Edito

Laïcité et RGPP, un oxymore (12 fév. 12)

par Christophe Couillard 16 février 2012

La RGPP (Révision générale des politiques publiques) est une action, menée depuis 2007 par le gouvernement actuel et celui qui l’a précédé, de réorganisation de l’ensemble de l’action publique. La RGPP a des conséquences graves sur le périmètre du service public et par suite pour la place de la Laïcité dans la vie publique.

En soi il n’est pas illégitime pour tout gouvernement de chercher à avoir une organisation de l’Etat en lien avec la politique qu’il veut mener. Pour cela, il faut satisfaire deux exigences préalables : d’une part cette politique doit avoir été annoncée et avoir fait l’objet d’un débat au Parlement et d’autre part cela ne doit pas remettre en cause les valeurs constitutionnelles.

La RGPP s’est organisée quasi clandestinement dans des réunions de hauts fonctionnaires et de cabinets conseils. Des mesures (561 mesures structurelles) sont devenues très visibles : le tristement célèbre non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux et la réorganisation territoriale de l’Etat, dans le même temps de nombreuses missions dévolues à l’Etat sont passées à la trappe.

La théorie veut que l’Etat devienne modeste et se concentre sur ses missions régaliennes. Même cela est faux : la police nationale est réduite, les missions demeurant sont au mieux assumées par les polices municipales et au pire des sociétés privées de sécurité (ce sont elle désormais qui patrouillent dans les zones industrielles ou commerciales la nuit). L’Etat modeste cela veut dire qu’il s’ampute de moyens d’action pour le bien public au nom d’une théorie économique : l’ultra-libéralisme.

Les besoins subsistent : les missions qui revenaient à l’Etat, et qui ne disparaissent pas pour autant, sont accomplies par des entreprises privées et des associations.

La Poste est désormais une entreprise dont la finalité est de réaliser un gros chiffre d’affaire et dans les zones rurales se sont les cafés/tabac/boulangerie/bazar qui rendent le service postal. Bien sûr, s’il s’agit de vendre des timbres ce n’est pas trop bizarre mais lorsqu’il s’agit d’aider une personne âgée avec son livret pour lui faire toucher sa pension ? Le fonctionnaire devait servir tout usager, qu’en est-il du cafetier, de ses préférences et du temps qu’il est prêt à donner ?

Ce n’est plus la préfecture qui a le monopole des cartes grises. Des opérateurs privés (garagistes) peuvent s’en charger moyennant finances. Le problème ne se pose pas pour le neuf mais pour l’occasion. Des délais longs font que le transfert de propriété n’est pas réalisé et que des automobilistes se voient contraints de payer des contraventions indues pour des infractions commises par leurs acheteurs. Mais surtout sont remis en circulation des véhicules douteux, aussi bien quant à la sécurité qu’à leurs provenances. En effet des pièces identifiant le véhicule ne sont plus réclamées, de bonne foi on peut donc contribuer à rouler dans un véhicule volé et participer à un trafic.

De nombreux musées sont des établissements publics administratifs, d’autres sont strictement privés. Le recul des pouvoirs publics aidant, des partenariats public-privé s’imposent. Dès lors, des organisations communautaires dictent leur volonté. C’est ainsi que le Musée d’art et d’histoire du judaïsme (financé en partie par l’Etat et la ville de Paris) est fermé le samedi, alors que c’est un jour de visites nombreuses pour tous les autres musées. S’il est normal que le musée ferme un jour, sa fermeture le samedi semble répondre à d’autres impératifs que satisfaire le grand public.

