sont que 23 % des chrétiens. Leurs attitudes envers les attentats, et surtout les attaques contre Charlie Hebdo, sont plus ambivalentes : 25 % de l’ensemble des lycéens interrogés ne les condamnent pas totalement, ce qui est une proportion déjà importante, mais ils sont 59 % parmi les jeunes musulmans. On peut aussi noter une attitude nettement moins permissive à l’égard de l’homosexualité chez eux.


“LE COLLÈGE, C’EST LÀ OÙ ILS CONFRONTENT LEUR CULTURE À LA NÔTRE”
JULIE REGIS, professeur de français au collège Bergson (Paris XIXe), a enseigné 8 ans à Stains (Seine-Saint-Denis)

Au collège Maurice-Thorez à Stains, dans la cité du Clos-Saint-Lazare, entre 2004 et 2012, mes classes étaient composées environ à 65 % d’élèves musulmans. Comment je le sais ? Pendant l’Aïd, la fête religieuse, on avait 65 % d’absents. Il y avait toutes les communautés : maghrébine, africaine, turque, pakistanaise… Il y avait d’ailleurs beaucoup de débats entre les élèves sur les courants de l’islam. A cette époque, beaucoup de sujets étaient épineux. Je me rappelle un jour d’inspection, je leur fais étudier une poésie d’Apollinaire, Ma Lou. D’abord fusent toutes les réflexions : “C’est un garçon, c’est dégueulasse…” Puis ils apprennent que c’est une femme et là, c’est l’idée de la femme entretenue, la pute… Pour bon nombre des élèves musulmans, les femmes sont soit des mères, soit des putains. Quand j’en croisais en arrivant au collège, en voiture, certains me disaient « Ah, mais vous savez conduire ? »

Notons une différence entre les filles et les garçons : chez les filles, il y a une tension entre la tradition des mères et la volonté de s’émanciper. Elles doivent davantage lutter. L’évolution de certains élèves est inquiétante. J’ai connu des gamines jeunes, athées, les cheveux au vent en 6 e qui, huit ans plus tard, portent la burqa. On pourrait penser que le collège étant le moment où ils confrontent leur culture à la nôtre, ils se durcissent, pour s’émanciper plus tard, au lycée, quand ils sortent de la cité. Or ce n’est pas la tendance. A Bergson, la situation est plus nuancée. Il y a une mixité sociale et religieuse. Le élèves sont habitués à vivre ensemble depuis l’enfance. Résultat, ils comprennent mieux la laïcité, et que c’est la condition pour que tout le monde vive sa religion tranquillement. Les filles ôtent leur foulard en passant les grilles. Et quand j’enseigne l’histoire des textes sacrés, ils bondissent en disant “Mais ce n’est pas crédible, scientifiquement ça ne tient pas debout ». Mais ils ont en commun le sentiment de ne pas avoir la bonne religion, la bonne couleur, de ne pas être “de souche”.


“CERTAINS ÉLÈVES ONT DU MAL À DEVENIR DES SUJETS LIBRES”
SOUFIANE ZITOUNI, professeur de police, a démissionné du lycée musulman Averroès de Lille en 2015

Je suis croyant. Que 80 % de musulmans fassent confiance à la religion pour expliquer la création du monde ne me choque pas. Ce qui serait embêtant, ce serait qu’ils refusent à cause de ça les théories scientifiques de l’évolution.
Quand j’enseignais au lycée Averroès de Lille, je rappelais à mes élèves qu’Averroès lui-même et les philosophes de l’islam conseillaient aux musulmans d’emprunter les routes de la science. De la même manière, pour lutter contre l’antisémitisme très présent chez mes élèves, je leur tenais le discours le plus rationnel possible. Je leur disais que le Prophète n’était pas antisémite. Car dans la oumma, il y avait des juifs. Mais ça ne prenait pas : ces jeunes étaient déjà formatés. Je voulais “désaimanter les cerveaux”, comme disait Jean Dubuffet, mais je faisais face à des croyances générales : complotisme, misogynie, antisémitisme…

Ces élèves étaient coincés dans un prêt-à-penser. Beaucoup avaient du mal à être des sujets libres, à développer une subjectivité propre, à penser par eux-mêmes. Cette situation est en partie le résultat d’une politique, celle de l’UOIF - rebaptisée Musulmans de France. Je suis inquiet que l’enseignement type UOIF se développe. Ils veulent créer des cadres et propager leur vision de l’islam. Au lycée Averroès, l’imam du lycée se pointait le vendredi avec l’écharpe de la Palestine ; des filles voilées refusaient de s’asseoir près des garçons et certains profs d’arabe, dont les cours étaient des prétextes pour faire passer des idées extrémistes, n’y voyaient rien à redire. Il y avait un mélange malsain entre religion et politique. Résultat, chez beaucoup de ces gamins, l’islam était devenu une identité politique plus qu’une éthique personnelle.
Il faut combattre la radicalité présente dans une certaine culture islamique et qui crée une quasi-incompatibilité entre l’esprit des Lumières, la réflexion critique et cette conception archaïque de la religion. La question est : comment faire en sorte que l’islam vive sa renaissance ? Il faut des Rousseau qui osent porter un regard critique de cette religion.


“DES MINOTS SONT ENDOCTRINÉS DÈS L’ÂGE DE 5 ANS”
BERNARD RAVET, auteur de Principal de collège ou imam de la République ? (éd. Kero, 2017)

On est en 2003. Un jour, un cours d’instruction civique en 5e. Un élève dit : “Il faut couper la main à un voleur” et “lapider une femme infidèle”. La prof lui demande d’où il tient ça. L’élève lui répond d’un petit livre distribué à la mosquée. Le gamin nous prête ce livre qui vient de la mosquée d’un surveillant. Le surveillant, on le connaît : master de physique. Plutôt bon mec. Je me tourne vers le rectorat et le commissariat. Puis je vais voir les RG. Qui me disent que le livre est édité en Arabie saoudite, interdit en France, et qu’ils suivent mon surveillant depuis des mois. Dans mon livre, je décris cet entrisme de l’islam radical par le biais d’associations de soutien scolaire.

L’Etat a démissionné de ces quartiers. Il n’y a pas de centres sociaux. J’ai failli signer une convention avec une association avant de découvrir qu’elle était affiliée à une mosquée liée au mouvement tabligh, cousins des Frères musulmans, mais version pakistanaise. Une autre asso, Les Amitiés franco-comoriennes, dépendait, elle, de la mosquée salafiste. Connue depuis 2004, il a fallu attendre 2018 pour qu’elle ferme ! Une commission vient d’ordonner le renvoi de son imam vers l’Algérie. Dans ces mosquées, on se retrouve avec des écoles coraniques le mercredi après-midi et le samedi, l’équivalent du catéchisme de Saint-Nicolas-du-Chardonnet. On apprend la charia à des enfants de 5 ans. Evidemment, toutes les mosquées ne sont pas salafistes, mais il faut arrêter de mettre la poussière sous le tapis. Ces gamins sont instrumentalisés par l’extérieur. Privés de République ! La réislamisation de ghettos économiques a créé ce problème qui est un problème de revendications identitaires, davantage que de religion. Je plaide pour une loi sur la formation des imams et l’enseignement religieux. Vous ne pouvez pas vous installer comme coiffeur sans CAP coiffure, mais vous pouvez vous improviser imam et bourrer les crânes ! Il faut un plan national. Un vrai plan Marshall."

Voir "Islam : comment l’école fait-elle face à la radicalité de certains élèves ?"


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