Revue de presse

"La radicalisation dans le monde sportif, une affaire d’Etat" (Le Parisien, 6 jan. 20)

15 janvier 2020

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Formation d’agents « lanceurs d’alertes », contrôle du casier judiciaire des bénévoles... Pour contrer la radicalisation dans les clubs de sport, les autorités veulent multiplier les mesures.

Au premier abord, l’audience de ce jeudi de décembre au tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis) ne semblait pas avoir de lien avec une dérive communautaire. Le responsable d’une salle de sport de la ville était jugé pour « maintien en activité malgré une fermeture administrative ». Et pourtant... A l’intérieur de cette salle, durant le ramadan, une affiche indiquait clairement que l’espace habituellement dédié aux exercices d’abdominaux sur des tapis de sol était désormais dévolu à la prière. Et une adhérente effectuait son jogging sur un tapis de course en burqa, au risque de se prendre les pieds dedans.

Trois fermetures en Ile-de-France en 2019

En 2019, selon le ministère des Sports, près de 7000 établissements sportifs ont été contrôlés, dont 130 en lien avec la prévention et la détection de phénomènes de radicalisation. Au total, cinq fermetures administratives ont été prononcées, dont trois en région parisienne. Officiellement, pas pour ces dérives très difficiles à prouver, mais pour un problème d’assurance, un défaut d’hygiène, un non-respect des normes de sécurité ou des obligations relatives aux éducateurs.

En Essonne, le club de football de Lisses, près d’Evry, a été fermé cet été, officiellement pour des problèmes de comptabilité. Mais l’association, soupçonnée de prosélytisme, était dans le viseur des autorités depuis plus d’un an et des cartons de djellabah ont été trouvés dans les locaux.

A Bobigny, les collectivités et l’Etat ont donc appuyé sur des leviers administratifs pour interdire toute pratique dans la salle de sport « suspecte » : une bonbonne de gaz était par exemple entreposée près d’une sortie de secours, juste à côté du matériel pour démarrer le barbecue. Après des visites « très pédagogiques », la préfecture a émis un arrêté de fermeture en mars 2019.

« Fermer une structure n’est jamais un plaisir, car ce sont tous les habitants d’un quartier, parfois déjà très enclavé, qui se retrouvent sans cet accès au sport, assure un proche du dossier. Là, il y avait des méconnaissances de la part des gérants, mais je ne pense pas qu’il y avait une réelle volonté d’embrigader les licenciés. Le communautarisme est davantage lié à la population qui fréquentait ce lieu. »

Un à trois clubs dans le collimateur dans chaque département d’Ile-de-France

Chaque année, un ou deux clubs sportifs sont fermés pour des raisons juridiques dans le 93. Parmi les 3200 entités sportives, la direction départementale de la cohésion sociale (DDCS) procède à plus de 120 contrôles par an. Et au sein des associations visitées, « deux ou trois seulement font l’objet d’un signalement pour des problèmes d’éthique en lien avec l’islam », indique une source proche du dossier.

En Ile-de-France, entre un et trois clubs par an et par département sont dans le collimateur des préfectures pour soupçons de radicalisation. Ces alertes émanent des services de renseignement ou de messages anonymes de licenciés, envoyés sur les plateformes dédiées. « Mais il s’agit parfois d’une seule personne qui pose problème, ce n’est pas forcément généralisé à tout le club, tempère Sylvain Havez, spécialiste au sein de la direction régionale de la Jeunesse et des Sports. Et il s’agit souvent d’une fausse alerte. En revanche, il y a aussi forcément des endroits où on ne sait pas ce qu’il se passe. »

Pour comparaison, dans les structures sportives en Seine-Saint-Denis, la préfecture est confrontée à dix fois plus d’événements graves (une vingtaine par an), notamment de nature sexuelle, que de problèmes de radicalisation.

A Wissous, le gérant du stand de tir avait entraîné l’un des terroristes du Bataclan

A Lagny-sur-Marne (Seine-et-Marne) en 2017, la municipalité avait elle aussi fait exclure deux hommes, déjà condamnés et assignés à résidence pour des faits en lien avec le terrorisme, et pourtant entraîneurs de l’équipe senior du club de foot de la ville.

Reprendre une activité dans ce genre de lieu n’est pas non plus chose facile. La société Soprotir qui a récupéré le stand de tir de Wissous (Essonne), fermé par les autorités, doit montrer patte blanche avant sa réouverture dans les prochains jours. « Il a été noté une volonté (des repreneurs) de renforcer la sécurité », indique la préfecture de l’Essonne qui promet de nouveaux contrôles.

