Revue de presse

"Langues régionales : les enjeux masqués d’une révision constitutionnelle" (M.-F. Bechtel, J.-P. Chevènement, marianne.net , 1er nov. 15)

Marie-Françoise Bechtel, députée de l’Aisne ; Jean-Pierre Chevènement, président de République Moderne. 3 novembre 2015

Faut-il permettre la ratification complète de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires ? Le Premier ministre s’est offusqué de ce que le Sénat ait rejeté la semaine dernière le projet de réforme constitutionnelle qui lui a été présenté après un tour de piste avorté l’an dernier.

La vivacité d’une indignation d’où la rhétorique n’est peut-être pas absente n’a d’égal que le côté ressassé d’une antienne, celle de la revendication régionaliste appuyée sur des mouvements qui n’ont jamais voulu désarmer. Depuis en effet qu’en 1999 la France a ratifié la Charte sous les seules réserves des stipulations qui entreraient en contradiction avec notre Constitution, les partisans d’un régionalisme maximaliste n’ont eu de cesse de remonter à l’assaut sur cette question.

Or de quoi s’agit-il réellement ? De priver les langues régionales d’un droit de cité ? Sûrement pas. Aujourd’hui la loi, dans notre pays, n’empêche ni l’enseignement ni l’utilisation des langues régionales. On peut aujourd’hui sur tout le territoire lire les panneaux de signalisation en deux langues, obtenir tout document administratif traduit en langue régionale, enfin et surtout scolariser ses enfants dans des établissements qui offrent soit un enseignement optionnel soit une immersion totale. Cet effort scolaire est financé par l’Etat pour près de 300 000 enfants dans 13 académies avec plus de 1100 enseignants dont 600 titulaires d’un Capes. Tout cela vient, rappelons-le, de ce que la France a ratifié de larges parties de la Charte. Rien n’empêche d’ailleurs que la mise en valeur de ce riche patrimoine, auquel nous sommes tous légitimement attachés, fasse l’objet d’une loi de programmation permettant sa préservation et son développement, objectif culturel parfaitement défendable. Rien de tout cela ne demande une réforme constitutionnelle, c’est seulement une question de choix législatifs et de moyens financiers. Appelle-t-on aujourd’hui à une nouvelle conception de la République ?

Mais alors que veut-on de plus ? Les gouvernements Juppé (1996) puis Jospin (1999) avaient en effet renoncé à une ratification totale qui se heurtait à des obstacles constitutionnels et non des moindres, en premier lieu l’unité du peuple français.

Ces obstacles auraient-ils miraculeusement disparu ? Ou bien nous appelle-t-on aujourd’hui à une nouvelle conception de la République ? Telle est la question savamment obscurcie dans le débat grâce à un projet de révision constitutionnelle qui se prétend, chose inédite, conforme à la Constitution tout en inventant une lecture de la Charte qui est explicitement contraire à celle-ci. Autrement dit une révision qui n’en est pas une et une ratification avec des « réserves d’interprétation » qui sont exclues par la Charte elle-même.

Regardons donc aujourd’hui ce que ne permet pas la loi. C’est le moyen d’être éclairé sur ce que cherche ce projet de révision constitutionnelle. Ce que ne permet pas aujourd’hui la loi est d’abord la « co-officialité » des actes d’administration et de justice, qui deviendraient obligatoirement bilingues : comme l’a dit et répété le Conseil constitutionnel ce serait là une atteinte à unité du peuple français et à l’indivisibilité de la République. C’était vrai hier, cela reste vrai aujourd’hui. Quant à l’investissement massif dans les écoles privées dévolues aux langues régionales ou encore au recrutement d’agents publics - fonctionnaires ou magistrats - sur leurs compétences linguistiques, ce serait porter atteinte à la laïcité tant par le financement excessif des établissements privés que par la fin de la neutralité de la fonction publique. C’est toucher au pacte républicain lui-même.

La conclusion est simple : c’est bien pour les Bretons, Basques, Alsaciens ou Occitans « de souche » - ceux du moins qui se voient tels-que serait faite cette réforme. On verra ainsi au sein de départements dans lesquels se mêlaient depuis des siècles natifs et « implantés », se séparer dans les écoles comme devant les guichets administratifs ou aux greffes de justice deux populations, trois en comptant les migrants qui ne parlent pas la langue : le meilleur laboratoire possible pour inciter au développement des communautarismes… [...]"

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