Revue de presse

"La CEDH, ce machin qui nous juge" (E. Conan, Marianne, 4 juil. 14)

5 juillet 2014

"L’actualité a fait découvrir à nombre de Français que des décisions importantes relèvent d’une lointaine Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) :
elle a contré la décision du Conseil d’Etat de laisser mourir Vincent Lambert, interdisant même qu’il change d’hôpital ;
elle prescrit la nationalité française aux bébés achetés à des mères porteuses alors que la Cour de cassation l’interdisait ;
elle a bien voulu, après trois ans de suspens, autoriser (du bout des lèvres) la loi contre la burqa déjà validée par le Conseil constitutionnel,
et elle devra dire si la Cour de cassation a eu raison de confirmer le licenciement d’une employée de crèche voilée dans l’interminable affaire Baby-Loup.

L’embarras et le silence des politiques face à ces incursions des juges s’expliquent : ils n’ont cessé de transférer eux-mêmes leurs prérogatives au Conseil d’Etat, à la Cour de cassation et au Conseil constitutionnel, soit directement (acceptant le contrôle de leurs choix budgétaires), soit sous la forme de la question prioritaire de constitutionnalité (qui permet à tout justiciable de contester une loi), ou en votant des textes de plus en plus flous nécessitant de plus en plus d’interprétations juridiques.

Le Conseil constitutionnel a par exemple refusé au gouvernement Ayrault toute fiscalité dépassant 70 %, jugée confiscatoire, un point de vue que l’on peut approuver (ou non), mais relevant du débat politique ;
la Cour de cassation a imposé une date pour la réforme de la garde à vue à la place des députés qui l’avaient votée ;
d’autres magistrats ont ordonné la réouverture d’une maternité fermée par le ministre de la Santé.

Cette remise en cause du partage républicain – l’exécutif et le législatif élaborent la loi que le juge applique – progressait ainsi au fil d’une concurrence entre magistrats pour le titre de « Cour suprême française ». Mais les voilà détrônés par la CEDH ! Laquelle applique la Convention européenne des droits de l’homme, datant de 1950 et signée par 47 Etats, mais que de Gaulle, fidèle à la conception rousseauiste de la loi comme expression du suffrage universel, n’a jamais voulu ratifier. Il entendait ne pas être « soumis au gouvernement des juges ».

Sage intuition, car cette Cour européenne, initialement dévolue à la défense des droits de l’homme (contre la torture et les mauvais traitements, pour la liberté d’expression), intervient aujourd’hui dans tous les domaines par une jurisprudence aussi imaginative que subjective.
Précisons que l’expression « gouvernement des juges » n’est pas l’invention d’horribles souverainistes : due au juriste français Edouard Lambert, elle a été rendue célèbre par Roosevelt lors de son bras de fer avec la Cour suprême qui s’opposait à sa grande réforme du New Deal…

Aujourd’hui, malgré l’appel de féministes emmenées par la philosophe Sylviane Agacinski, l’ancienne ministre Yvette Roudy et l’ex-secrétaire de la CFDT Nicole Notat demandant à François Hollande de ne pas « plier » sur la « marchandisation » des enfants de mères porteuses, le gouvernement, embarrassé par cette question, a décidé de s’en remettre avec soulagement à l’oukase des juges de Strasbourg. Lequel contredit les décisions antérieures du président de la République, du gouvernement, du Parlement et de la Cour de cassation !

A force d’organiser leur dépossession politique au profit du marché (les banques sans frontières) et du droit (les juges irresponsables), gauche et droite ne doivent pas s’étonner que leurs électeurs se détournent de plus en plus d’élus refusant de gouverner."

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