« La fédération interdit désormais des séances d’initiation pour des débutants, les personnes qui viendront tirer ici seront forcément licenciées au club, avec le contrôle que cela implique, indique Stéphane Rollin, actionnaire de Soprotir qui a entièrement rénové le stand de Wissous. On ne fait pas de formation à la guerre ici, mais du tir sportif. »

Car dans une note confidentielle du 26 avril 2018, émanant de la préfète de l’Essonne de l’époque, les raisons qui ont poussé à fermer le site étaient sans équivoque : Frédéric Botbol, le gérant du stand de tir, « manque de sérieux, avec une clientèle composée de jeunes issus des quartiers sensibles présentant des signes extérieurs d’une religion islamique rigoriste ». Son activité professionnelle consiste à « initier des débutants au tir à balles réelles avec des armes lourdes ».

Sachant que le gérant a été « interdit d’exercer à Paris où il avait encadré des séances de tir pour Samy Amimour, l’un des terroristes du Bataclan, et avait été contraint de jeter son dévolu sur Wissous pour poursuivre ses stages ».

Là encore, pour obtenir la fermeture de ce stand de tir, la préfecture avait dû pointer du doigt un manque de sécurité. L’ex-gérant du lieu, se défend, lui de toutes ces accusations : « Je n’ai jamais encadré les séances de tir d’un terroriste car à cette époque, monsieur Amimour n’avait commis encore aucun acte terroriste et ne portait aucun signe religieux ostentatoire. »

La région veut former des lanceurs d’alerte

A la région Ile-de-France, dans les prochains jours, des formations seront lancées autour de la laïcité et de la prévention de la radicalisation. Ces journées sont destinées aux sportifs mais aussi aux employés communaux. « Il faut qu’il puisse y avoir des lanceurs d’alerte partout, car, qui à part les femmes de ménage ou les gardiens de gymnase, peuvent se rendre compte d’un problème dans un club qui vit replié sur lui-même ? » détaille Patrick Karam, vice-président (LR) de la région Ile-de-France, en charge des Sports.

Jusqu’à présent, « le mouvement sportif n’avait pas vraiment conscience du problème », regrette-t-il. « Et puis les présidents de clubs, de ligues ou de comités ne voulaient pas jouer à la police. Ils n’étaient pas préparés. Mais quand on sait le mal que peut faire un éducateur radicalisé, et que Daesh recommande de se maintenir en forme et de s’entraîner... »

Patrick Karam estime qu’il faudrait « vérifier l’honorabilité de chaque bénévole, au titre de la protection de l’enfance », en contrôlant qu’ils n’ont été ni condamnés pour des faits de nature sexuelle, ni fichés S.

Contrôler les casiers judiciaires des bénévoles

En octobre, la ministre des Sports Roxana Maracineanu a d’ailleurs lancé un test de cette pratique dans la région Centre-Val de Loire. La Fédération française de foot va vérifier le bulletin n°2 du casier judiciaire de 2550 bénévoles des clubs de foot et exclure ceux qui ne correspondent pas aux critères. « On souhaite maintenant généraliser ce dispositif à l’ensemble des sports le plus rapidement possible », indique Roxana Maracineanu.

« Au vu du nombre de pratiquants, les dérives communautaires restent marginales. Mais je ne les minimise pas. Il vaut mieux affronter le problème plutôt que de le laisser pourrir, quitte à mener une vraie réflexion ensuite sur le recrutement de ces bénévoles, en les valorisant davantage » reprend-elle.

Car un seul cas peut s’avérer dramatique. « Quentin s’est radicalisé, entre autre, au club de foot de Sevran, lâche Véronique Roy, qui a vu son fils partir en Syrie avec trois ou quatre coéquipiers en septembre 2014, avant de mourir en Irak en janvier 2016. Et c’est un membre de la salle de musculation de Quentin qui l’a conduit à l’aéroport. Il y a des prédateurs. »

« Le sport est tout ce qu’il reste pour le vivre ensemble »

200 référents au sein des agents du ministère des Sports et de 30 fédérations sportives ont donc été formés afin d’assurer un maillage territorial qui a permis de sensibiliser au travers de journées spécifiques plus de 5 000 personnes en 2019. « Au delà de l’organisation des compétitions, on doit impliquer toutes les fédérations sur les questions d’éthique et d’intégrité, annonce la ministre. Mon but, ce serait d’avoir un référent éthique par association. »

Il reste la difficulté de fixer les limites à ne pas franchir. Refuser une femme qui porte le voile dans un club constituerait par exemple un réel problème : « Refuse-t-on quelqu’un qui porte un tatouage ? Cela ne gêne pas forcément la pratique et cela donne des arguments aux rigoristes qui pourraient ensuite l’accueillir dans un club qui serait bien plus replié sur l’islam », argumente Sylvain Havez. « Le sport et notamment le foot est tout ce qu’il nous reste comme instrument pour le vivre-ensemble dans certains quartiers, renchérit Frédéric Thiriez, président de la Ligue de football professionnelle (LFP) de 2002 à 2016. Il faut davantage venir en aide aux structures amateurs qui œuvrent un peu partout. »"

Lire "Comment le monde sportif lutte contre la radicalisation en Ile-de-France".


Voir aussi la rubrique Sport amateur dans Sport (note du CLR).


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