Revue de presse

L’extrêmisme religieux menace l’école (G. Chevrier et J.-P. Brighelli, atlantico.fr , 15 jan. 17)

Guylain Chevrier, docteur en histoire, ancien membre de la Mission laïcité du Haut conseil à l’intégration ; Jean-Paul Brighelli, professeur agrégé de lettres, enseignant et essayiste. 18 janvier 2017

"A travers notamment les ELCO (Enseignements langues et cultures d’origine), ou bien encore le changement des programmes scolaires, on peut également constater en France, comme en Grande-Bretagne, la manière dont les extrémismes religieux et le politiquement correct peuvent s’immiscer dans l’enseignement public.

Atlantico : Enseignants qui disent à leurs élèves de ne pas écouter de la musique ou d’aller au théâtre, discours anti-mariage homosexuel, ségrégation vis-à-vis des filles, etc. : un rapport remis le mois dernier par Dame Louise Casey, en charge des questions d’intégration pour le gouvernement britannique, met en évidence la manière dont s’immiscent les extrémismes religieux de toutes sortes dans certains établissements publics britanniques. Comment expliquer qu’une telle situation soit rendue possible ?

Jean-Paul Brighelli : La Grande-Bretagne récolte ce qu’elle a semé, en acceptant un communautarisme installé et même l’intervention de "tribunaux islamiques". Dans un pays démocratique, toute faiblesse permet aux barbares de glisser un coin dans la faille. C’est la raison majeure pour laquelle nous ne devons accepter aucune concession — aucune "laïcité aménagée", ni "à géométrie variable".

Guylain Chevrier : Le multiculturalisme est un terreau on ne peut plus favorable à cette situation. Ce système apparait avantageux dans un premier temps, car il semble permettre d’arrondir les angles, ce qui a, en réalité, pour effet, à moyen/long termes, une pression identitaire plus forte sur l’ensemble de la société. On traite, par exemple, l’antagonisme entre les valeurs libérales et le communautarisme islamique, comme soluble dans la nation, ce qui n’est nullement le cas. On veut croire pouvoir maintenir la cohésion sociale en encourageant les différences mais on ne fait que se cacher les problèmes. Les séparations identitaires tendent à détruire le sentiment d’appartenance à la nation, d’autant plus à partir du moment où on accepte de laisser se diffuser les préceptes de tel ou tel groupe identitaire dans l’école, a fortiori lorsqu’il s’agit de religion. On oublie un peu vite certains signes négatifs, comme le fait qu’il y ait régulièrement des problèmes intercommunautaires en terre britannique, qui vont parfois jusqu’à l’affrontement, dans la banlieue londonienne elle-même.

L’Angleterre se prépare des lendemains difficiles, car c’est une politique de tous les dangers, qui pourrait bien porter en retour beaucoup de violences, à laisser ainsi monter les murs entre les communautés et grandir les enfants d’une nation comme des étrangers, plus encore, des ennemis des valeurs et principes communs. Ne sous-estimons pas l‘islam politique qui puise sa force de l’isolement des musulmans, et de leur enfermement communautaire, de n’avoir pas d’autre horizon que leur religion. C’est vrai pour d’autres groupes sociaux minoritaires, mais ici les choses résonnent d’une situation où la plupart des conflits armés dans le monde voit l’islam impliqué, avec des forces obscures à l’œuvre qui sont en embuscade. On ne peut faire comme si cela n’existait pas par parti pris politiquement correct.

Un tel phénomène est-il observable en France ? De quelle manière se manifeste-t-il ?

Guylain Chevrier : En France, c’est plus insidieux. L’école laïque est un service public, avec sa loi du 15 mars 2004 qui interdit aux élèves de manifester de façon ostensible leurs différentes appartenances religieuse ; d’une certaine façon, il y a un frein à ce genre d’évolution chez des enseignants qui seraient tentés par le prosélytisme. Pour autant, lorsqu’une professeure des écoles écrit dans un cahier de correspondance, que pour l’anniversaire d’un tel, parce qu’il est musulman, on n’apporte que des bonbons sans porc, comme j’en ai recueilli le témoignage, cela participe de faire entrer dans l’école des considérations religieuses qui font pression sur elle. Pire, sur les enfants et parents de confession musulmane qui n’entendent pas, eux, respecter à la lettre les prescriptions religieuses, pour ainsi produire de l’assignation et bafouer leur liberté de conscience. Ou encore, lorsque l’on trouve dans des cahiers d’écoliers des affirmations religieuses, voire des extraits de textes sacrés, sans aucun conditionnel, pour ne pas froisser les enfants de telle religion. On est en pleine dérive avec la fausse bonne conscience de bien faire.

