par Jean Javanni, secrétaire général du Comité Laïcité République. 22 avril 2018
Après la visite du chef de l’État à la Conférence des évêques de France on ne peut qu’être interloqué par une telle méconnaissance des fondements du principe de laïcité par la plus haute autorité de la République. Il paraît donc ici de la plus haute importance de rappeler que la laïcité, fondée sur le socle de la loi de 1905 et de l’article 1er de notre Constitution – inchangé depuis 1946 –, repose sur deux piliers aussi importants l’un que l’autre : liberté de conscience et séparation.
En effet, il est un aspect du principe de laïcité sur lequel on n’insiste jamais assez, c’est celui de la séparation de l’État et des cultes.
L’accent est souvent mis sur la liberté de conscience – certes importante ! –, mais celle-ci ne peut s’exercer pleinement que parce que la séparation, qui est la condition politique et institutionnelle essentielle de cette liberté, est réelle. Et au-delà de cet aspect constitutionnel, il y a une dimension philosophique à cette séparation : ce n’est pas la foi qui dicte nos lois mais le travail rationnel du législateur pour le bonheur du citoyen.
On doit en effet tirer toutes les conséquences de l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905, qui est l’expression de cette séparation :
« La République ne reconnaît [...] aucun culte. »
Dans ce cadre, qui fonde la République laïque, la loi, en tant que norme élaborée par les institutions de l’État, ne saurait chercher son fondement dans une transcendance particulière exprimée par ces « cultes », expressément écartés du domaine de cet État et de son champ d’action. La loi républicaine n’est pas la résultante entre les différentes options préconisées par ces cultes. Et même si l’on inclut, parmi les dites convictions, « les laïques », que l’on confond à dessein avec les athées. Ce qui est bien sûr un contresens fondamental !
La loi républicaine est issue d’un corps politique immanent, détaché de l’influence de cette transcendance ou d’une vérité révélée.
Du fait de cette séparation, la laïcité n’est pas dans une logique « interconvictionnelle », c’est-à-dire de partage de la société entre différentes « convictions », qu’elles soient religieuses ou philosophiques. La laïcité n’est pas le système faisant « coexister » dans l’espace public plusieurs religions reconnues par l’État et se reconnaissant entre elles. Il n’y a pas dans la République laïque de sous-ensemble formé par chacune des convictions – avec des droits qui leur seraient accordés –, mais un seul ensemble formé par tous les citoyens, chacun dans sa liberté de conscience, partageant le champ social avec d’autres citoyens libres et égaux en droit.
La loi est alors le résultat d’un travail politique, traduisant le vécu de chacun des citoyens, libres et égaux en droit, dans la reconnaissance de leur liberté de conscience. Produit d’un processus politique, fondé sur l’ici et le maintenant, elle est l’expression de ces citoyens, libres et égaux en droits, qui sont, par définition, les acteurs de ce processus dans la République.
La séparation se présente ainsi, à la fois comme un corollaire de la citoyenneté républicaine, dont elle assure la garantie, et comme un principe d’organisation politique qui établit, conforte et maintient la liberté de conscience.
Finalement, la laïcité, si elle consiste certes en des dispositions juridiques de droit positif, ne peut être réduite à celles-ci. Par les deux « piliers » sur lesquels elle repose, elle engage bien la société. La séparation, tout particulièrement, imprime un « style » spécifique au processus d’élaboration des lois. Elle est essentielle dans l’approche mise en œuvre pour aborder les questions de société.
Il en résulte que, dans la République, au-delà de règles juridiques particulières, la laïcité se hisse au niveau d’un principe constitutionnel, partie prenante pleine et entière de « l’Idée de Droit » engendrée par le corps social et qui fonde l’ordre institutionnel. Elle recèle en elle un dynamisme fait de l’aspiration des membres du groupe à la voir se traduire en règles de droit. C’est bien ce qu’a exprimé et entériné la Constitution de 1946, reprise par celle de 1958.
Ainsi, le chef de l’État, par ses récentes déclarations, contribue à accroitre la confusion qui règne dans l’esprit de nombreux de nos concitoyens sur la laïcité, plutôt qu’à les éclairer.
Son discours, qui se veut balancé, met en fait en place une véritable dérive du principe. S’il exprime bien que son « rôle est de s’assurer que chacun de nos concitoyens ait la liberté absolue de croire comme de ne pas croire » et s’il demande bien à l’Église « de respecter absolument et sans compromis aucun toutes les lois de la République ». Ce discours reste incomplet quand il conclut que « c’est cela la laïcité ni plus ni moins, une règle d’airain pour notre vie ensemble qui ne souffre aucun compromis, une liberté de conscience absolue et cette liberté spirituelle que je viens d’évoquer », car il oublie effectivement une part essentielle du principe de laïcité, qui est la séparation.
Voire même, il l’ignore quand il parle de « partage » avec l’Église, qui est pour lui, dit-il, « le socle indispensable du travail que l’État de son côté doit mener pour penser toujours à nouveaux frais, la place des religions dans la société et la relation entre religion, société et puissance publique ».
Non, Monsieur le Président, nous n’avons pas à « penser à nouveaux frais » cette place et cette relation ! Les termes de la loi de 1905 et la Constitution de la République sont clairs sur ce point. On ne peut que regretter amèrement qu’un des produits les plus brillants de l’éducation de notre nation, émoulu des plus grandes écoles de la République, ignore à ce point les principes fondamentaux de cette même République.
Mais, peut-être, n’est-ce pas un hasard, si l’on considère les démissions successives de nos politiques, depuis près de soixante-dix ans à présent, face au véritable combat idéologique mené par l’Église catholique contre l’école laïque, publique et républicaine ? Ce jeune président entre parfaitement dans le moule qui a été élaboré ainsi par l’école soi-disant « libre », c’est-à-dire confessionnelle.
Peut-être est-il temps que nos esprits laïques se remobilisent et recommencent à mener ce combat idéologique que l’on croyait gagné.
Jean Javanni
Voir aussi Un président de la République a pour devoir de ne reconnaître aucun culte (CLR, 10 av. 18), J.-P. Sakoun : « Je regrette que M. Macron ait donné le sentiment de s’adresser à l’Eglise en croyant » (LCI, 10 av. 18), le discours de Macron aux évêques (9 av. 18) : “Le lien entre l’Eglise et l’Etat s’est abîmé, il nous importe à vous comme à moi de le réparer” (la-croix.com , 10 av. 18), dans la Revue de presse la rubrique Macron chez les évêques de France (9 avril 2018) (note du CLR).
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