Revue de presse

"L’inflation des hommages aux grandes figures de la nation" (P. Garcia, lemonde.fr , 10 déc. 17)

Patrick Garcia, historien, professeur à l’université de Cergy-Pontoise, à l’Espé de l’académie de Versailles. 13 décembre 2017

"[...] Rappelons qu’en vertu de la Constitution de la Ve République, ce n’est plus le Parlement qui décide des hommages nationaux mais le président. Cette caractéristique est commune à tous ces événements – hommage national aux Invalides, obsèques nationales, transfert au Panthéon, deuil national. Hormis l’hommage populaire, tous appartiennent depuis longtemps à la panoplie des rituels républicains. Toutefois, il y a une profonde évolution tant dans l’identité des individus honorés que dans la fréquence des cérémonies. C’est aux morts pour la France et donc aux militaires tombés au combat que sont traditionnellement dévolus les hommages qui se déroulent le plus souvent dans la cour des Invalides – qui fait office de panthéon militaire. Cette caractéristique s’est cependant atténuée avec les hommages rendus à de grands résistants parfois devenus hommes politiques, comme Jacques Chaban-Delmas, puis à des hommes politiques nés trop tard pour avoir pu l’être, comme Philippe Séguin ou Michel Rocard. Dans le même temps, le rituel s’est ouvert aux policiers et aux pompiers morts en service sans que les cérémonies aient forcément lieu aux Invalides. Mais la principale évolution est bien sûr, à la suite de l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo, l’extension de ce cérémonial aux victimes civiles.

En créant pour Johnny Hallyday la catégorie d’hommage populaire, Emmanuel Macron franchit un nouveau pas et montre la grande plasticité d’un rituel républicain qui ne cesse de se réinventer. L’ hommage national se rapproche alors de cet autre rituel que sont les obsèques nationales, qui n’ont jamais été l’apanage des militaires et qui peuvent presque être considérées comme des panthéonisations inabouties : Paul Valéry, Léon Blum, Joséphine Baker, l’abbé Pierre… L’évolution des rituels de manifestation de la reconnaissance de la nation concerne aussi leur fréquence.

En effet, la Ve République, depuis les années 1990 pour le Panthéon et depuis les années 2000 pour les hommages nationaux, multiplie cérémonies et commémorations plus qu’aucune autre avant elle. Ainsi Emmanuel Macron, sans parler des cérémonies commémoratives, a déjà présidé trois hommages nationaux (Fred Moore, ancien compagnon de la Libération, Simone Veil, Jean d’Ormesson). Pourquoi une telle inflation ?

La multiplication des cérémonies se situe à la confluence de deux mouvements.

L’un provient de l’Etat lui-même et prend sa source dans les années Mitterrand. Il s’agit alors de redéployer le rituel républicain tout en faisant progresser l’intégration européenne ; de produire une liturgie adaptée aux sensibilités contemporaines qui réaffirme symboliquement la République et incidemment la personne du chef de l’Etat. Ainsi la réaffirmation et l’essor du rituel républicain sont liés à la montée de la thématique identitaire qui se développe depuis les années 1980 en lien avec les défis de la globalisation/mondialisation, aux interrogations sur ce que nous sommes aujourd’hui, au devenir et au sens de la France. Cela est vrai aussi pour les cérémonies systématiques en l’honneur des militaires tombés dans des opérations extérieures.
Ces cérémonies de réaffirmation de la France, dont les registres sont très différents – de l’exemplarité à l’affectif –, contrebalancent les gestes de reconnaissance concernant les épisodes " sombres " du passé national qui se sont imposés aux autorités françaises depuis les années 1990 : création de la cérémonie commémorative de la Rafle du Vél’ d’Hiv, en 1993, reconnaissance de la responsabilité de la France dans les agissements de Vichy en 1995.
Les choix du président Macron participent de cette réorganisation symbolique et mémorielle qui conjugue reconnaissance – ainsi de l’existence d’un fascisme français avant 1940 lors de son discours au Vél’ d’Hiv du 17 juillet 2017 – et réaffirmation d’une identité française – " Jean d’Ormesson, c’est l’esprit français " –, qui peut se décliner dans un registre affectif – " On a tous en nous quelque chose de Johnny Hallyday ". N’a-t-on pas l’un pour dire l’autre ?

L’autre mouvement est l’importance prise par l’émotion, dont la gestion empathique devient un devoir régalien. Certes, il ne s’agit pas d’une nouveauté absolue. Avant Nicolas Sarkozy, qui assiste à la messe célébrée pour Henri Salvador, les chefs d’Etat ne sont guère présents lors de la cérémonie funéraire. En décidant de l’hommage à Johnny Hallyday et en y prenant la parole – une première pour un président de la République –, Emmanuel Macron montre qu’il a entendu l’émotion publique, qu’il lui permet de se manifester dans l’un des lieux les plus prestigieux de Paris et qu’il lui confère par sa présence la plus grande signification. Il témoigne, comme il l’a fait en répondant positivement aux demandes de porter Simone Veil au Panthéon, qu’il est un président à l’écoute des Français et en particulier de la France " populaire ", participant pleinement de leurs peines. [...]"



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