Les 4e Rencontres de la laïcité du groupe socialiste de l’Assemblée nationale (P. Foussier)

30 janvier 2014

A l’initiative de Jean Glavany, le groupe socialiste de l’Assemblée nationale organisait ses 4e Rencontres de la laïcité le 22 janvier dernier. Le thème retenu cette année : droits et devoirs républicains, avec notamment Manuel Valls et Robert Badinter.

En ouvrant ces Rencontres dont le groupe socialiste fait désormais un rendez vous annuel, son président, Bruno Le Roux, salue ce « travail d’affirmation politique », estimant que la laïcité est « fondatrice de l’idée socialiste ». Un travail d’autant plus nécessaire que « régulièrement des faits ou des comportements bousculent la laïcité », ce qui nous impose un « devoir constant de vigilance ».

En prélude aux interventions du ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, et de l’ancien Garde des sceaux Robert Badinter, un échange portait sur les enjeux laïques en Europe autour de trois témoins : Annie Sugier, présidente de la Ligue du droit international des femmes, Martine Cerf, secrétaire générale de l’association Egale, et Patrick Kessel, président du Comité Laïcité République et membre de l’Observatoire de la laïcité.

Tous ont souligné l’importance du combat pour l’égalité des droits entre hommes et femmes, Patrick Kessel qualifiant ces dernières de « hussards noirs républicains d’aujourd’hui ». En insistant sur les droits qui sont accordés aux femmes au sein de l’Union européenne, Annie Sugier a dressé un tableau finalement méconnu, remarquant par exemple que le droit à l’avortement ne figure pas dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE, une Charte de plus en plus contestée au motif de « droit à la différence » qui vise toujours à rogner sur les droits des femmes et à contester l’égalité des droits entre hommes et femmes. En observant que les religions ciblaient le corps des femmes et leur sexualité, la présidente de la LDIF, fondée en son temps par Simone de Beauvoir, estime que le principe de laïcité est en régression en Europe, et que la France, de ce point de vue, se devait de montrer l’exemple, comme les députés de la majorité l’ont fait tout récemment en supprimant la notion de détresse dans les dispositions sur l’IVG. Le rejet du rapport Estrela, qui visait à faire de l’IVG un droit européen, illustre le recul des droits, selon elle.

D’un point de vue plus général, Martine Cerf brosse le panorama de la laïcité en Europe, remarquant que la séparation des églises et de l’Etat et de sa neutralité était l’exception. Presque partout en Europe, insiste-t-elle, c’est la liberté religieuse qui est mise en avant et non la liberté de conscience, faisant fi ainsi des agnostiques ou des athées. Partout aussi se manifestent des demandes de retour au délit de blasphème que l’Europe avait pourtant assez largement réussi à faire reculer dès le XVIIIe siècle. La secrétaire générale d’Egale souligne aussi combien des instances européennes, par exemple dans le domaine éthique et scientifique, sont composées en majorité de religieux, qui imposent leur point de vue, en particulier s’agissant de la recherche médicale.

Pour Patrick Kessel, la question qui se pose, en Europe comme en France, et notamment à la gauche, est de savoir quel modèle prévaudra : celui qui met en avant l’égalité des droits ou celui qui insiste sur les différences. Il faut selon lui lever les confusions, car celles-ci entretiennent la progression de l’extrême droite. « En se battant pour la laïcité en France, on la renforce aussi dans les autres pays », conclut-il en saluant le combat de ceux qui, en réalisant le printemps arabe voulaient tout sauf l’hiver obscurantiste. Mais l’évolution récente de la Tunisie et de l’Egypte permet peut être d’en nourrir l’espoir.

Problèmes avec la laïcité

Jean Glavany enchaine sur ces propos en soulignant en effet que deux modèles s’offrent à nous. « Soit on juxtapose les différences, comme c’est le cas dans beaucoup de pays d’Europe, soit on les dépasse pour rechercher le commun ». Pour le député des Hautes Pyrénées et initiateur de ces Rencontres, il y a à l’évidence une actualité du combat laïque. « Et s’il y a un combat, c’est parce qu’il y a des problèmes avec la laïcité », relève-t-il, pointant la responsabilité d’idées venues de l’extrême gauche selon lesquelles tous les droits doivent être respectés ou autrement dit qu’il serait interdit d’interdire. Jean Glavany insiste pour que, dans la filiation républicaine socialiste, ceux-ci soient toujours assortis de devoirs.

