Revue de presse

"Les Frères musulmans et l’UOIF doivent réformer leur théologie" (M. Prazan, lemonde.fr , 23 nov. 15)

Michaël Prazan, auteur de « La Confrérie, enquête sur les Frères musulmans » (Grasset, 2014). 25 novembre 2015

"On a beaucoup glosé sur le sens et l’emploi du mot « barbarie » au lendemain des attentats de janvier contre Charlie Hebdo, l’Hypercasher et les forces de l’ordre. Un terme « stigmatisant », qui expulserait les assassins du giron de l’humanité. Or, ce à quoi nous avons assisté le 13 novembre est l’illustration, sinon la démonstration de ce qu’est la barbarie.

Pas tant par la brutalité ou l’inhumanité de ces assassinats de masse que par la forme que les terroristes leur ont donnée : des attentats suicides ; chacun des terroristes était muni d’une ceinture d’explosifs. Sept d’entre eux l’ont actionnée. Étymologiquement, le barbare est celui qui n’est pas Grec, autrement dit celui qui est étranger à la civilisation parce qu’il ne parle pas le grec, parce qu’il ne parle pas la langue de la civilisation.

Le mot même est un néologisme formé à partir de l’imitation d’un son dénué de sens, d’une langue que la civilisation n’est pas à même de comprendre. Et c’est toute la signification des actes perpétrés le 13 novembre. Si nous n’avions pas compris que les attentats de janvier avaient été conçus comme des attentats suicides, les terroristes ont cette fois voulu l’affirmer le plus ostensiblement et le plus clairement possible. La ceinture d’explosif est le signe et le lieu même de la barbarie. Elle signifie : « nous ne parlons pas votre langue ».

Les terroristes de l’Etat islamique ne comprennent ni n’admettent les termes de démocratie, de libertés, de féminisme, d’universalisme, de reconnaissance des minorités ou des homosexuels ; des droits humains au sens le plus large. C’est ce qu’ont revendiqué les terroristes quand ils ont actionné leur ceinture d’explosifs. « Nous ne parlons pas cette langue qui consiste à préférer la vie à la mort, à privilégier le monde profane au Paradis. »

Ce changement de paradigme, celui qui consiste à préférer la mort à la vie, le « martyre » à la civilisation, à considérer l’humanité comme forclose, réduite à la sphère de l’Oumma, la communauté des musulmans, hors de laquelle n’existent que des apostats ou des mécréants qui doivent être rejetés ou exterminés, Hassan al-Banna, le fondateur des Frères musulmans en Égypte l’a théorisé dès la fin des années 1920. Il s’agissait alors de créer une rupture avec les valeurs de l’Occident, mais surtout avec le soufisme et les autres chapelles qui dominaient le monde islamique, et dont la devise était jusqu’alors « l’amour de la vie ».

Les Frères musulmans, via leur conglomérat associatif et religieux dont l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) est la version française, ont beau jeu d’affirmer, comme au lendemain de chaque attentat, que ces actes sont indignes, ignominieux, qu’ils ne sont pas l’Islam, qu’ils sont le fait de dégénérés et qu’ils n’ont, eux, rien à voir avec ça. C’est un peu court. C’est passer bien vite sur le fait qu’ils ont créé le discours conquérant et dominateur repris sans cesse par les groupes les plus radicaux et belliqueux de l’islam politique, que c’est leur branche palestinienne, le Hamas, qui, autour des années 2000, a banalisé les attentats suicides en faisant exploser quotidiennement leurs bombes humaines contre des civils israéliens dans le contexte de la seconde Intifada, ou qu’ils ont invité pendant vingt ans à la Rencontre annuelle des musulmans de France (RAMF), leur grand rassemblement printanier au Bourget, ici, en France, les « savants » les plus radicaux du monde musulman, des Frères musulmans égyptiens, soudanais ou qatari, qui venaient professer à visage découvert et dans l’indifférence générale la haine des juifs, des femmes, des homosexuels et de la démocratie.

L’Emir de la Confrérie, Youssouf al-Qaradawi, qui depuis sa tribune cathodique, « la Charia et la vie », sur la chaîne qatarie Al-Jazira, inonde le monde de prêches haineux qui incitent au meurtre des homosexuels, des chiites ou des juifs, était l’invité perpétuel de la RAMF jusqu’à ce que le président Sarkozy lui interdise l’entrée du territoire français en 2012. Le même Qaradawi déclarait il n’y a pas si longtemps au micro d’une journaliste égyptienne que, s’il est bien licite de pratiquer le djihad contre les mécréants et les apostats du monde musulman, l’Europe devrait être islamisée « non par le glaive mais par le prêche ». Car la Confrérie croit fermement dans « l’unicité de l’humanité », d’une humanité unie sous la seule bannière de l’Islam. Ils sont convaincus que l’islam et le monde ne seront achevés que par création (à long terme) d’un « Califat mondial ».

Or, une occasion unique s’offre aujourd’hui à la Confrérie, en perte de vitesse dans le monde islamique, de rompre avec ce logiciel doctrinal et sa violence ontologique. Balayée de la scène politique au Moyen-Orient et au Maghreb, mise en minorité par Al- Qaïda et Daesh en Syrie (ils étaient les premiers à livrer bataille contre Bachar al-Assad dans la foulée des révolutions arabes), la Confrérie ne tient aujourd’hui que par ses organisations occidentales, dont l’UOIF, qui pèse de tout son poids au sein du CFCM, est l’une des plus puissantes représentations. Elle va évidemment apparaître, elle qui ne soutient pas l’action armée et terroriste en Occident, comme l’interlocuteur pacifique et privilégié des pouvoirs publics, comme c’est l’habitude depuis trente ans en France.

Or, son « pacifisme » déclaré n’est qu’une nuance tactique qui ne la distingue pas sur le fond des groupes salafistes et djihadistes. Le programme général, les buts poursuivis et le corpus demeurent en réalité identiques. Tareq Oubrou, le recteur de la mosquée de Bordeaux affilié à l’UOIF des Frères musulmans affirme vouloir réformer de l’intérieur le poison idéologique et « théologique » qui gangrène la Confrérie et le monde islamique au sens large. Il prétend vouloir abattre les « théologies conquérantes et dominatrices », tout au moins en Europe.

L’homme a pu apparaître ambigu par le passé, mais il a pris soin de nommer le mal et de se dire engagé sur cette voie, dans ce combat « interne ». Il faut le prendre au mot. Encourager cette initiative autant qu’exiger en retour de l’UOIF - qui, ne l’oublions pas, est chargé de la formation des imams de France ! - l’abandon total et définitif des vieilles lunes du Califat mondial, de « l’unicité » rêvée du monde par des engagements clairs : la prévalence, pourquoi pas sous la forme d’un pacte écrit et contresigné, des lois de la République sur les lois islamiques, des valeurs de la vie et de la liberté sur celles de la mort et du « martyre ».

Bref ; que l’UOIF mette à bas toute velléité politique et idéologique pour se contenter de son pré carré : le religieux, débarrassé de toute dimension hégémonique, de toute connotation meurtrière, de tout discours de haine. Devenir enfin les représentants d’un islam de France."

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