Revue de presse

"La chasse au Onfray est ouverte" (J. Macé-Scaron, Marianne, 18 sep. 15)

26 septembre 2015

"En janvier 1935, André Gide, qui régnait sur la république des lettres, fut invité dans une petite salle de la rue Visconti, à Paris, pour expliquer le sens de son engagement. L’anecdote est reprise par Sébastien Laurent dans sa biographie de Daniel Halévy. Il y avait là 200 personnes, dont l’équipe de la NRF au grand complet. Jacques Maritain, Henri Massis et François Mauriac intervinrent, mais le débat fut particulièrement vif entre Gide et Halévy. Le premier dit au second : « Je voudrais comprendre pourquoi vous ne comprenez pas. » Ce à quoi le second répondit : « Un des inconvénients de cette sorte de rencontre, c’est la courtoisie qui y fait des ravages. » Cette phrase rencontra l’approbation de nombreux clercs : feu sur la courtoisie ! Aujourd’hui, nous regardons plutôt cette époque avec une certaine nostalgie. Entendons-nous : personne à Marianne ne niera le caractère salubre de la joute intellectuelle. Mais, si l’échange polémique implique l’affrontement des opinions, il implique également le respect de l’adversaire et l’espoir que son opinion puisse de quelque manière être féconde. On s’en voudrait presque de rappeler cette évidence, mais la discussion n’est pas une dispute entre deux joueurs de bonneteau. Agression verbale, emphase, hybris accusatoire, anathème... Il est pénible de voir ainsi confondre vigueur sorélienne et virulence soralienne.

Certains éditorialistes nous affirmaient que, en raison de la multiplication des pensées uniques, la guillotine morale du politiquement correct était rangée au magasin des accessoires historiques. Encore raté ! La suspicion vigilantielle se porte à merveille et sa dernière victime s’appelle Michel Onfray. Que lui reproche-t-on ? De nourrir les thèses de l’extrême droite sous prétexte qu’il ne retient pas ses coups contre la demi-gauche hollandaise, qu’il s’indigne des catégories populaires laissées sur le bord de la route et qu’il redoute, face à la massification, la minoration du peuple comme entité politique, celui-là même que défendait, notamment, autrefois le Parti communiste.

Au fond, son crime relève d’une de ces présomptions de culpabilité dont notre économie médiatique raffole, à l’image des tricoteuses de la Terreur qui grinçaient : « Bien sûr, ce n’est pas ce que vous avez dit mais... On sait que vous le pensez ! » Il est décidément bien paradoxal qu’ayant cité à tort et, souvent, à travers, Edgar Morin, on ait oublié ce qui est le principal enseignement de son oeuvre : le sens de la complexité. Comment ne pas relever, en effet, le paradoxe qu’il y a à vouloir à toute force restaurer la pensée binaire alors que nous évoluons dans un monde de plus en plus complexe, de plus en plus « ondoyant » et de moins en moins déchiffrable à l’aune d’une grille idéologique rigide ?

C’est le retour sans cesse annoncé du complot réactionnaire. On a sans doute oublié qu’en 2002 un sociologue, Daniel Lindenberg, par ailleurs personnage sympathique, avait publié un furieux et curieux libelle intitulé le Rappel à l’ordre : dans son viseur, un grand nombre d’intellectuels et d’écrivains de premier plan censés concourir de manière plus ou moins machiavélique à l’extrémisation des esprits. Plus d’une décennie après, les grands inquisiteurs font plus simple et chargent un homme, un seul homme, c’est-à-dire un homme seul, de tous les péchés d’une France repliée sur elle-même. Et en l’accusant d’un seul méfait : « faire le jeu du FN ». Bon sang, mais c’est bien sûr ! On a là la dernière perle crachée par l’huître policière. Au fond, on n’a jamais cessé depuis le « d’où parles-tu, camarade ? » d’assigner des prises de position intellectuelles à des positionnements politiques, et Marianne a été fondé, précisément, contre cette maladie de l’esprit. Voilà pourquoi nous recueillons en permanence, chaque semaine, quand ce n’est pas au quotidien, la vindicte de ces nouveaux clercs. Répondons-nous une fois qu’ils se précipitent pour se plaindre à la maîtresse.

Il nous avait semblé que l’urgence était ailleurs que dans le fait d’associer le fondateur de l’Université populaire de Caen aux heures les plus sombres de notre histoire. Si on comprend bien tout le bénéfice que François Hollande peut tirer de ses « reductio ad lepenum » qui n’ont pour conséquence que de renforcer le Front national et d’affaiblir la droite républicaine, on voit mal ce que la discussion démocratique y gagne. De plus en plus, la formule de Günter Grass « demain, c’est écrit hier » s’impose et pas seulement en Europe. L’obsession pathologique des périodes révolues hante notre présent et nous empêche d’appréhender notre futur. Certes, l’automne est la période de la chasse. Mais parce que nous n’avons, nous, jamais été abusés par ces débats sur l’identité qui masquaient, en fait, un identitarisme débridé, nous n’en sommes que plus fondés à nous inquiéter de ces nouvelles traques dans les sous-bois intellectuels."

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