Tribune libre

Laïcité : à côté de l’analyse juridique, assumer le débat idéologique (P. Juston)

Pierre Juston, doctorant en droit public. 8 février 2022

[Les tribunes libres sont sélectionnées à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

(Ce texte est la reprise d’un fil publié sur Twitter le 2 février 2022.)

La laïcité est tout autant un concept du champ philosophique et politique qu’un principe juridique dans le droit positif.

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Puisque certains en sont à se poser la question de l’efficacité de l’action publique face à des phénomènes de radicalisation qui mènent aux drames que nous connaissons, il leur faut redécouvrir la vertu de la disputatio idéologique/politique à visage découvert sur tous ces sujets. Le débat idéologique, celui de la cohérence philosophico-politique sur un concept, n’a rien d’honteux. Il peut tout à fait être assumé à côté de l’analyse juridique de la notion qui en est issue. Ce n’est simplement pas le même cadre de pensée ni la même démarche intellectuelle.

Mais l’hypocrisie qui consiste à se cacher derrière sa propre analyse juridique pour ne pas dévoiler des considérations tout à la fois philosophiques et politiques qui nous animent naturellement et légitimement est délétère et ridicule dans un débat honnête.

Il y a matière à dire sur les années contre-productives d’aveuglement qui se sont écoulées sans considérer pour autant et caricaturalement que la laïcité puisse être la solution à toutes les difficultés. Certains aiment parfois à tenir un double langage selon leur auditoire, se draper dans une posture de « neutralité » institutionnelle tout en jouant à la politicaillerie propre aux alcôves du pouvoir qui fut pourtant leur nid. Faut-il donc qu’ils se questionnent eux-mêmes sur l’efficacité de leur propre action, ce qui a effectivement fonctionné (beaucoup de choses) et ce qui n’a pas fonctionné (tout autant), plutôt que de donner constamment aux autres les bons et les mauvais points.

Il y a toujours eu, dans notre histoire, de nombreux tempéraments et interprétations de la chose républicaine, du cadre libéral et du concept de laïcité ; des réalités juridiques, parfois contradictoires, en sont sortie. S’accaparer personnellement l’un de ces tempérament en estimant qu’il serait LA vérité est une chose bien commune dans le champ socio-politique mais peu efficiente à mon avis, dans l’analyse juridique qui n’est pas seulement une réflexion sur le seul droit positif.

Bien que simpliste, cette approche est légitime dans le cadre démocratique mais cela nécessite ensuite de ne pas faire croire ici et là que l’on agit exclusivement dans un cadre neutre et juridique et non, aussi, dans un cadre politique et idéologique. Il faut donc selon moi savoir enlever les habits d’un juridisme de façade et s’assumer pleinement lorsqu’on s’exprime dans le champ socio-politique.

Savoir l’assumer, c’est savoir distinguer ce qui relève de la science du droit d’une part de ce qui relève de la chose idéologique et politique d’autre part. C’est à mon sens à la fois sain et décisif.

Par ailleurs, si le principe juridique de laïcité, c’est avant tout la consécration de libertés décisives, faut-il encore reconnaître que l’essentiel des articles de loi de 1905 sont aussi des dispositions qui interdisent et encadrent, comme bien souvent lorsqu’il est question de la consécration de nouvelles libertés.

De même, puisque le droit est une science du langage, une science de l’interprétation, ériger les décisions des interprètes authentiques comme une vérité universelle intangible démontre une méconnaissance profonde de ce qu’il est ainsi que de sa finalité profonde. Ces interprétations ne sont nullement sacrées et si la jurisprudence s’applique évidemment (qui peut donc le nier ?), elle est à la fois changeante et critiquable en bien des termes, notamment sur le plan de la cohérence puisqu’elle reste une interprétation.

Si le juge n’est pas la bouche de la loi, c’est bien au législateur souverain qu’il convient de décider. La critique de la cohérence des dispositions qu’il décide ramène d’ailleurs obligatoirement à des débats de nature philosophico-politiques divers et non seulement juridiques.

J’écris tout cela en étant parfaitement à l’aise quant à mon approche juridique comme politique de la laïcité connue, estimant qu’un bon nombre (pas toute) des interdictions envisagées par les uns et par les autres dans le débat ressemble parfois plus à un concours Lépine plus postural et électoraliste que réfléchi et n’est ni la solution miracle ni en cohérence avec ce que j’estime être la laïcité. Mais je ne considère pas que toute évolution, parce qu’elle est une interdiction ou un encadrement serait par essence contraire à la cohérence du principe. J’ai surtout conscience que ma conception, loin d’être LA vérité, n’est qu’une humble analyse parmi tant d’autres.

Quant à l’idée qui tend à estimer que prendre des dispositions pour refuser à des phénomènes violents de s’installer ne ferait qu’alimenter ces phénomènes, il y aurait beaucoup à dire de la stratégie inverse. Celle de la « calinothérapie », essentialisante et condescendante à l’égard de certains de nos compatriotes, et dont l’efficacité n’a pas été particulièrement évidente ces dernières années.

Je précise que je ne réagis ici à aucune actualité autre que celle qui n’est pas nouvelle des parangons de vertu qui se parent d’un discours juridique qu’ils maîtrisent parfois mal et qui s’enivrent en fait du droit comme on s’enivrerait d’un rituel religieux. La coquetterie hypocrite qui consiste à faire croire qu’on dit « le vrai » sans dévoiler les soubassements idéologiques et politiques de son propre raisonnement est aussi lâche que malhonnête.

Pierre Juston


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