CLR, Libres MarianneS, LDIF

Laure Caille : conclusions du Colloque "Place aux femmes !" (18 juin 16)

Secrétaire générale de l’association Libres MarianneS. 19 juin 2016

Place aux femmes ! Tout un programme !

C’est parce que cette place, chèrement acquise, est, aujourd’hui encore chichement comptée, voire dans certains lieux contestée, que nous avons souhaité que ce colloque donne prioritairement la parole à des militantes, des actrices de terrain, des expertes qui, chacune de leur place, sont à l’avant-garde de ce qu’il faut bien appeler la résistance

Les témoignages, les réflexions qu’elles ont partagées avec nous, leurs actions aussi, montrent combien elles sont en première ligne des combats pour une république laïque égalitaire et sociale, « nouvelles hussardes noires de la République » comme il est dit dans l’ appel que nous lancerons à l’issue de ce colloque et que l’on m’autorisera à décliner au féminin

Avec Horia, Serenade, Soad, c’est notre propre défaut de vigilance qui a été interpelé. Légèreté, indifférence ou même surdité à ce qui se passait là bas, si loin, de l’autre côté de la mer. Nous regardions ailleurs lorsque en Algérie, tout aurait du nous alerter quant aux stratégies d’implantation et de conquête de l’islam politique et sa dérive inexorable vers le fanatisme et la terreur des années noires.

Au Caire, place Tahrir, place de la Libération la mal nommée où, déjà, des agressions et viols, de femmes journalistes notamment mais pas seulement, préfigurait la St Sylvestre à Cologne et dans d’autres villes d’Europe. Ici comme là, l’acharnement animal contre l’intégrité et la dignité des femmes ne provoquait dans les rangs communautaristes que de timides protestations et des silences gênés : comment s’arrêter sur quelques bavures de la révolution en marche ? Comment ne pas excuser les dérapages des nouveaux damnés de la terre ?

Aujourd’hui, comme hier, ici comme ailleurs, vous nous avez rappelé qu’il n’est pas de combat pour les droits universels qui puissent s’exonérer de celui pour les droits des femmes ; lequel implique qu’elles puissent revendiquer le plein exercice, non seulement de leur citoyenneté mais de leur humanité, et récuser l’assignation identitaire du groupe, du clan, de la communauté de croyants où l’on prétend les reclure.

Avec la question de la place de femmes dans l’espace public, dont Nadia et Annie ont fait un état des lieux implacable, on touche à un point hautement sensible de l’inégalité entre les femmes et les hommes et même, de l’aggravation de cette inégalité. Et si la course d’obstacles d’accès à l’espace public pris au sens symbolique de la sphère publique, du forum, du monde politique ou médiatique, est assez largement acté, la réalité prosaïque et concrète de la rue, du quartier, de la ville, et de la liberté d’y aller, d’y venir, d’y être visible dans laquelle se joue l’appropriation et la domination du territoire, reste pour beaucoup méconnue ou niée. Sauf pour celles qui, le vivant au quotidien, lancent des alertes, trop souvent, hélas, dans le désert.

Nos intervenantes, qui savent de quoi elles parlent, ont mis en lumière des mécanismes insidieux d’interdits spatiaux et temporels, explicites ou implicites, qui empêchent les femmes d’investir l’espace public urbain. Par exemple, l’inégalité dans l’offre de loisirs, le plus souvent sportifs, dont les garçons sont les grands bénéficiaires. Stades, terrains de foot et basket, barres de musculation… La longue liste des activités sportives révèle le manque d’activités proposées aux filles.

De plus, des quartiers entiers sont devenus des cités interdites, à tout le moins des zones surveillées, quadrillées par de véritables polices des mœurs. Dans ces espaces, véritables prisons à ciel ouvert, la promenade est sévèrement réglée et limitée à des trajets bien précis marché/domicile/école, c’est-à-dire dans de simples extensions de l’espace domestique. Il ne fait pas bon s’aventurer seule, à commencer par les cafés d’où toute mixité est désormais bannie, pas plus qu’on imagine se promener en manches courtes et cheveux au vent.

Avec le collectif des femmes sans voile, il faut dénoncer l’imposture de ceux - collectif contre l’islamophobie, l’UOIF et consorts - qui osent crier à la à la stigmatisation des femmes voilées alors que ce sont au contraire, les courageuses réfractaires, à Aubervilliers et ailleurs, qui essuient opprobres et insultes pour refuser de s’ensevelir sous un linceul qui les soustrait au regard et à l’empathie de leurs sœurs et frères en humanité, et les transforme en soldates porte drapeau de la domination de leurs propres oppresseurs..