Dans les Ecoles supérieures de professorat et de l’éducation, le problème a été posé, avec l’apparition de signes religieux, spécialement du voile, chez des étudiants appelés à devenir fonctionnaires dans l’école laïque. Une note du ministère de l’Education nationale a favorisé l’inscription dans les règlements intérieurs des ESPE de l’interdiction du port de signes religieux, d’autant qu’à partir de la 2e année, les lauréats du concours sont amenés à intervenir dans les classes. Ils deviennent alors des fonctionnaires. Si les enseignants des ESPE sont favorables à cette mesure, chez les étudiants, elle fait bondir, parce que, depuis des années, on a laissé faire en banalisant ces manifestations. Une pétition en ligne concernant l’Académie de Créteil a recueilli plus de 2 500 signatures en quelques jours, dénonçant une mesure "discriminatoire", le syndicat Unef 94 craignant lui "la stigmatisation d’une religion…" On voit bien le malaise, alors que de futurs enseignants qui sont de futurs fonctionnaires, chez lesquels hier la neutralité laïque était sacrée, la combattent aujourd’hui dans le lieu où justement on les forme à cette laïcité. Tout un public d’étudiants issu de ce que l’on nomme "la diversité" arrive en masse sur ces postes, ce qui nous prépare des migraines. D’autant que les signes religieux sont loin d’y avoir disparu partout. Comment ces futurs enseignants mettront en œuvre l’enseignement dit "laïque" du fait religieux à l’école demain ? Entre les premiers voiles à Creil en juin 1989 et la loi d’interdiction des signes religieux ostensibles dans l’école publique de 2004, il y a eu quinze ans de flottement. Voilà, entre autres, ce que l’on paye aujourd’hui. Sans intransigeance sur ce sujet, nous risquons bien de rejoindre les travers d’une Angleterre qui s’inquiète, en la matière, de ce qu’elle est.

Jean-Paul Brighelli : En classe, dès que des groupes ethniques se constituent — et ils le sont dans nombre de quartiers où on observe par exemple une séparation garçons / filles — sans parler du nombre de dispenses de piscine demandées par les jeunes filles — particulièrement musulmanes, et soumises à la pression du groupe (familial, de cité, etc.). Que des municipalités, de gauche et de droite, aient cru bon de composer avec ces demandes (qui sont autant de coins glissés dans notre complaisance démocratique) en dit long sur ce que certains élus sont prêts à consentir pour garder leur poste. Que le PS ait cru bon de menacer d’exclusion telle lanceuse d’alerte conseillère municipale sortie de ses rangs (Cécile Pina pour ne pas la nommer) en dit long aussi sur les compromissions de ce groupuscule (anticipons un peu sur ses futurs résultats électoraux) vis-à-vis du fanatisme.

Comment les directeurs d’établissement, les enseignants peuvent-ils lutter contre cette infiltration des extrémismes religieux dans la sphère éducative publique ? Dans quelle mesure sont-ils aidés en cela par les pouvoir publics ?

Jean-Paul Brighelli : Ils ne le sont guère : les programmes édictés par Mme Vallaud-Belkacem, qui répugnaient à enseigner les Lumières ou l’Humanisme, sont faits pour destituer la notion même de transmission des savoirs, sous prétexte d’aménagements raisonnables. Il ne faut pas tolérer le mécanisme de groupe, ni les tenues clairement communautaires, ni ce que j’appellerais volontiers l’absentéisme hallal, ou les protestations lorsque des enseignants d’Histoire, de Lettres ou de SVT abordent tel ou tel aspect des programmes — les guerres arabo-israéliennes, par exemple. Le rétablissement des internats d’excellence, loin des cités, et l’instauration de sanctions financières contre les familles qui soutiendraient ces comportements est une solution à portée de volonté.