Le monopole de l’ANPE (désormais Pôle Emploi) sur le placement des chômeurs a été supprimé. Désormais des opérateurs privés reçoivent mission de placement contre rétribution. Toutes les enquêtes ont montré qu’ils faisaient moins bien pour plus cher sur des publics comparables ; à chaque fois le choix a été d’amplifier le recours au privé… Mais surtout, lorsqu’il s’agit d’une entreprise de travail temporaire, quelle garantie un chômeur a-t-il que seules ses qualifications sont prises en compte dans son recrutement ? On sait la pression de nombreux employeurs sur le genre (une secrétaire, une femme de ménage, un cadre) mais la pression sur les "BBR" (bleus blancs rouges) est une réalité. L’agent public avait obligation de refuser de tels critères (et un statut qui le garantit). Comment une entreprise commerciale négociera le recours à un communautarisme rampant si en même temps elle a des contrats commerciaux ? Enfin, demain des agences de placement communautaires verront-elles le jour, même si en théorie l’égalité de traitement s’imposera ?

Ce ne sont là que quelques exemples. La question pour le futur est : dès lors que la rentabilité n’est plus assurée, quels services seront rendus (à quel prix) pour quels services attendus, avec quelle égalité de traitement ?

Ce sont des associations qui prennent le relais lorsque le service public est absent et que le retour sur investissement n’est pas assuré. Alors ces associations n’agissent qu’en fonction de leur objet et non avec l’obligation de l’égalité de traitement des usagers. Par ailleurs les agents publics ont des obligations qui ne s’imposent pas à de simples salariés. Evidemment dans la majorité des cas le service sera accompli avec zèle. Mais il ne s’agit que de la majorité. Le problème vient des cas minoritaires. Faut-il détailler ici tous les risques de discriminations, de manque de confidentialité, d’affichage d’opinions religieuses ou autres ? Même s’il existe des conventions pour le respect de la laïcité, quels petits arrangements ("accommodements raisonnables"), quelles définitions particulières lui seront donnés ?

La RGPP s’applique à l’école. Ce sont les sections d’accueil de la petite enfance qui sont la cible principale ; sur 1500 suppressions de classe en 2011, un tiers sont des maternelles. Dès lors, on assiste à une augmentation de classes maternelles hors contrat dans l’enseignement privé. Si ces classes sont hors contrats la partie confessionnelle va pouvoir jouer à plein. Si ce n’est pas l’école privé qui prend en charge ce seront des associations qui prendront le relais. Rappelons que des organisations confessionnelles gèrent des crèches. Dès lors qu’elles sont privées, elles n’ont aucune obligation de respect de la laïcité. Qu’en sera-t-il dans les régions françaises où déjà le nombre d’écoles privées est plus important que le nombre d’écoles publiques ? Quels choix restera-t-il aux parents d’enfants d’âges inférieurs à celui de la scolarité obligatoire ?

La suppression des RASED (réseaux d’aide aux élèves en difficultés, 3000 postes), livre les élèves qui ont des problèmes soit aux organismes d’aide privé, soit aux réseaux d’aide confessionnel. Sur les sciences dites dures (mathématiques…) il n’y a pas lieu de s’inquiéter (quoique la biologie aussi puisse être interprétée) mais dès qu’il s’agira d’histoire ou de lettres ? Qui empêchera quelqu’un de bénévole mais religieux de faire du rattrapage en lecture à partir des livres fondateurs de religion ou de lectures « bien » triées ?

Déjà pour accueillir des sans abris, des paroisses ouvrent leurs portes pour quelques-uns. Tant mieux pour ceux qui dorment au chaud, faut-il pour autant devoir accepter un crucifix au dessus de son lit ?

Tout ce qui donnait corps à la fraternité dans le service public, le lien social, le soutien aux plus faibles, en un mot la solidarité va être remplacée demain par la bienfaisance des associations.

Le recul de la présence du service public et de ses agents n’est pas un simple transfert d’opérateurs. En même temps que la mer se retire à marée basse elle laisse du sable mais aussi des rochers glissants.

La RGGP ce n’est pas seulement une réorganisation de l’Etat, c’est un changement en profondeur de la société, du vivre ensemble. Cela se traduit par un recul de cet idéal constitutionnel, au sens légal, mais aussi de ce qui nous réunit.

La République en devient moins sociale et moins laïque.

Christophe Couillard

12 février 2012


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