A son tour, Robert Badinter se dit « inquiet pour la République laïque. Au départ, pourtant, tout était simple, relisez Jaurès et Briand. Tout était dit : la liberté de croire ou de ne pas croitre, la liberté de conscience et d’opinion que garantit la laïcité et la fin des réprouvés, ceux qui n’appartenaient pas à la religion majoritaire et les non croyants ». Or, explique l’ancien ministre de la Justice, « une extraordinaire confusion règne, entretenue par les différentes sources du droit, avec des juridictions qui se laissent aller à leurs visions, parfois contradictoires. Observez l’affaire Baby Loup : c’est d’une simplicité évidente pour des laïques, et pourtant nous voyons régner une énorme confusion sur cette affaire ». Pour Robert Badinter, le problème vient du fait « nous avons à gauche des visions qui ne sont plus celles de la gauche républicaine mais qui font la part belle aux revendications communautaristes et différentialistes. La laïcité vacille et le problème est qu’elle vacille à l’intérieur de la gauche », souligne l’ancien président du Conseil constitutionnel. « N’oublions jamais que le communautarisme porte en lui la mort de la République ! ». Redoutant que se propage le modèle britannique, dont le système judiciaire entérine des prescriptions édictées par la Charia, Robert Badinter prend l’exemple des cantines scolaires et des revendications culinaires en fonction des religions, dont il estime qu’il s’agit d’une « épreuve de force pour faire reculer le camp républicain. A chaque fois que nous cédons, les religieux les plus fondamentalistes nous soumettent à leurs règles et font reculer la République. Il faut beaucoup de résolution aux élus locaux pour résister à ces pressions, mais le véritable enjeu du combat est là : le communautarisme fondé sur des principes religieux va-t-il se substituer à la République ? ».

Retrouver le sens du combat

A son tour, Manuel Valls établit un « constat d’inquiétude devant la crise de confiance et d’identité » que ressent la société. Observant que le camp laïque ne s’est plus réellement mobilisé depuis 1984 et l’abandon du projet de « grand service public de l’éducation », le ministre de l’Intérieur constate qu’en revanche les adversaires de la laïcité se sont eux fortement impliqués dans le débat public. Il faut selon lui « retrouver le sens d’une démarche positive, combative, car la laïcité n’est pas qu’un concept juridique. Elle implique l’égalité, entre les sexes notamment, et la possibilité de choisir sa vie set son destin, c’est en ce sens que la laïcité est profondément émancipatrice », souligne le locataire de la place Beauvau. Et, reconnait-il, ce débat « gêne à gauche » qui assiste souvent spectatrice à des montées de revendications identititaires communautaristes. « Devons nous céder à la tentation de fléchir ou de ne pas voir, de ne pas traiter les problèmes ? Si nous cédons, ce modèle laïque sera mis en danger ». Et Manuel Valls de citer le cas de la crèche Baby Loup, dont il a soutenu le combat depuis le début. « Reprenons nos combats, ils sont ceux de la gauche, relève le ministre de l’Intérieur. Quand on dit qu’il n’y a pas de problème de laïcité en France, on se trompe », poursuit-il, partisan du recours à la voie législative ou réglementaire pour « dire non, porter un coup d’arrêt qui nous évitera un jour d’avoir à assister à la remise en cause de ce que nous sommes, c’est-à-dire attachés à la liberté, car la laïcité est avant tout une liberté ». Evoquant les problèmes posés dans les cantines scolaires mais aussi pour l’accompagnement des sorties scolaires ou à l’université, Manuel Valls l’assure : « Il faut apporter des solutions, nos solutions, car sinon d’autres courants apporteront les leurs et l’inquiétude grandira. Dans ce rapport de force, il nous faut résister avec la même fermeté face à ceux qui veulent imposer des critères religieux. Ce combat, c’est à la gauche de le mener, avec son discours, sa méthode, sa pratique. Cette morale laïque que nous avons construit depuis le XVIIIe siècle, il nous faut en reprendre le flambeau », conclut le ministre de l’Intérieur.

Philippe Foussier


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