Guylain Chevrier : Cette lutte passe par le fait d’être sans ambiguïté concernant la laïcité. Pour cela, faut-il encore que l’on cesse de pratiquer un double langage, en organisant d’un côté la promotion d’une Charte de la laïcité à l’école, et dans le même temps que l’on ne cesse d’y renforcer, à grand renfort de publicité, à chaque attentat quasiment, l’enseignement du fait religieux. On a, depuis le rapport Debray de 2002, sur "L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque" commandé par Jack Lang, ministre de l’Education d’alors, introduit l’idée d’une intégration des élèves selon leurs différences. On a orienté les programmes dans ce sens, alors qu’il y avait déjà la présence des religions dans les programmes, mais selon une visée strictement historique. C’est une interprétation de la laïcité, qui fait prévaloir l’égalité de traitement des différences sur l’égalité des droits comme bien commun au-dessus de celles-ci. Ce qui a eu pour conséquence une école qui a, de plus en plus, encouragé des distorsions avec notre République. On pèche trop souvent par naïveté ou par faiblesse, voire calcul politicien. Il y a d‘ailleurs bien des confusions qui demeurent, comme la polémique déclenchée en avril 2015 autour des nouveaux programmes scolaires, dont ceux d’histoire, a pu en témoigner. En 5e, par exemple, l’histoire de l’islam était ainsi présentée comme un "module obligatoire" tandis que l’histoire de la Chrétienté au Moyen-âge était qualifiée de "module facultatif". Une frange des enseignants et plusieurs associations laïques estimaient que l’on accordait trop d’importance aux "pages culpabilisantes" de l’Histoire de France, les conquêtes coloniales ou les traites négrières étant privilégiées au détriment de l’enseignement du Siècle des Lumières, envisagé comme facultatif. Même s’il y a eu recul après ces réactions, cela indique bien la tendance qui est à des aménagements en forme de renoncements, qui ne peuvent conduire qu’à plus de divisions et de problèmes.

On pourrait aussi évoquer le cas des ELCO, ces cours d’enseignement des langues et cultures d’origine qui concernent 85.000, élèves dont 70.000 pour les quatre pays que sont l’Algérie, le Maroc, la Tunisie et la Turquie. Dès lors qu’il existe une demande suffisante de la part des familles, les cours d’ELCO peuvent être mis en place à l’école élémentaire à partir du CE1. Les enseignants sont choisis par les ambassades des pays de référence. Ces cours ont été créés dans les années 1970 pour maintenir un lien avec le pays d’origine dans le cadre d’une immigration économique qui n’était pas une immigration d’installation, et donc dans l’esprit d’un retour au pays, ce qui a complètement changé depuis. Elles sont pourtant demeurées jusqu’à ce jour, avec une promesse de la ministre de l’Education nationale d’en finir avec celles-ci, mais à l’horizon 2018… Ces cours ont servi et servent encore, comme cela a été dénoncé dans des rapports tout ce qu’il y a de plus officiels, non seulement dans certains cas à la diffusion de la religion, mais aussi à un contrôle politique sur les populations. Ils sont censés être contrôlés par les inspecteurs de l’Education nationale, alors que des cas de dérives manifestes ont été constatés avec des agréments retirés. Un sujet de France 2 du 20h, le 3 janvier 2017, traitait de cette question de façon outrageusement favorable [1]. On ne dira pas, par exemple, pour comprendre que l’enseignement de l’arabe à ces enfants par des personnels choisis par les pays d’origine peut poser question, que la religion dans ces derniers, n’est pas séparée de l’Etat, comme c’est le cas par exemple au Maroc où l’islam est religion officielle. Les ministres actuels du gouvernement marocain sont de notoriété publique pour plusieurs polygames, le parti au pouvoir étant un parti islamiste (Parti Justice et Développement). Cela ne risque-t-il pas de transpirer dans ces cours ? Comment rester de marbre face à une situation où encore on a inscrit l’arabe comme enseignement dès le CP comme une priorité à l’école à la rentrée 2016, au risque d’une communautarisation accélérée ? Ceci, alors que le français comme pilier du socle de connaissance sur lequel on insiste, et lien commun fondamental, n’est que rarement maitrisé par les élèves de ces cours de langue. Sans compter encore avec l’accompagnement de sorties scolaires par des mères voilées, ce qui peut participer d’une logique de groupe de pression communautaire, dont on ne veut pas entendre parler du côté de la ministre. Peut-on sérieusement ignorer un contexte de communautarisation qui va bon train derrière ces choix ?