Quelles que soient les formes particulières que prennent les atteintes aux droits des femmes au nom des sacro saintes (c’est le cas de le dire !) « traditions », à leur dignité, à leur intégrité physique et morale, allant jusqu’aux exactions les plus effroyables, il s’agit toujours du même acharnement obsessionnel contre leur corps, considéré comme objet de désordre dès lors qu’il est libéré de toute tutelle. En réduisant le corps des femmes à une fonction reproductrice imposée, en le soustrayant à l’espace public et au regard de l’autre, en affichant une invisibilité si visible qu’elle en est ostentatoire, c’est la négation de ce corps en dehors d’un rapport de soumission et de reproduction, qui est affirmée, littéralement, son expropriation immanquablement accompagnée d’une aliénation de l’esprit, aux sens étymologiques des termes..

Ce que Chalah Chafiq a pertinemment appelé les ruses discursives et que nous avions, quant à nous, appelé, la « fraude des mots », nous appelle à une vigilance accrue sur les idées retorses véhiculées en catimini par des mots ou des concepts employés à contre emploi. Les mots mais aussi les symboles, les dessins, les films, rien n’échappe à ce hold up du sens et des valeurs.

Marika, Nadia nous appellent à ne pas prendre des vessies pour des lanternes, des professions de foi pour des constitutions laïques, la complémentarité pour l’égalité, des antisémites pour des antisionistes, des néo racistes pour des anticolonialistes, l’avortement pour un crime et Tariq Ramadan pour un musulman éclairé.

Parmi d’autres exemples, alors que le délit de blasphème avait disparu de nos écrans, de nos textes législatifs en tous cas, sauf dans le droit particulier, très particulier, d’Alsace-Moselle que les politiques peinent à réformer, le délit de blasphème, donc, refait surface sous un nouvel avatar. Les intégristes de la croix ou du croissant, et les tenants de laïcités plurielles et adjectivées s’accordent désormais à invoquer un droit supérieur qui primerait sur tous les autres : le respect des croyances, dans un sens là encore détourné, puisqu’assimilant la critique d’un dogme à l’irrespect des croyants.

Liberté d’expression ?, oui mais…On sait jusqu’à quelles indignes justifications ce « mais » là peut mener.

Elles nous enjoignent de ne pas nous soumettre à une nov langue indigeste, destinée à nous faire taire par peur de la mise à l’index de la communauté politiquement fréquentable, en brandissant des chiffons rouges sémantiques : « islamophobie », « racisme post colonial », « intégrisme laïque » ou, dans sa version papale « laïcité exagérée ».

L’universalité implique tout à la fois l’égalité entre les personnes, quelles que soient leurs origines, leur religion et, bien sûr, leur sexe, et la liberté de conscience, laquelle inclut la liberté religieuse mais ne s’y réduit pas, comme on se plaît pourtant à en entretenir la confusion, « l’amalgame » au vrai sens du terme de ce vocable par ailleurs, bien galvaudé.

A cet égard, la tentation des accommodements dits raisonnables - dont notre amie Djemila Benhabib, ne connaît que trop bien l’infernale logique, s’avèrent vite hautement déraisonnables, car loin d’être accueillis par leurs bénéficiaires comme un gage de bonne volonté et de compréhension mutuelle, ils sont interprétés comme aveu de faiblesse et ne font qu’attiser la surenchère revendicative vers toujours plus de droits différenciés, toujours plus de segmentation des « communautés » provoquant l’enfermement identitaire qui dresse des murs au lieu de favoriser lien social et projet politique commun.

Comme l’association de nos trois associations pour l’organisation de ce colloque en témoigne, de même que l’appel « Pour un féminisme laïque et universaliste » qui en est issu, nous nous voulons porteurs d’un engagement, FEMINISTE ET LAÏQUE, deux qualificatifs qui pourraient sembler redondants mais qui pourtant se doivent d’être conjointement et clairement affirmés afin de ne pas céder d’une part, à l’ambigüité d’une lecture considérant que la laïcité suffirait garantir l’égalité entre les femmes et les hommes , mais d’autre part, afin de combattre avec toute la conviction, toute la force, toute la pugnacité dont nous sommes capables, l’inquiétante récupération du féminisme par des mouvances différentialistes qui, au nom d’une conception fourvoyée de la liberté, et de la suprématie d’un prétendu « choix personnel » sur toute autre considération collective et citoyenne, en arrivent à des retournements idéologiques particulièrement pervers.

Je voudrais dire enfin, que face à la banalisation de l’horreur, face au recul qui peut sembler inexorable de la rationalité, de l’humanité, face au retour des forces les plus noires, face à la sidération et à l’autocensure dans laquelle tants de politiques et d’institutionnels semblent s’empêtrer, face, enfin, à la répétitivité de l’innommable contre laquelle cogne notre impuissance, le découragement peut parfois nous gagner.

Pensons alors à Camus et à son Sisyphe revisité, qu’il « faut imaginer heureux » et qui « enseigne la fidélité supérieure qui nie les dieux et soulève les rochers. La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d’homme, dans un univers désormais sans maître ».



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