Récemment, le syndicat étudiant de SOAS (School of Oriental and African Studies) a demandé à ce que soit retirée des programmes de philosophie l’étude de Platon, Descartes, et Kant, au motif qu’il s’agit de penseurs blancs, accusés de porter, directement ou indirectement, l’héritage structurel et épistémologique du colonialisme. En réaction, le vice-chancelier de l’université de Buckingham a mis en garde contre "le réel danger qu’il y a à ce que le politique correct devienne incontrôlable". Quelle(s) menace(s) font peser ce type de revendications sur le système éducatif ? Dans quelle mesure la France est-elle aussi concernée ?

Guylain Chevrier : Créer une prédestination selon l’origine à certains enseignements détruirait toute idée d’une école pour tous, et avec elle, toute possibilité d’édification d’un lien social, d’une communauté relevant de l’idée de nation… Cette communauté de destin ayant conscience d’être unie par une identité commune, entre langue et histoire, avec la volonté de vivre ensemble selon des principes communs, par le dépassement des différences, précisément. L’exemple de la demande de la suppression de l’enseignement de Kant est significatif, qui parle de l’universalité de la conscience morale, et professe que si "Dieu est indémontrable, on ne peut gouverner en son nom", ce qui n’empêchait nullement le philosophe d’avoir la foi. Une distanciation qui n’est pas recevable pour des communautaristes qui considèrent la foi comme supérieure à la loi civile et à la connaissance.

La société britannique, avec ses nombreux tribunaux islamiques tolérés par le juge anglais, leurs pratiques discriminatoires envers les femmes qui font violence à leur dignité, laisse filer la communautarisation de la société. Mais jusqu’où pour croire avoir la paix ? A défaut d’un roman national, non seulement passé mais dont l’avenir est à écrire, qui unisse l’ensemble de ceux qui composent la société, on renvoie chacun inévitablement à sa différence sous prétexte de reconnaissance des cultures et de la diversité des croyances. On renforce ainsi tout un contexte de dénégation de ce qui unit, mais aussi de la liberté elle-même et de la démocratie, qui ne servent pas à grand-chose aux yeux de ceux qui ne pensent qu’en tribus. Cette politique des accommodements dits "raisonnables" n’est rien d’autre qu’une politique de l’autruche suicidaire, alors que la radicalisation galope et les départs pour le djihad s’en suivent.

La France, à travers sa résistance au multiculturalisme, apparaît comme moins tolérante et ouverte que la société britannique. Mais, en réalité, ses institutions égalitaires qui favorisent le mélange des populations, indiquent la seule voie à suivre si on veut continuer à faire ensemble société. Ainsi, c’est entre autres s’opposer à un islam politique qui ne cesse de gagner du terrain à la faveur de chaque concession de la règle commune aux exigences religieuses, et ainsi préserver par cette résistance pour bien des jeunes la possibilité d’un choix crucial entre autonomie de soi et enfermement communautaire, voire entre République et radicalisation.

Jean-Paul Brighelli : En France, des universitaires de La Réunion bloquent depuis deux ans la venue d’une spécialiste de l’esclavage et de "l’engagisme", sous prétexte qu’elle vient de Nantes (d’où partaient des bateaux négriers au XVIIIème siècle), qu’elle n’est pas réunionnaise et en fait, qu’elle n’est pas métisse — alors qu’elle est la plus qualifiée pour ce poste. Le parti des Indigènes de la République (PIR) soutient ouvertement une politique de différentialisme qui n’est pas loin du racisme anti-Blancs — et de même le CRAN. Il ne fait pas bon appartenir aux Lumières ces temps-ci — les temps sont à l’obscurantisme, au fanatisme et à la superstition. Et je ne parle pas des lois Gayssot et Taubira, pourtant pourfendues par tous les historiens sérieux — particulièrement de gauche, comme Pierre Nora ou Pierre Vidal-Naquet : la mode est à la repentance. Le politiquement correct a frappé la France — moins que les Etats-Unis, mais de façon peut-être plus hypocrite."

Lire "Quand le Royaume-Uni découvre avec effarement que son système éducatif fait face à la menace conjuguée de l’infiltration de l’extrémisme religieux et des excès du politiquement correct".



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